En bon homme de réseau, le président Abdelaziz Bouteflika a tissé depuis sa première élection, en 1999, une importante toile d'influence : politique, sécuritaire, mais surtout économique. « Le clan présidentiel a besoin de réseaux, du soutien formel des capitaines de l'économie, non d'argent », confie une source proche de ce dossier. Cette véritable machine de guerre s'ébranle à chaque rendez-vous électoral. On l'a vu en 1999 et en 2004. On le voit aujourd'hui à l'occasion de la présidentielle du 9 avril prochain. Formellement, le point nodal de cette machine se trouve dans une impasse, près du bâtiment Shell au Paradou, à Hydra, sur les hauteurs d'Alger : le siège de la direction de campagne du « candidat indépendant », Abdelaziz Bouteflika. Accueilli d'abord avec le sourire aimable de l'agent de sécurité d'une boîte privée de gardiennage, Secur Group, on pénètre dans la « villa blanche », le siège de la « hamla » (campagne) pour tomber sur d'autres visages souriants, des hôtesses d'accueil tout aussi aimables, encadrées par des cerbères en costume gris. La « villa blanche », comme l'appellent ses occupants, est une magnifique bâtisse moderne avec quelques réminiscences mauresques débouchant sur un beau jardin. Les bureaux, les couloirs, les écriteaux affichent la très officielle couleur bleue de la campagne du « candidat indépendant ». Debout, un ancien cadre des comités de soutien au président dicte au téléphone des instructions en lisant sur une feuille : « Mobilisation générale des associations dans la wilaya ! » « Dieu merci, il ne nous manque rien ici, c'est très bien organisé, bien qu'on soit encore dans la phase préparatoire de la campagne », explique un habitué des comités de soutien. Transport, téléphonie, soutien logistique, traiteur, supports de communication, affiches, posters, tee-shirts, fascicules, organisation administratives, ordres de mission, suivi des activités des démembrements régionaux et locaux, etc. Cette belle et efficace machine électorale n'est pas tombée du ciel. La « villa blanche », la compagnie de sécurité privée, les supports médias, les lignes téléphoniques mobiles, le transport et même le site internet officiel (bouteflika2009.com), appartiennent à l'homme d'affaires Rédha Kouninef, 36 ans, fils du défunt Ahmed Kouninef, très connu dans le milieu du business, un des grands importateurs de ronds à béton dans les années 1990. Le groupe Kouninef a déjà apporté son soutien logistique au candidat Bouteflika en 2004. « C'est un jeune homme très ambitieux, un modèle de l'homme d'affaires moderne. Pourtant, il n'aime pas s'afficher, il a donné très peu d'interviews à la presse », révèle un ancien employé du groupe. « Kouninef, réputé proche du frère du Président, Saïd – véritable chef d'orchestre de la campagne – n'est certes pas le seul appui logistique de la campagne de Bouteflika, il y en a d'autres, des hommes d'affaires puissants et très connus, mais il est le plus important rouage de la machine », confie une source proche de la direction de la campagne. Le groupe du jeune homme d'affaires englobe plusieurs entreprises couvrant divers secteurs. On peut citer Kou GC, pour les travaux publics (créée en 1974, associée notamment aux travaux hydrauliques à l'ouest du pays avec l'émirati Metito, l'allemand Heitkamp, le turc ESER et associé pour les travaux dans les bases du Sud avec la Kaiser Gaz Construction International Ltd.), Kou GP et Jet Multimédias, pour le consulting et multimédias, Cogral (huiles Safia, agroalimentaire), Secur Group, société de sécurité privée, Mobi One et Mobinet, pour la téléphonie, et tout récemment une revue économique mensuelle L'Eco. Mais comment s'opère en détail cet appui ? « Le tout est dans l'éclatement des filiales », indique un proche d'un collaborateur d'un puissant homme d'affaires. « La plupart des grandes entreprises qui apportent leur soutien logistique à la campagne du Président offrent des prestations de services ou des dons – comme les téléphones portables – à travers leurs filiales. Ainsi l'entreprise mère distribue au niveau de ses propres filiales des commandes qui paraissent complètement anodines, commandes facturées séparément, mais qui iront toutes au même client », explique notre source. « La machine a démarré très vite, à quelques jours de l'annonce de la candidature du président Bouteflika – le 12 février dernier – mais tout était prêt en amont, car vous savez, passer par des marchés de gré à gré facilite et accélère les chose », confie un cadre d'une importante société de travaux publics. Premier test de la machine à communication du candidat-président : la cérémonie d'annonce de candidature le 12 février à la coupole du stade 5 Juillet sur les hauteurs d'Alger. La décoration de la salle, l'allée aménagée pour l'apparition de Bouteflika et la scénographie toute en bleu de campagne ont été réalisées par une société d'aménagement des espaces d'expos ou d'entreprise. Les affiches, les banderoles, les autres supports de communication par une des entreprises du groupe Kouninef. L'audiovisuel, avec écran géant, sonorisation, etc., a été assuré par une structure privée qui, en 2004, avait sous-traité pour le candidat Ali Benflis. « Les marchés de la campagne, transport, restauration, communication, téléphonie, etc., sont ainsi distribués par les responsables de la campagne à une multitudes de prestataires. Chacun fait jouer ses réseaux. Mais ce sont les grandes entreprises qui prennent la part du lion. D'où la bousculade des petites et moyennes boîtes de communication qui s'adressent non pas à la direction de la campagne, mais aux grands entrepreneurs pour les placer sur le bon marché », a indiqué un cadre d'une grande boîte de communication. « Le tout se concentre donc sur des prestations de services, jamais d'argent directement injecté dans les fonds de la campagne, vous pouvez en chercher partout, vous ne trouverez pas de sachets noirs pleins de dinars », poursuit la même source. Il semble que le réseau d'influence du cercle présidentiel a évolué. Le réseau des grands entrepreneurs de l'Ouest, ou des amis de longue date a mué pour englober la majorité des grandes entreprises privées du pays. « En 1999 et 2004, le clan de Bouteflika exigeait une sorte de dîme des entrepreneurs pour qu'ils soutiennent le candidat-président. A l'époque, le clan n'était pas riche. Aujourd'hui, la donne a changé : le cercle du président n'a que faire de l'argent des hommes d'affaires les plus importants du pays. Le clan dispose de ses propres ressources. Mais ce cercle a besoin d'autre chose : du soutien formel des capitaines de l'économie, leurs réseaux et surtout leur allégeance », soutient notre source, appuyant : « La plupart des grands entrepreneurs algériens ne vivent que grâce aux marchés publics qui ont explosé ces dernières années. C'est un moyen de pression pour les amener dans le giron présidentiel. Sinon, pas de marché et en plus, le fisc viendra frapper à leurs portes. »