Il était évident que le sommet arabe économique de Koweït, ouvert hier, était face à un immense défi : surmonter les divisions et clarifier la position par rapport à l'initiative arabe de paix de Beyrouth après l'agression israélienne de Ghaza qui a fait plus de 1200 morts et plus de 5000 blessés. D'abord les divisions. « Les dirigeants arabes sont tous responsables de la faiblesse qui marque notre position commune », a reconnu le roi Abdallah d'Arabie Saoudite. Même ton utilisé par le président égyptien. « Ghaza a montré les douleurs arabes. On doit être francs, mettre en application ce que nous disons et dépasser nos divergences », a déclaré Hosni Moubarak. « On doit être unis dans nos efforts pou l'intérêt du peuple palestinien », a proclamé l'émir du Koweït, Sabah Al Ahmed Al Djaber Al Sabah. « Le problème est dans l'identité arabe elle-même », a estimé Amr Moussa, secrétaire général de la Ligue arabe, soulignant que « l'élitisme et le fanatisme » sont les principaux pourvoyeurs de la division. « Le bateau arabe risque de couler », a-t-il prévenu. Le président syrien, qui n'est pas sur la même ligne que l'Egypte et l'Arabie Saoudite, a noté que le sommet de Koweït doit être celui des décisions. « On doit être solidaires avec nos causes et pas contre elles », a déclaré Bachar Al Assad. Hosni Moubarak a accusé, sans la nommer, « une puissance extérieure » de vouloir semer la discorde dans les rangs arabes. S'agit-il de l'Iran ? Des Etats-Unis ? Le président égyptien paraissait bien embarrassé par les critiques ayant ciblé son pays compte tenu de la position prise contre la résistance palestinienne. « J'ai donné ordre pour l'ouverture du passage de Rafah dès le premier jour de l'attaque israélienne sur Ghaza devant les aides humanitaires. Ce passage reste ouvert », a précisé Hosni Moubarak, qui s'est élevé contre le partage du monde arabe entre modérés et non modérés. « Certains veulent nous faire revenir 30 ans en arrière. Ils veulent remonter au front du refus », s'est emporté le président égyptien, mais il a adopté ensuite un langage conciliant, disant que les différends peuvent être réglés « entre frères arabes ». Manière probablement d'écarter toute médiation extérieure. Aux fins d'éviter que les choses ne se détériorent lors de la séance à huis clos du sommet, le roi Abdallah a invité à déjeuner les dirigeants de Syrie, du Qatar, d'Egypte et du Koweït. « Un déjeuner de réconciliation », a-t-on dit à Koweït. Le résultat fut surprenant. « Nous avons levé les incompréhensions et nous sommes arrivés à une entente qui aura des résultats positifs sur l'action arabe commune. Nous allons mettre la main dans la main pour panser les blessures », a déclaré à Al Jazeera Hamed Ben Jassem Al Thani, ministre qatari des Affaires étrangères. Il a expliqué que les propositions faites à la rencontre consultative de Doha consacrée à Ghaza, qui a mis en difficulté « l'axe arabe modéré », seront étudiées et développées au sommet de Koweït. « Nous avons dit que le sommet de Doha devait se tenir pour évoquer le drame de Ghaza, mais nous pouvons dire qu'après notre rencontre d'aujourd'hui, le sang des martyrs palestiniens n'est pas perdu », a ajouté le chef de la diplomatie qatarie. Autant dire qu'une bombe à retardement a été démantelée à cause notamment de la position à adopter sur l'initiative de Beyrouth de 2002. Le sommet de Doha, qui a vu la participation de 13 pays arabes, a déclaré « la suspension » de cette initiative. La Syrie veut son enterrement alors que l'Egypte la défend contre vents et marrées. Pour le Koweït, l'initiative de Beyrouth est « la base » de la position arabe. L'Arabie Saoudite a adopté une voie médiane. « L'initiative de paix ne doit pas rester sur la table. Israël doit savoir que le choix entre la paix et la guerre ne doit plus durer », a déclaré, à l'ouverture du sommet, le roi Abdallah d'Arabie Saoudite. Pour Amr Moussa, il est impératif de trouver des « alternatives » à l'initiative de Beyrouth avant de la suspendre ou de la geler. La plupart des capitales arabes reprochent à Israël de n'avoir rien fait pour « faire évoluer » cette initiative restée comme lettre morte. Les bombardements intensifs de Ghaza en sont la preuve éclatante. Pour la Syrie, il faut mettre fin à la normalisation avec l'Etat hébreu. « La résistance palestinienne a le droit de se défendre par tous les moyens et répondre à l'agression. La résistance est une base pour notre existence », a ajouté Bachar Al Assad. Pour l'Algérie, il est important de limiter les concessions faites au détriment des intérêts stratégiques arabes. L'Egypte reconnaît le droit à la résistance à condition qu'elle soit « responsable ». « La résistance est un choix de guerre qui enregistre des pertes et des profits. Pour ceux qui disent que nous sommes contre la résistance, je rappelle que l'OLP a démarré son action à partir du Caire », a soutenu Hosni Moubarak. La discorde entre Palestiniens est, pour le roi Abdallah, plus dangereuse que l'agression israélienne elle-même d'où cet appel du chef de la diplomatie qatarie d'aider Mahmoud Abbas à réaliser l'entente. « Nous n'avons pas de différend avec lui. Nous allons l'aider », a-t-il lancé. L'Egypte, elle, veut un soutien arabe « clair » à son action de réaliser la « réconciliation » interpalestinienne. Le chef de l'Autorité palestinienne a, de son côté, appelé à la constitution d'un gouvernement d'union nationale pour faire face à la grave crise humanitaire à Ghaza, à œuvrer pour lever le blocus et à préparer des élections générales (présidentielles et législatives). Pour la reconstruction de Ghaza, l'Arabie Saoudite s'est engagée à verser un milliard de dollars, le Qatar 250 millions de dollars alors que le Koweït a annoncé un don de 34 millions de dollars à l'Unrwa (agence onusienne des réfugiés palestiniens).