Voilà neuf jours que la population de Ghaza fait face à un déluge de feu avec près de 500 morts et 3000 blessés. Voilà dix jours que le monde entier, y compris la lointaine Amérique latine, crie sa colère contre ce génocide. Voilà dix jours que des milliers voire des millions de personnes battent le pavé en Europe, en Asie, en Océanie et aux Amériques pour dénoncer l'innommable. Chez nous, ce sont toujours les forces de l'ordre qui battent quelques téméraires manifestants dans leur tentative de défoncer le faux barrage de l'état d'urgence. Vendredi dernier, un dispositif policier impressionnant a stoppé net une marche spontanée à Alger juste après la prière hebdomadaire. Et à défaut de dénoncer ce refus indigne opposé aux Algériens de manifester leur soutien aux Palestiniens en leur imposant une posture de spectateurs face à une entreprise criminelle, le prêt à penser politique et médiatique a tôt fait d'agiter l'épouvantail islamiste pour crier à la récup. C'est un message subliminal suggérant qu'il faut soutenir le pouvoir dans sa volonté d'interdire la rue à l'expression citoyenne. Et pour ce faire, il n'y a pas meilleur argument que de brandir le fantôme islamiste pour servir de soupape de sécurité contre la réappropriation démocratique de la rue. Que faire alors ? Attendre, bien sûr, le méga rassemblement politicien que l'Alliance présidentielle et ses satellites ont organisé hier à la maison du « peuple » sans le peuple, le vrai. La guerre contre Ghaza a confirmé le caractère choquant de l'attitude du pouvoir qui consiste à régenter les consciences des Algériens et à monopoliser le cœur. De fait, même la solidarité, ne serait-ce par la parole, est devenue organique et la mobilisation populaire institutionnelle. L'université algérienne qui fut jadis le cœur palpitant des luttes citoyennes est fermée à l'expression. Les étudiants de la faculté centrale d'Alger l'ont vérifié hier à leurs dépens, eux qui voulaient témoigner leur soutien à leurs frères de Ghaza à l'extérieur de leur campus. Les forces antiémeute se sont chargées de leur « clouer le bec ». Le pouvoir et ses bras armés ont peur de ne plus contrôler la situation, alors qu'ils ont été curieusement capables d'encadrer les marches – très spontanées celles-là ! – pour le troisième mandat ou encore pour dénoncer les attentats de 2007. Dans leur logique à l'envers, nos responsables feignent d'oublier qu'ils distillent depuis des années un discours officiel selon lequel le terrorisme n'est qu'un mauvais souvenir. Comment alors avoir peur des islamistes auxquels il a offert des postes supérieurs dans la haute administration ? Comment avoir peur même des terroristes que ce même pouvoir a absout de leurs crimes et pour lesquels il garde la porte grande ouverte pour une future cohabitation s'ils daignent l'accepter ? Brandir l'étendard de la récupération islamiste ou de l'état d'urgence n'est finalement qu'un argument fallacieux destiné à masquer la volonté de casser tous les ressorts de la société. Quant au président Bouteflika, son silence sur le massacre de Ghaza n'est pas vraiment étonnant dès lors que le drame de ses propres concitoyens lors des inondations de Bab El Oued ne l'a pas ému. En vérité, le pouvoir a juste peur que chaque Algérien n'éructe dans la rue sa « Ghaza » à lui, faite de privations, de chômage et de mal-vie. Et cela a un sens en politique.