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Publié dans El Watan le 29 - 08 - 2018

Quelques jours avant sa soudaine disparition, le 12 février 2018, qui a dévasté tous ceux qui l'ont connu, il me confirmait par Skype son arrivée en Algérie «fin mars- début avril au plus tard». Mais l'implacable destin en avait décidé autrement . Que Dieu ait son âme !
«Le caractère, c'est la destinée»
Je voudrais ici évoquer à grands traits la personnalité, le parcours et l'œuvre de feu Hamou Amirouche, un homme dont l'engagement, le mérite et la perspicacité l'ont hissé au rang des hommes qui comptent dans le pays .
Né à Tazmalt (wilaya de Béjaïa) le 17 juin 1937, il y vécut jusqu'à l'adolescence partagé entre les travaux harassants de la forge familiale et ses études qu'il n'hésita pas à interrompre en 1956 à l'appel du FLN.
Cette période fut naturellement déterminante dans la formation de son caractère et orientera de manière irréversible son cheminement général dans la vie. En particulier, il développera une totale aversion à l'égard du système colonial qui avait mis sous coupe réglée le pays et asservissait son peuple. Sa profonde indignation l'amènera à la révolte sourde puis, sous peu, au militantisme actif puis à la lutte armée .
La forge lui apprit le sens de l'effort, la résistance à la souffrance, la ténacité et la persévérance jusqu'à l'achèvement du bel ouvrage. Et pendant qu'il pliait le fer dans la lumière vive et la chaleur étouffante de la forge, il s'était juré, quant à lui, qu'il serait bien plus solide et qu'aucune adversité ne le ferait plier !
«L'enfant est le père de l'homme»
Ce caractère bien trempé, il le doit aussi à trois personnalités marquantes qui ont inspiré et sa vision de la vie et orienté son parcours d'homme .
D'abord son père Ahitous, un fervent nationaliste de longue date (depuis 1925) qui connut les affres de la prison et les souffrances atroces de la torture jusqu'à l'indépendance du pays.
Il fut même, comble de la cruauté, torturé sous les yeux de son fils Hamou dans le jardin familial, une séquence que ce dernier portera douloureusement toute sa vie comme une blessure profonde et une humiliation. Ensuite, Cheikh Abdelmalek Foudala qu'il avait connu entre 1952 et 1957 et qui l'impressionna fortement par son modernisme, son enseignement de qualité, son nationalisme, son courage, sa forte personnalité et ses prêches enflammés pour la Révolution. Hamou fut également consterné et mortifié par sa fin tragique.
C'est à la demande des autorités militaires de Tazmalt, pour faire taire à jamais Cheikh Abdelmalek, qu'il fut arrêté par les Gardes mobiles au niveau du tunnel des Facultés à Alger puis remis aux parachutistes de Fort L'Empereur de sinistre mémoire, qui l'ont torturé et sauvagement assassiné le 12 juillet 1957. Il avait 37 ans !
Enfin, il fut subjugué par l'illustre colonel Amirouche dont le renom était immense pendant la Guerre de libération à telle enseigne qu'il était devenu une légende de son vivant. D'ailleurs c'est à lui en personne qu'il avait envoyé plusieurs requêtes pour rejoindre le maquis.
Hamou Amirouche n'a pas manqué d'encenser, à juste titre, ces trois grands patriotes dans son livre Akfadou, un an avec le colonel Amirouche, et en a gardé, jusqu'à la fin de sa vie, un souvenir ému et éclatant. Il apprit d'eux la maîtrise de soi, puis le dépassement de soi et enfin le don de soi pour la plus sacrée des causes.
Il «monte au maquis» en 1957 dans des conditions qu'il détaille lui-même dans son livre Akfadou... et passe ainsi des rigueurs de la forge aux rigueurs autrement plus drastiques, inhumaines même, de la guérilla, au niveau du PC du colonel Amirouche. Celui-ci était déjà qualifié d'«insaisissable» par l'ennemi, en raison de son extrême mobilité.
