Vigil Plus, Vigil Group, La Vigilante, Scorpion, Secur Group, Sécurité 2000, El Amine Gard, SHAPS (Société haute assistance protection services), International Sécurité Sud (ISS)... La liste de ce puissant «escadron» d'entreprises privées spécialisées dans le fort juteux mais très discret marché de la prévention, du gardiennage, de la sécurité des personnes et des biens, du transport et du convoyage de fonds et produits dangereux est aussi longue que les tentacules dont disposent leurs propriétaires au sein de la haute sphère décisionnelle politique et économique. Le marché qui pèse environ 7 milliards de dollars voire plus est, ces quelques dernières années, au cœur de convoitises, tous azimuts, aiguisant les appétits les plus fous. Après les hauts gradés de l'armée, de la police et de la gendarmerie, de plus en plus sont les personnalités issues du monde politique, des affaires, ainsi que de la haute administration à s'y être mêlées. Et la bataille a été, semble-t-il, particulièrement rude en 2018 avec l'œilleton pointé vers l'un des plus grands consommateurs de services de protection et de gardiennage armé, la filière énergétique et plus précisément les sites et infrastructures de la Sonatrach. En effet, début juin courant, de gros contrats et conventions de prestation de services ont été conclus avec la compagnie pétrolière et au moins sept sociétés de gardiennage dont les «propriétaires» sont des proches de ténors de la première puissance politique du pays (FLN) siégeant dans les deux Chambres, Sénat et APN, avons-nous appris de sources bien informées. Quelques mois auparavant, soit fin mars dernier, Sonatrach, à en croire un média européen spécialisé, aurait, entre autres, confié la sécurisation, pour plus de 150 millions de dinars, d'une bonne partie du GR5, lequel gazoduc s'étire sur plus de 700 km pour le transport du gaz depuis les champs gaziers du sud-ouest à Hassi R'mel, soit de Reggane à la station de compression pipeline GR5, à une boîte privée que contrôle un sénateur (FLN) originaire de la région sud-est du pays. Leader Amne, car c'est de cette société qu'il s'agit, est basée à Hassi Messaoud, là où plus d'un site pétrolier de Sonatrach sont protégés par une autre boîte privée implantée à Ouled Fayet (Alger) et qui appartiendrait à un très influent cacique du FLN. En bons visionnaires — cette filière de la sécurité privée qui s'est avérée être très peu coûteuse mais ô combien lucrative — d'anciens hauts responsables de l'Etat dont des ex-ministres et ex-walis avaient décidé de s'y lancer depuis bien longtemps. Ainsi en est-il de Baghdadi Laâlaouna, qui a eu à diriger plusieurs wilayas dont celles de Annaba, Sidi Bel Abbès et Oran et sa société de gardiennage, vieille de plus de 20 ans, intervient au niveau de plusieurs grandes entités économiques, nous a-t-on appris. Information par ailleurs corroborée par le site «Africa Intelligence» dans l'une de ses éditions de mai dernier, puisque les effectifs de M. Laâlaouna, qui marqua de son sceau son passage dans la ville d'Annaba, montent la garde depuis quelques mois au niveau des installations pétrolières du champ de Zarzaïtine dans la wilaya d'Illizi, et ce, pour le compte de Sonatrach et son partenaire chinois, la compagnie pétrolière Sinopec. Toujours dans le domaine de la sécurisation des champs et des infrastructures énergétiques (gaz et pétrole), les services d'une autre boîte privée détenue par un ancien chef du gouvernement, associé à un chef militaire de haut rang à la retraite, sont de plus en plus sollicités. Cette société est, et tout porte à le croire, lourdement «armée» puisque ses effectifs compteraient au moins 50 000 agents, ont confié nos sources. La présence d'autres agents revêtant d'autres uniformes portant d'autres sigles sur nombre d'autres sites de Sonatrach ne cesse de gagner en dimension. La plus imposante n'étant, toutefois, autre que celle de Secur Group, propriété des Kouninef, une famille connue pour être étroitement liée au cercle présidentiel et l'une des plus grandes fortunes d'Algérie. Le conglomérat Kouninef spécialisé dans le génie civil et l'hydraulique s'est offert, grâce à ses solides appuis à Sonatrach, un marché de plusieurs centaines de millions de dinars pour assurer la protection, la surveillance et l'escorte de produits sensibles pour la zone d'In Amenas, en scellant, en février 2018, un contrat avec l'Entreprise nationale de grands travaux pétroliers (ENGTP), l'une des filiales phares de Sonatrach. Délit de