Le débat sur l'abolition de la peine de mort est malheureusement en train de tourner court parce qu'il a eu lieu non pas entre des intellectuels de bords politiques divergents mais entre des intellectuels et une élite religieuse conservatrice, fermée au dialogue. Au lieu de s'enrichir grâce à l'esprit de tolérance, la discussion s'est même, un moment, envenimée quand des membres de l'Association des oulémas musulmans algériens, se basant sur les préceptes religieux, ont haussé le ton pour passer carrément à la menace d'excommunication contre les défenseurs des droits de l'homme qui, eux, exigent de l'Etat algérien qu'il mette fin à une pratique jugée d'un autre âge. La sentence des religieux a été sans appel : « Celui qui croit qu'un jugement humain est meilleur qu'un jugement divin est un apostat et s'il meurt, on ne peut pas le mettre dans un linceul et il est illicite qu'il soit enterré dans un cimetière musulman. » Rendu par Abderrahmane Chibane, le président de l'Association des oulémas, cet anathème ne peut être perçu que comme une volonté de mettre fin à ce débat pour maintenir ainsi la question dans son statut de tabou. Le clou est enfoncé par une autre déclaration, celle de Mohamed Chérif Kaher qui a, lui, carrément fermé la porte du dialogue à la face des partisans de l'abolition : « Il est impossible que nous nous entendions avec ces gens-là, ils ne comprennent pas l'Islam. » Quelques jours plus tard, tempérant son attitude, M. Chibane, dans une clarification publiée les 17 et 18 janvier par El Khabar et Echourouk, suite aux protestations de ses contradicteurs, se défend en disant ne vouloir excommunier personne et assure par la même occasion être un homme de dialogue. Il n'en demeure pas moins que l'examen de l'éventualité d'une révision de la loi qui donnerait à l'Etat algérien un peu plus de modernité mais surtout un peu plus d'humanité est maintenant entré dans une phase conflictuelle. Quelle lecture peut-on faire de la volonté des religieux de geler ainsi la réflexion sur toute question intéressant l'évolution de la société algérienne parce que, en effet, il ne faut pas se leurrer, la peine de mort n'est pas le seul tabou que les conservateurs algériens veulent continuer à maintenir sous le boisseau pour tenter de faire accroire qu'elle relève de leur seule prérogative. D'abord, une remarque d'ordre général : il apparaît clairement donc que les leçons de la terrible période que nous avons vécue (que nous vivons encore) depuis les années 1980 n'ont pas été tirées. Les centaines de milliers de vies anéanties, les grandes souffrances vécues par l'ensemble des Algériens et les immenses dégâts qu'a subis l'économie algérienne n'ont pas tempéré la volonté des tendances politiques qui basent leurs actions sur la religion à vouloir tout régenter en jetant l'anathème sur tous ceux qui veulent déployer un effort de réflexion politique ou sociologique dans l'objectif de réaliser quelques avancées, non seulement démocratiques mais aussi sociales et scientifiques. Est-on à ce point amnésique et surtout inconscient pour oublier les effets dévastateurs des prêches incendiaires d'un Belhadj, d'un Abassi Madani et de tant d'autres soi-disant « allama » (prêcheurs) qui déclaraient « impies » tous ceux (y compris les autres courants religieux) qui ne se soumettaient pas à leurs théories politico-religieuses salafistes ? Ils ont poussé l'audace, voire l'outrecuidance, jusqu'à interdire le paradis – se rappeler l'incroyable discours du défunt Mohammedi Saïd lors de la campagne électorale pour les législatives de 1991-92. On sait sur quoi a abouti cette hystérie faite d'extrémisme et de haine de l'autre : des jeunes robotisés, aveuglés par les lavages de cerveau, n'ont pas hésité à épancher des rivières de sang (sans épargner femmes, enfants et vieillards) et à brûler un pays entier. D'une part, comment peut-on se permettre de faire comme s'il ne s'était rien passé et que l'on recommence à prononcer des anathèmes ? D'autre part, comment permettre à la société algérienne de se hisser au niveau de ces nations qui comptent actuellement sur les devant de la scène internationale si les potentialités qu'elle recèle sont ainsi toujours brimées et réduites au silence ? Il est certainement plus que temps de regarder la réalité en face : il faudra assurément des dizaines d'années pour que l'Algérie arrive à se remettre debout, à panser ses blessures et à envisager un retour à la normale. Ce sera autant, malheureusement encore, de retards comme si ceux qui pénalisent les Algériens ne sont pas assez préjudiciables et déjà assez lourds à porter. Conséquences tout aussi terribles, aujourd'hui, à cause aussi de cette ère de folie faite de conflits violents, les enfants de ce pays, torturés par la misère, l'absence de perspectives et une gestion catastrophique de leur société, préfèrent sombrer en mer plutôt que de rester là où ils n'ont que le désespoir pour horizon. Pour reconstruire, pour redonner de l'espoir, il faut des compétences capables de prendre en charge le redressement. Or les élites scientifiques sont toujours dans un mouvement de fuite parce que dans ce pays la vie, et pas seulement à cause du niveau de vie ridiculement bas, devient de plus en plus difficile à supporter. Il n'y plus ni tolérance ni sérénité, sans compter que la qualité de la vie se dégrade aussi parce qu'en plus du rétrécissement des libertés, les aires de convivialité disparaissent les uns après les autres. Pour prendre un exemple proche de nous dans le temps, n'est-il pas temps de méditer sérieusement la supériorité d'un Israël qui, démographiquement, est un nain, mais qui se dresse comme un géant économique et militaire dans une région faite d'une cohorte de pays insignifiants parce qu'ils ont nanifié leurs peuples en leur fermant toutes les voies du progrès et de la connaissance scientifique ? Même si l'on considère, à juste titre, qu'Israël est fermement soutenu par les puissances occidentales, aurait-il pesé d'un poids aussi écrasant si les régimes arabes, ce « trou noir », n'étaient pas aussi dramatiquement faibles ? Les régimes occidentaux apportent un soutien indéfectible à l'Etat hébreu parce que le monde arabe est trop insignifiant pour être pris en considération.