Il disait même à certains de ses proches compagnons «Ouggadhagh attefrou ounaroui thikli idhourar» (je crains que la guerre se termine avant que l'on se soit rassasiés de la marche dans les montagnes), ce qui confirme que sa réputation d'insaisissable n'était point usurpée. Hamou se familiarisera vite avec les marches interminables, les replis, les changements de cap, la faim, la soif, l'insomnie, les orages, le fond des grottes, le froid...
Des circonstances aussi dramatiques acculent toujours l'homme et le poussent dans ses derniers retranchements. Mais, tous les sens en éveil et en alerte, l'homme s'adapte et se cuirasse. En définitive, ces circonstances graves, l'instinct de survie aidant, améliorent la perception, l'attention, la concentration, l'analyse des situations et les réactions des maquisards. Elles élargissent même leurs aptitudes générales et leurs performances par rapport à la vie normale.
En mars 1958, Hamou Amirouche est dépêché par le colonel Amirouche à Tunis, pour une mission auprès du GPRA. A l'issue de cette mission, il reçut l'ordre du colonel lui-même de rester à Tunis pour reprendre ses études. Il s'inscrit alors au lycée Alaoui où il accomplit un parcours remarquable et réussit de brillants résultats. Il maîtrise en 3 ans les programmes dispensés en 5 ou 6 ans et décroche son baccalauréat avec mention.
Nous nous sommes revus à Tunis dès la reprise de ses études au lycée Alaoui qui se trouve à proximité du collège Sadiki où je m'étais inscrit. Nous nous rencontrions souvent pour évoquer des souvenirs, parler de la guerre, de notre avenir et de celui du pays. Nous ne nous sommes plus quittés véritablement, depuis, et, quand ce fut le cas, une correspondance régulière y palliait.
Je ne peux résister ici au désir de raconter une anecdote assez insolite remontant à cette époque. Il venait de quitter le maquis depuis une quinzaine de jours pour Tunis. Nous nous étions rendus au cinéma pour voir un film d'action et de suspense. Le film était captivant et à rebondissements, mais soudain l'acteur principal se saisit d'une arme lourde et tire une grosse rafale... Et Hamou de plonger instantanément sous le siège avant pour un couchez-vous salutaire, se croyant encore au maquis ! Nous en avions beaucoup ri à ce moment-là et plus tard, à chaque fois que nous évoquions cette réaction pavlovienne amusante mais compréhensible.
Après le baccalauréat, il est envoyé le 1er février 1962 aux Etats-Unis pour y suivre des études supérieures. Ce qu'il fit avec sérieux et réussite.
A son retour définitif au pays, il est appelé au cabinet de Belaid Abdesslam, alors tout-puissant ministre de l'Industrie et de l'Energie, dans les fonctions de chargé d'études, puis prendra les destinées de la Société mixte d'engineering (Serwis) avant de rejoindre l'Union arabe du fer et de l'acier comme consultant avant de prendre sa retraite.
Je ne m'attarderai pas sur son parcours professionnel car le but de cet article est d'évoquer l'homme et non sa carrière.
Hamou Amirouche était pour moi un ami indéfectible, un frère aîné attentionné, un soutien à toute épreuve et par-dessus tout, un exemple et un modèle. Et il n'y a pas de meilleure bénédiction dans la vie qu'un ami sincère ! Notre amitié a survécu au temps car au-delà des fortes affinités qui nous rapprochaient, ce qui nous liait véritablement ce sont les valeurs supérieures et l'engagement patriotique de nos pères ainsi que le prix exorbitant qu'ils ont payé pour que renaisse l'Algérie. De ce point de vue, notre amitié était aussi une fidélité et une continuation.
Une indépendance au goût amer
Plus que les atrocités de l'OAS, ce sont les déchirements post-indépendance qui provoqueront en lui ce profond désenchantement qui l'accompagnera toute sa vie. Il n'a jamais pu comprendre, encore moins accepter que des moudjahidine prennent pour cible et abattent d'autres moudjahidine. C'était l'indépendance dans la désunion, avec son cortège de clivages meurtriers sur fond d'ambitions démesurées pour la conquête du pouvoir.
