La Caisse nationale des assurances sociales des travailleurs salariés (CNAS) a décidé de mener une campagne contre «l'usage abusif» de la carte Chifa. Dans son viseur : les pharmaciens d'officine, qui en feraient bénéficier des tierces personnes. «La CNAS parle d'utilisation abusive de la carte Chifa. Moi, je parlerais plutôt de mauvaise utilisation de cette carte à cause de tous les blocages que nous rencontrons», s'offusque ce pharmacien de la capitale, gardant son sang-froid derrière son présentoir vert clair. Pharmacien depuis une vingtaine d'années, Slimane* est «surpris» par ces «attaques à ce moment précis» contre des confrères accusés d'utiliser abusivement la carte de Sécurité sociale. «J'ai subi des critiques comme mes collègues. On m'a dit qu'il ne fallait pas ‘‘retenir'' les cartes Chifa. J'ai expliqué que mes clients, parfois des gens du quartier, me font confiance, et que souvent à cause d'une rupture de stock, je suis obligé de garder la carte qu'ils récupèrent une fois que le médicament manquant est disponible. Aucune tierce personne ne peut donc l'utiliser. Ni avec ni sans le contentement de l'assuré», assure le pharmacien. S'il défend ses collègues, Slimane reconnaît néanmoins que dans la profession il y a des «dépassements». «Certains pharmaciens sont comme les revendeurs qui bloquent l'entrée de mon officine. Ils ne respectent aucune règle de déontologie. Seul le gain compte», enrage-t-il, en montrant du doigt des jeunes qui obstruent l'entrée du local. «Des sanctions doivent être prises contre ces personnes malhonnêtes», tranche-t-il. Autres mis en cause : les assurés, qui utilisent frauduleusement la carte de la CNAS. Souffrant d'une maladie invalidante, une dame, septuagénaire, ramenée par son petit-fils dans un chariot, estime qu'elle a subi plusieurs contrôles après avoir changé de médecin prescripteur. «A la Cnas, on est traité comme des voleurs. J'ai été obligée de ramener un couffin d'ordonnances pour prouver ma bonne foi. Les médecins de la CNAS auraient pu être plus humains. Je sais qu'il y a des personnes qui fraudent, mais les honnêtes gens ne doivent pas subir cette situation, surtout quand on traîne une maladie chronique», dénonce la dame, qui brandit d'une main tremblante une ordonnance tachetée de bleu. La carte chifa dans les mosquées La CNAS a sonné le tocsin contre l'usage «abusif» des cartes Chifa. Des cellules de contrôle interne (CCI) de la caisse ont constaté des dépassements dont sont coupables des assurés sociaux, leurs ayants droit et des partenaires de la caisse indélicats (médecins prescripteurs et pharmaciens). «Nous avons constaté des abus dans l'utilisation de la carte Chifa. La carte est strictement personnelle, elle ne doit en aucun cas être utilisée par une tierce personne en dehors de l'assuré social affilié», a précisé Mehdi Rahal, directeur de l'agence des fonctionnaires de la CNAS d'Alger, lors d'une conférence organisée la semaine dernière. La CNAS a constaté un «nombre assez inquiétant» d'utilisateurs frauduleux, ce qui justifie sa campagne qui s'étale du 17 au 26 juillet sous le slogan : «La sécurité est un droit acquis, préservons-le». La «vulnérabilité des personnes âgées est exploitée pour utiliser la carte Chifa», fait savoir M. Rahal. «On s'est retrouvé avec des cartes Chifa au niveau des mosquées. Ces cartes circulent parmi des gens qui n'en ont pas», signale-t-il. Et de préciser que les dépenses du tiers payant (dispense de l'avance des frais) représentent la part du lion (plus de 90%). Première mesure prise par la caisse : blacklister les fraudeurs. Selon le quotidien Liberté, ils seraient 80 000 à avoir vu leurs cartes bloquées. Quelque 1500 cartes Chifa ont été désactivées durant le premier semestre de l'année en cours par la seule agence CNAS d'Alger en raison d'une utilisation excessive de la carte, ce qui a fait perdre à l'agence 10 milliards de centimes, a précisé Mahfoud Idris, lors d'une conférence de presse organisée en marge des portes ouvertes sur la campagne de sensibilisation auprès des assurés et des pharmacies. Selon le responsable, son agence a enregistré une perte de 1,7 milliard de centimes à cause de l'utilisation illégale de la carte Chifa pour l'achat du médicament Lyrica par des consommateurs de psychotropes. Pour lutter contre la fraude, la CNAS a décidé de sensibiliser le Syndicat national algérien des pharmaciens d'officine (Snapo), avec lequel des rencontres sont régulièrement organisées. «Nous cherchons avec le Snapo, notre partenaire, les moyens d'améliorer l'utilisation de la carte. Il y a beaucoup de mécanismes que nous sommes en train d'étudier. Toujours est-il que nous comptons sur le sens du civisme des assurés sociaux et du professionnalisme des pharmaciens pour permettre d'assurer les équilibres financiers de la CNAS», signale Rahal, le directeur de l'agence des fonctionnaires d'Alger-Centre. ———————————— (*) Les prénoms et les lieux ont été changés