favoritisme à Sonatrach La compagnie pétrolière reste, néanmoins, curieusement étanche aux offres de services de l'unique entreprise publique sur le marché national du gardiennage et de la sécurité, la Société de gardiennage et de surveillance (SGS) en l'occurrence. Cette société, dont le capital est contrôlé par Ferrovial et les deux Groupes publics Sider et Asmidal (20%, 60% et 20% de parts respectives), se débat seule contre tout ce bataillon de prestataires privés. Ne pas baisser les bras et être en mesure de leur résister est ce à quoi elle s'atelle inlassablement . Amnal, propriété des six banques publiques (BDL, CNEP, CPA, BNA, BADR et BEA), en partenariat avec deux compagnies d'assurance (CAAR et CAAT), étant exclusivement dédiée au convoyage de fonds et la Société de prévention et d'action en sécurité (SPAS), filiale de Sonelgaz chargée de la sécurisation des infrastructures et des champs du Groupe. «Le gardiennage et la surveillance sont un créneau extrêmement stratégique de par les grands enjeux financiers. Jusqu'à 2017, y intervenaient entre 150 et 170 sociétés privées. Depuis, celles-ci ne cessent de pousser comme des champignons. Aujourd'hui, 99% du marché est sous le contrôle de ces sociétés qui se livrent bataille, chacune cherchant à être la plus prompte à déployer son influence», tient à rappeler, Karim Manta, le jeune DG de SGS. Et si la SGS arrive, tant bien que mal, à garder sa place pour ne pas dire «strapontin» sur le marché, c'est bien grâce aux quelques contrats qu'elle a pu leur ravir mais non sans peine. Son portefeuille clients actuel comprend 90% des filiales du Groupe Imetal (Sider El Hadjar, Groupe Sider avec tous ses points de vente, AQS Bellara, Batimetal, Anabib, l'Entreprise portuaire de Annaba (EPAN), Mobilis (une seule région) et Algérie-Poste. Pour les sites stratégiques de la grosse industrie publique et autres services publics, Algérie Télecom, les trois régions Mobilis, Sonatrach avec l'ensemble des sites et plateformes pétroliers, toutes les entreprises portuaires (une dizaine), tous les ports secs auxquels il faut ajouter le long réseau bancaire, etc., la priorité étant aux sociétés privées. Dit autrement, 99% des 7 milliards de dollars que génère, bon an mal an, la filière finissent dans les coffres de ces dernières. Ce qui n'est pas fait pour décourager des dirigeants de SGS dont la moyenne d'âge est de moins de 40 ans. En effet, les négociations sont en passe d'être finalisées avec le Groupe Algérie Télécom suite à l'accord signé le 21 mars dernier entre les deux ministères, celui de Poste et Télécommunications et celui de l'Energie et des Mines, a indiqué M. Manta. Ce qui devrait pourvoir le marché du travail de quelque 15 000 postes d'emploi en 3 ans, se réjouit le responsable. Et ce, outre les pourparlers en cours avec les ambassades d'Ukraine et du Canada et l'exclusivité que lui ont promise les deux grands Groupes pétroliers français, CGG et CBS, partenaires de Sonatrach. Le contrat de 14 mois (2016-2017), précise le DG, liant son entreprise à la Compagnie générale de géophysique (CGG), spécialisée dan l'exploration du sous-sol, a fait inclure le site de Debdeb, aux frontières algéro-libyennes : «Ce contrat difficilement obtenu du très exigeant client français, que ce soit en termes de normes, de logistique ou encore de moyens matériels et humains, nous a aidé à pénétrer le marché du grand Sud. CGG comme CBS étaient grandement satisfaits des prestations de SGS. Ce qui est susceptible de nous ouvrir la porte à d'autres contrats dans la même région», espère le boss de la SGS. Notre interlocuteur a toutefois mis l'accent, une fois de plus, particulièrement sur la concurrence déloyale qui sévit dans la filière eu égard aux prix appliqués par nombre de ses concurrents privés. M. Manta a également dénoncé les pratiques de fraude et d'évasion fiscale auxquelles ils (les concurrents privés) ont souvent recours : «Rares, très rares sont les sociétés concurrentes qui déclarent leurs employés à la sécurité sociale et payent leurs impôts, surtout la TAF (Taxe d'apprentissage et de formation) qui représente 2% de la masse salariale. Contrairement à la SGS qui est régulièrement contrôlée par les administrations concernées, les privés sont très rarement inquiétées», s'offusque-t-il. C'est dire comment l'Etat s'évertue, lui-même, à créer les conditions nécessaires à une manipulation criante des lois du marché en faveur de groupes d'intérêts particuliers, apparemment très restreints.