Hamou n'ignorait pas que la guerre pour l'indépendance avait réuni des hommes qui n'avaient ni la même vision, ni les mêmes méthodes, ni les mêmes attentes, ni les mêmes ambitions. Mais il croyait en une Algérie meilleure car l'Algérie méritait un meilleur sort.
D'où son engagement sans faille, auprès de Belaid Abdesslam, pour la réussite de cette politique économique audacieuse et novatrice (industrie industrialisante) appelée à essaimer de proche en proche pour distiller progrès et développement, à une cadence accélérée, pour tous les secteurs et toutes les régions du pays. Ce qui signifiait, pratiquement, partir de zéro avec l'ambition de rattraper l'Espagne et devenir le «Japon» de l'Afrique.
Cette politique commençait à donner des résultats encourageants et valut à l'Algérie une considération internationale. A telle enseigne que Newsweek en 1970, en avait fait sa Une. En couverture : un portrait de feu le président Boumediène et ce titre en capitales : ALGERIA'S SECOND REVOLUTION (la deuxième révolution algérienne).
Après celui de l'indépendance, un second désenchantement attend Hamou Amirouche ; c'est la restructuration en 1977 du ministère de l'industrie et de l'Energie (sous prétexte de gigantisme) et la nomination de M. Abdesslam à la tête du nouveau ministère des Industries légères ! Hamou Amirouche avait vécu ce remaniement comme un reniement impensable qui va sonner le glas du programme stratégique conçu pour hisser l'Algérie au rang qui doit être le sien eu égard aux sacrifices immenses de ses enfants et à ses atouts économiques.
Un coup d'arrêt dicté par des considérations de pouvoir. Il constatera avec amertume qu'aucun des pouvoirs successifs n'a, depuis, tenté de réhabiliter la vision ambitieuse des années 70 basée sur l'industrialisation et l'investissement productif.
Traits marquants de la personnalité de Hamou Amirouche
La lumière vive et le feu de la forge de même que le martèlement incessant de la matière ont développé en lui ces qualités premières que sont l'endurance à toute épreuve qui bannit le renoncement et un sens aigu du devoir. Ces dispositions d'esprit lui faciliteront la vie au maquis qui, en retour, lui permettra d'aller au maximum de ses capacités naturelles et lui ouvrira des horizons nouveaux. C'est ainsi qu'il mettra cette double expérience au service du Savoir.
Ceci dit, il avait d'autres qualités pour réussir ses études, notamment l'intelligence, une bonne mémoire, la volonté de rattraper le temps perdu, le sens de l'observation et de l'analyse...
Socialement, il était d'abord facile, modeste, affable, sincère, tolérant. Il avait de l'humour, le sens de la repartie, du dialogue et du partage. Il était très attaché à sa famille et à son pays et érigeait le culte de l'amitié en mode de vie !
Il était aussi passionné. Un passionné de l'excellence ! Il incarnait parfaitement cet esprit «premier-de-la-classe» mais sans prétention ni arrogance. Une position qu'il considérait comme naturelle, tout simplement, et qui concernait les études tout aussi bien que les sports, les jeux de société ...
A ce propos, je me souviens d'une excursion vers le mont Zeghouane, en Tunisie, regroupant une centaine de lycéens à laquelle il participait en 1961. Pouvait-il seulement imaginer ou accepter de laisser quelqu'un d'autre arriver au sommet avant lui et lui ravir la première place ? C'était de l'ordre de l'impensable ! Et il atteingnit le sommet une bonne demi-heure avant tous les autres !
Quand il apprit à jouer au scrabble, il n'eut de cesse que lorsqu'il gagna tous les autres. Il en fut de même pour le jeu d'échecs, le tennis de table, le tennis de court, la plongée sous-marine, etc.
Il était aussi subjugué par la mer devant laquelle il répétait admiratif ce vers célèbre : «Homme libre, toujours tu chériras la mer» ; comme il s'émerveillait longuement de la majesté éternelle des montagnes de sa Kabylie natale, ou des forêts et cours d'eau du Colorado. Il aimait la vie et était conscient de sa chance: d'avoir eu la vie sauve pendant la guerre, d'avoir accompli son devoir de patriote sincère, d'avoir réussi ses études dans de grandes universités américaines, d'avoir rencontré la femme de sa vie au sujet de laquelle il ne tarit jamais d'éloges, d'avoir des enfants à leur image, d'avoir servi son pays loyalement...
