Un estivant, qui passe ses vacances à Béjaïa en famille, a légitimement refusé de payer les 200 DA qu'a exigés de lui un gardien de parking. Son refus, tout à fait justifié, n'a pas été du goût du maître autoproclamé des lieux et une altercation verbale a vite éclaté. L'anarchie qui prend en otage l'intégralité des plages de Béjaïa a atteint une ampleur gravissime. Un estivant, originaire de Oued Souf, répondant aux initiales Z. A., a été tabassé, mercredi dernier, par des gardiens autoproclamés d'un parking près d'une plage de la ville d'Aokas, une trentaine de kilomètres à l'est de la ville de Béjaïa. Le pauvre homme, qui passe ses vacances à Béjaïa en famille, comme de très nombreux autres estivants affluant des wilayas du pays, a légitimement refusé de payer les 200 DA qu'a exigés de lui un gardien de parking. Son refus, tout à fait justifié, n'a pas été du goût du maître autoproclamé des lieux et une altercation verbale a vite éclaté. Le gardien de parking, secondé par des acolytes, comme partout ailleurs où les squatteurs s'organisent en équipe, s'est saisi d'une barre de fer et s'est acharné sur le pauvre homme, lui brisant deux vertèbres et le blessant gravement à la tête. Z. A. a été évacué dans un état comateux vers l'hôpital Khellil Amrane de Béjaïa, où il a été admis en réanimation. Selon le surveillant médical, Hafid Boudrahem, le blessé présente un traumatisme cérébral et deux fractures graves au dos. Jusqu'à hier, il était entre la vie et la mort. Ses parents, qui se sont déplacés à l'hôpital, sont dans une extrême inquiétude sur l'état de santé de leur fils. Leur séjour estival risquant de se transformer en deuil. Le fait est très grave et choque la population locale, bien qu'elle subisse depuis longtemps à son corps défendant, et au même titre que tous les visiteurs de la wilaya, les conséquences de l'absence flagrante de l'Etat. Ce dérapage assène un coup sévère aux autorités qui n'arrivent pas à imposer un minimum d'ordre dans le secteur du tourisme, véritable capharnaüm chaque été. L'agression sauvage d'un estivant sur la plage au nez et à la barbe des services de sécurité est un fait qui vide de son sens le satisfecit des pouvoirs publics quant à la réunion des conditions pour réussir la saison estivale. L'Etat impuissant Trois jours avant ce forfait, soit le dimanche 29 juillet, le ministre du Tourisme et de l'Artisanat, Abdelkader Benmessaoud, était pourtant à Aokas pour une visite de travail qui l'a conduit dans plusieurs villes côtières de la wilaya. Le premier responsable du secteur a visité une nouvelle plage (Achrit), autorisée cette année à la baignade. La visite a été empreinte d'un cachet festif, à coups de tambours, mais qui a ignoré la débandade dont souffrent les plages de la wilaya. On ne s'est pas arrêté sur la réalité de ces plages et sur la suite réservée à l'instruction du ministère de l'Intérieur et des Collectivités locales qui exige leur gratuité aux citoyens. «Béjaïa est une wilaya touristique par excellence. Le secteur du tourisme sera la locomotive de son développement, elle a les potentialités pour être une wilaya touristique à dimension méditerranéenne et maghrébine. Elle sera le cœur battant du secteur du tourisme dans le pays», avait déclaré le ministre du Tourisme et de l'Artisanat devant les caméras de télévision. Au moment de la visite ministérielle, la maffia des plages était toujours en forte activité, sauf ce jour-là, à Achrit. Le ministre n'a rien vu. Mais n'ignore rien. Sur le littoral de Béjaïa, 33 plages sont autorisées à la baignade. Les plagistes squatteurs défient l'Etat, y compris sur celles qui sont interdites à la baignade. Des tentes, des parasols, des tables, des chaises sont plantés et alignés tout le long des plages, squattant à grande échelle les meilleurs emplacements d'espaces pourtant publics. Le diktat est poussé jusqu'à interdire à des baigneurs de planter leurs parasols sur les lieux, pour les contraindre à louer auprès d'eux. Les parkings «gardés», qui normalement sont soumis à autorisation des services de la wilaya sur proposition des maires, sont de véritables petits espaces hors la loi, où les prix sont imposés et exigés souvent sur un ton menaçant. Certains de ces parkings sont tenus par des jeunes habitants des alentours qui ne possèdent aucun document officiel. Les équipes se forment même avec des mineurs, y compris sur les plages interdites à la baignade, mais non moins très fréquentées. Ils s'organisent par réseau et se répartissent les tâches sur la même plage entre loueurs de parasols, parkingueurs et tenanciers de commerce, qui sont des baraques montées avec des tas de planches et de feuilles de zinc. Ces bouts de bidonville qui ajoutent à la laideur et à la saleté des lieux ont pour voisins les postes de garde et de secours des pompiers et de la Gendarmerie nationale, représentants de l'Etat s'il en est. Que font les gendarmes ? Que font les services de sécurité ? C'est la grande question à chaque saison estivale. Chaque plage autorisée dispose de son petit groupe de gendarmes qui n'intervient pas pour rétablir l'ordre sans qu'il n'en soit instruit. Sur instruction, le darak a délogé, ces derniers jours, quelques squatteurs de la plage de Djoua à Boukhelifa, sur la côte, et les a forcés à démonter leurs tentes. L'opération a eu lieu sans résistance, mais elle ne pèse presque rien par rapport à l'ampleur du phénomène. Tighremt, Djebla, Djbira, Saket, Oued Dass, Boulimat, Acherchour, El Maaden, Tassift, Lota, Souk El Tenine, Melbou... toutes les plages sont logées à la même enseigne. Sans instruction particulière, la mission du darak se limite à afficher sa présence dissuasive pour le grand banditisme. Pour la pratique des prix au niveau des parkings autorisés ou pour le diktat des parkingeurs illicites qui sévissent même dans les villes et à longueur d'année, ni la gendarmerie ni la police n'interviennent, encore moins l'administrateur qui a été installé sur chaque plage avec ordre de veiller au «bon séjour des estivants». «On nous mène en bateau», commente un Bougiote. «Honte à nous !» réagit un habitant de la wilaya, scandalisé par ce qui vient de se passer à Aokas. Pour le commun des citoyens, il suffit pourtant de rien pour nettoyer les plages de leurs déchets et de leurs parasites. En un tour de main. Le wali par intérim a été interpellé sur cette anarchie qui a épuisé les estivants, il a promis de sévir. «Celui qui touche à la population, notamment aux estivants, qu'il fasse attention !» a-t-il menacé, rappelant qu'il est «le dépositaire de l'autorité de l'Etat». C'était à la mi-juillet dernier sur la plage de Boulimat, quelques jours après avoir menacé aussi les coupeurs de routes. Mais depuis, autant sur les routes que sur les plages, l'Etat a continué à faire cruellement défaut. Et le pauvre Z. A., qui l'a vérifié à ses dépens, ne le sait que trop bien.