Contre la culture, ils ne sortent plus leurs revolvers. Ils reconstituent les plateformes de revendication des populations locales, pareillement laissées à leur sort par les pouvoirs publics et les organisations de la société civile, y compris à caractère religieux. Des spécialistes, avec un peu de candeur et beaucoup de générosité, ont compris l'exaspération des citoyens qui ne reçoivent rien des autorités centrales en dehors des caravanes culturelles agencées et diligentées par le ministère de tutelle. Le coup de force, non abouti, contre le festival du raï à Sidi Bel Abbès montre que l'hypothèque pèse également sur un patrimoine authentiquement local. Face aux lumières de la culture et de la création, il n'y a guère l'expression de la détresse sociale, mais simplement et dramatiquement l'obscurité du fondamentalisme religieux. Mais, à chaque période, ses guerres et ses ruses. Après le traumatisme de la décennie noire, la marge de manœuvre et d'action des militants de la cause islamiste s'est drastiquement réduite. Le djihadiste en puissance a, aujourd'hui, le droit de brandir sa lourde facture d'électricité. S'il détient une arme, il sera dénoncé à la police. Si elles sont inquiétantes vu leur démultiplication, ces levées de boucliers «pacifiques» ciblant en priorité l'expression culturelle n'étaient pas moins prévisibles. Ces mouvements de fond qui gangrènent le tissu social bénéficient de sponsors, parfois institutionnels ou d'organisations vénérées par l'Etat. Depuis de nombreuses années, des émissions de radio et de télévision sont coupées pour diffuser l'appel à la prière. Dans les programmes des stations locales, les échos de la vie culturelle sont mis en sourdine pour plonger les auditeurs dans les rituels des zaouias et dans les rangs clairsemés des écoles coraniques, ceci dans l'objectif de réhabiliter les fameux référents religieux nationaux. Et c'est dans le même but de protéger les «constantes nationales» que l'Association des oulémas prend régulièrement pour cible la ministre de l'Education nationale, qualifiant ses réformes de tentatives de «déculturation» des générations. Mise en demeure de s'expliquer sur le projet de réduction du nombre des épreuves à l'examen du bac, la responsable de ce secteur a choisi de rassurer ses détracteurs en présidant, elle-même, le 20 juin dernier, dans un lycée à Khenchela, l'ouverture des enveloppes du sujet des sciences islamiques. Le ministre de la Culture est l'autre personnage de l'Etat qui subit la vindicte islamiste tout en assumant les dérives d'un pouvoir dont la marque de fabrique est de neutraliser les aspirations de la population à une émancipation culturelle, mais aussi économique et politique. En déclarant hier que «l'Etat ne permettra pas une désertification culturelle en Algérie», il ne fait que rappeler la nature de la gestion du régime en place qui, en désertifiant la scène politique, laisse le champ libre aux partisans du chaos.