Ses thèmes favoris étaient la Guerre de libération, la démocratie, les droits de l'homme, l'amazighité, les pouvoirs autoritaires et leurs dérives, l'arabo-islamisme, le rôle de l'élite et des partis politiques, la justice sociale, le développement économique, les relations internationales, les évolutions géopolitiques, le Moyen-Orient, les pays émergents…
Ses nombreuses qualités personnelles, bonifiées et amplifiées par les dures expériences vécues, ont fait de lui un esprit lucide et libre, un observateur attentif, un écrivain talentueux et un communiquant de haute volée.
L'écrivain et son œuvre
«L'homme n'est rien, l'œuvre c'est tout» (G. Flaubert )
Celui qui naguère pliait le fer devint un fin ciseleur de mots. Son livre Akfadou, un an avec le colonel Amirouche, paru cinquante ans après les faits, connut un succès fulgurant et eut un énorme retentissement, celui d'un best-seller.
Il l'a écrit par devoir de mémoire à l'égard de ses compagnons d'armes et pour témoigner des atrocités du système colonial et de l'âpreté de la guerre de libération. Ce livre, qui est aussi un récit autobiographique, il le «couvait» depuis des décades et était longtemps et fortement angoissé à l'idée qu'il ne paraîtrait jamais. Son écriture captivante est un exemple d'élégance et de subtilité, et son style, comme les faits nouveaux qu'il présente illuminent d'une lumière nouvelle les évènements et les hommes.
Je voudrais signaler ici le saisissant portrait qu'il dresse du colonel Amirouche, qualifié, à juste titre, d'homme d'Etat car ce chef militaire avait le sens de l'organisation et de l'anticipation, donnait l'exemple, payait de sa personne et préparait déjà l'Algérie de demain.
Ce livre est une véritable mine d'or, c'est l'œuvre d'une vie ! Il témoigne de la stature de l'homme, de l'écrivain et du penseur à la fois.
«Un livre, c'est la seule immortalité»
Il est vrai que le départ de Hamou Amirouche et de sa famille aux Etats-Unis en 1994 et son installation à San Diego lui offrirent les conditions idéales, matérielles et morales, pour reprendre et achever l'écriture de son livre. Ce projet lui tenait tant à cœur. Il était incontestablement le plus important à ses yeux.
A la parution de son livre (2009), il était soulagé et fier. Son succès en librairie le combla de bonheur. Mais ce qui comptait le plus, pour lui, à ce moment-là, c'était ce sentiment merveilleux que procure l'accomplissement d'un devoir ou le paiement longtemps différé d'une lourde dette.
Par ce livre, il a laissé une trace indélébile de son passage sur terre.
Pour moi, ce livre est plus qu'un récit sur le passé. Il vaut davantage pour aujourd'hui et demain. C'est une sorte de passage de témoin, de baroud d'honneur, de testament pour l'avenir.
Akfadou… fut suivi par Memories of a Mudjahid, un livre écrit en langue anglaise, paru aux Etats-Unis en 2015 et destiné à un lectorat anglophone. Il constitue une traduction et une adaptation d'Akfadou… faite par l'auteur lui-même. Enfin, un troisième livre paraît aux Etats-Unis, hélas, le jour même de son décès. Il aborde des thèmes similaires, mais je n'en connais que le titre : Le Jardin de la torture.
Comment ne pas rappeler aussi la série d'articles courageux et critiques qu'il avait écrits et fait paraître dans la presse nationale dans lesquels il analysait la situation du pays et proposait des solutions ? Ou son article intitulé «Abane le rassembleur». Ou encore son article en langue anglaise où il présente avec pertinence la question de l'amazighité sous le titre «La révolte amazighe de 1980».
