Des millions d'Américains espèrent que la prestation de serment de Barack Obama va marquer le début d'une nouvelle ère sur la question raciale dans le pays. Cent quarante-quatre ans après la fin de la guerre de Sécession, 50 ans après le début du mouvement des droits civiques, les Etats-Unis connaissent encore des crimes racistes. Certains préjugés restent profondément enracinés et les Noirs sont toujours bien plus pauvres en moyenne que les Blancs. Mais voir Barack Obama prendre ses fonctions, deux mois après sa victoire historique, va constituer un événement hautement symbolique, soulignent des universitaires et des experts. « Cela va être une fête spectaculaire et elle ne serait pas aussi spectaculaire s'il ne s'agissait pas du premier président noir », affirme Dedrick Muhammad, de l'Institute for Policy Studies (IPS), un centre de recherche sur la justice sociale basé à Washington. « Je crois aux symboles et au pouvoir de l'image et je pense qu'avoir pour président quelqu'un qui s'appelle Barack Hussein Obama et qui est noir va aider à lutter contre les préjugés persistant chez certains Américains blancs », estime-t-il. « Cela encourage de nombreuses minorités (...) dans ce pays (en montrant) qu'il y a davantage d'occasions pour eux » de réussir, explique M. Muhammad. D'autres militants comme lui surveillent de près les mesures entreprises par l'équipe Obama, alors que la récession économique risque de renforcer les inégalités raciales. Selon le dernier rapport en date de l'IPS, les minorités sont en moyenne plus pauvres que les Blancs et souffrent d'un taux de chômage plus élevé. Près d'un quart (24%) des Noirs vivent sous le seuil de pauvreté, contre 8% des Blancs. 12% des Noirs sont au chômage alors que la moyenne nationale est de 7,2%. « Nous partons de loin et cette élection à elle toute seule ne change pas les inégalités économiques qui ont toujours été à la base des inégalités raciales dans ce pays », insiste M. Muhammad. « Obama a franchi une étape importante, mais il reste que les Noirs sont toujours confrontés à des disparités et des risques qui vont persister même après cet événement formidable et historique », renchérit Brian Levin, directeur du Centre d'études du racisme et de l'extrémisme à l'université publique de Californie. « Ces stéréotypes sur des gens inférieurs ou moins méritants que d'autres restent prégnants », dit M. Levin, rappelant que la victoire de M. Obama en novembre a été suivie d'une augmentation sensible des agressions à caractère raciste. « Il n'est pas inhabituel que des événements politiques ou internationaux provoquent des hausses brutales, mais généralement brèves, des crimes racistes », souligne M. Levin. Barack Obama a nommé un autre Noir, Eric Holder, ministre de la Justice. Ce dernier s'est déjà illustré dans la lutte contre le racisme. L'universitaire dit penser que l'ère Obama va provoquer une évolution des mentalités, mais qu'elle s'effectuera graduellement, comme quand d'autres Noirs ont brisé la ségrégation sportive (le joueur de base-ball Jackie Robinson en 1947) ou obtenu de très hauts postes (Thurgood Marshall à la Cour suprême en 1967). « La société prend du temps à s'ajuster à ces pionniers », estime M. Levin. Même le président sortant George W. Bush a reconnu hier qu'il « ne pensait pas qu'il aurait assisté un jour à l'élection d'un Noir à la présidence », et a exhorté les critiques de son successeur à faire preuve de « respect ».