J'invite à cette occasion sa famille en particulier et toute personne concernée, ainsi que les organes de presse, à mettre à la disposition des lecteurs l'ensemble des articles qu'il a rédigés. Ne serait-il pas plus intéressant de les réunir dans un recueil ? Ces articles étaient ceux d'un observateur attentif et d'un donneur d'alertes averti.
Enfin, cet autre trait de sa personnalité révélé par le succès de son livre Akfadou… qui lui a procuré une grande notoriété : il avait traité celle-ci en seigneur, et c'est tout à son honneur, c'est-à-dire avec beaucoup de détachement et de dignité.
L'orateur
Témoigner et transmettre ont été les buts premiers de son livre Akfadou… mais il acceptait avec joie et enthousiasme les débats d'idées auxquels il avait donné lieu.
Si de brillants écrivains sont hélas de piètres orateurs, et vice-versa, Hamou Amirouche excellait dans les deux domaines. Il s'exprimait posément et clairement dans une grande confiance en soi, parsemait ses interventions d'anecdotes pour détendre l'atmosphère, et développait son argumentaire de manière méthodique et graduelle.
Ses réponses étaient judicieuses et convaincantes. Ses auditoires étaient systématiquement conquis. Mais il eut maille à partir avec les pro-sionistes aux Etats-Unis, par exemple, en raison de ses analyses et ses positions concernant la question palestinienne ou encore avec la droite américaine qui n'accepte ni son constat ni ses critiques sur l'hégémonisme américain et ses errements.
Pour faire connaître son livre du plus grand nombre, il sillonna le pays pour des cycles de conférences, ce qu'il fit aux Etats-Unis, au Canada aussi. Ses auditoires ont alors saisi cette autre facette de sa personnalité, à savoir la maîtrise de la communication par sa facilité à aller vers les autres, son ouverture d'esprit, son sens de l'écoute et du dialogue, sa simplicité, son sens de la repartie, son humour et surtout sa sincérité. Ses auditoires admiraient son aisance et sa décontraction, et ses prestations oratoires étaient toujours ponctuées par des applaudissements nourris.
Ses débats télévisés ont toujours suscité l'engouement des téléspectateurs et son intervention, notamment, dans le documentaire sur la Bleuite produit par La 5, rediffusé il y a quelques mois, a été magistrale. Je signale que la conférence qu'il avait donnée au Canada peut être suivie intégralement sur le Net.
Funérailles imposantes pour un digne fils du peuple
L'hommage populaire qui lui a été rendu à l'occasion de ses obsèques était à la hauteur de son engagement patriotique, de son talent et de son humilité.
Des milliers de personnes s'étaient déplacées pour saluer sa mémoire : hommes, femmes, jeunes, vieux, compagnons de route, hommes politiques, artistes, journalistes, sportifs, anonymes ont tenu, portés par des sentiments de respect, de considération et de reconnaissance, à dire adieu à ce digne fils du peuple qui a choisi de retourner chez les siens pour être enterré dans la terre de ses aïeux. De gigantesques banderoles ornaient la ville et répétaient dans les trois langues (arabe, amazigh et française) «Dda Hamou Amirouche, Tazmalt est fière de vous, vous aime et vous pleure aujourd'hui».
Bien entendu, ces funérailles furent encadrées par les autorités locales, les corps constitués et diverses associations. Mais le peuple de Tazmalt et ses environs s'y est rendu massivement de manière spontanée pour manifester sa déférence pour le défunt et sa fierté pour son parcours.
Quelle meilleure «récompense» peut-on jamais espérer que cet hommage populaire fort et unanime réservé aux seuls héros de la nation ?
Lui qui n'avait jamais souhaité s'élever dans les hiérarchies officielles du pays, voilà qu'il était au firmament dans l'estime et la considération de son peuple ! Les seules qui comptent vraiment !
Le revoilà à Tazmalt, enterré à Thiouririne, comme il l'a souhaité et, qui plus est, juste à côté de la tombe de son père Ahitous si adoré... qui l'attendait depuis 1994 !
«Le chemin se trace en marchant»
La forge, la rencontre de personnalités marquantes, le maquis, son talent intrinsèque, et les opportunités favorables de la vie ont permis à Hamou le forgeron de devenir moudjahid, universitaire, homme d'action, écrivain, conférencier et penseur !
Parmi les hommes célèbres, il admirait particulièrement Franz Fanon, Martin Luther King, Nelson Mendela, Ho Chi Minh, Che Guevara, Nasser, Mao et Gandhi.
Il rêvait d'une Algérie forte, moderne et prospère, d'un régime démocratique et d'une vraie alternance au pouvoir : une alternance issue des urnes, dotée de moyens, soutenue par les institutions et protégée par la Constitution.
Il avait une force intérieure et un courage à toute épreuve en dépit de son air décontracté et volontiers contemplatif. C'était un patriote authentique à la fois démocrate et humaniste, universaliste, avec des valeurs de gauche revendiquant la modernité, l'égalité des chances et les droits de l'homme.
C'était un homme de conviction qui ne voulait d'aucune attache partisane pour sauvegarder sa liberté de parole. Il n'a jamais accepté d'être «enrégimenté» dans une structure politique qui lui aurait dicté les positions à prendre, son positionnement essentiel, à cet égard, ne souffrant aucune ambiguïté : défendre l'Algérie et non une quelconque chapelle.
Il le démontra de plusieurs manières : en plaidant pour un régime politique civil alliant valeurs patriotiques et aspirations émancipatrices ; en soutenant que la démocratie n'est pas un danger pour la Révolution ; en proposant des solutions pertinentes de sortie de crise ; en s'opposant à la confiscation de la religion par l'intégrisme ; en stigmatisant tous les dogmatismes, y compris en religion ; en prônant la compatibilité de l'islam avec la raison et la modernité, etc.
Il ne cachait pas son scepticisme à l'égard du panarabisme qui a volé en éclats après le voyage de Sadate à Israel en 1977. Comment cette doctrine pourrait-elle être viable dans la désunion et en l'absence d'un cadre unitaire à même d'imaginer des formes nouvelles de développement (des pays) et d'épanouissement (des peuples) ? Il concédait toutefois que celui qui n'était pas panarabe dans les années 60 (années de la décolonisation) était en porte-à- faux par rapport au mouvement de l'histoire.
Il s'intéressait également aux questions géopolitiques et stratégiques qui agitent le monde d'aujourd'hui et aux batailles pour la suprématie politique, économique et financière qui s'y déroulent et était concerné au premier chef, dans ce paysage tourmenté, par l'avenir des pays en développement .
Au plan national, il était particulièrement exaspéré par le mutisme de l'élite dont le pays a besoin pour entreprendre les changements salutaires et bâtir la démocratie. Il s'interrogeait : est-elle encore au service du peuple ? Puis concluait : il faut une relève de génération, une nouvelle élite pour avancer.
Hamou Amirouche nous a quittés trop tôt, il nous manque cruellement déjà.
Les années passeront et son souvenir comme son image resteront vivaces et inaltérables chez ses proches, ses amis, ses auditoires, ses lecteurs d'aujourd'hui et de demain. Il restera un exemple de courage, de lucidité et d'intégrité
Il a alerté sur les abus, les dérives, la prédation, l'incompétence et les reniements. Il n'a jamais cédé à la tentation de l'alignement ou de la résignation. Il était proche des jeunes qui buvaient ses paroles, et fustigeait sans cesse le discours de la haine et de l'exclusion. Esprit solide, il était aussi un esprit subtil et fraternel.
Il a su répondre à chaque fois admirablement à l'appel de sa conscience et a accompli son devoir jusqu'au bout.
Il a eu une vie bien remplie aux côtés de Betsy, son épouse dévouée et éclairée, et de ses enfants Mazigh et Malina, auxquels il a transmis l'amour du travail bien fait, le sens de l'effort, la droiture et le respect d'autrui.
Il est parti dans la sérénité de sa consécration.
Et c'est tout à la fois au moudjahid, à l'écrivain, à l'orateur, au penseur, à l'homme de dialogue et au digne fils du peuple qu'il n' a jamais cessé d'être que j'adresse aujourd'hui mon salut le plus ému et le plus sincère.
Adieu mon ami, adieu mon frère !


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