Une canicule et de longs trajets à parcourir. Une rentrée sans changements attendus et tant revendiqués. Alors, les parents imposent leur rythme. Les cours prennent fin à midi. Les horaires fixés par le ministère de l'Education nationale sont loin d'être respectés. La météo l'exige. Il est 7h44, ce jeudi matin, deuxième jour de la rentrée scolaire. Un petit vent frais souffle sur la station du tramway, où descendent les premiers élèves. Alors que le soleil se fait menaçant, des parents achètent des petites bouteilles d'eau minérale, les gourdes c'est pour plus tard. Devant l'école primaire Sid Rouhou, en plein cœur de Ouargla, place à la joie des retrouvailles, mais ça discute horaires et disponibilité. Dans cet établissement très prisé, dont le terminus du tramway porte le nom, des enfants accompagnés de leurs parents s'agglutinent devant la porte, seuls les élèves des classes de 3e, 4e et 5e AP sont admis à l'entrée. Bahdja, dont le fils a effectué son année préparatoire dans cette école, est venue s'enquérir : «Farouk m'a bien dit que l'enseignante leur avait demandé de ne pas venir, mais je ne l'ai cru qu'à moitié, pourquoi effectuer une rentrée des classes mercredi pour la suspendre le lendemain, on n'y comprend rien.» Sarah, qui accompagne sa fille de 7 ans, déplore que l'administration ne donne pas d'explication à cette perturbation qui s'opère d'emblée le premier jour de la rentrée. «Les élèves sont là, les enseignants aussi, mais pas de classe, ils ont décidé de fermer les écoles l'après-midi et personne n'y peut rien.» Si pour les élèves de l'école Babi Abdelkader de Beni Thour, tout le monde est d'accord pour ne ramener ses enfants que la matinée pour des raisons de «sécurité» vu que les rues sont désertes l'été à ce moment d'extrême chaleur, ailleurs, on voudrait bien que les choses soient claires. «Un aménagement des horaires concerté avec l'académie serait le bienvenu s'il était officiellement établi et appliqué, non seulement pour les enfants mais aussi pour les enseignants et le personnel administratif», explique Rokia, économe d'un collège du centre-ville. Pris au dépourvu Le directeur de l'établissement court à gauche et à droite, des parents d'élèves le pressent de questions. Aucune explication. Entre des travaux qui s'éternisent et une femme de ménage qui n'a pas fait le nécessaire, à Sid Rouhou, où des travaux de réfection et de construction d'une cantine sont salués par les parents, l'entrée principale n'était pas encore prête à recevoir les élèves jeudi. Les réseaux d'assainissement à ciel ouvert inquiètent, un regard d'égout doit être remplacé à l'entrée même de l'établissement et l'odeur des eaux usées empeste l'air. Un léger contretemps comparativement au chantier qui bat son plein à l'école Aïcha Nouaceur, un peu plus loin, et bien d'autres écoles où les travaux de réhabilitation n'ont pas pu être finalisés à temps pour la rentrée. Pour Fatima, habitante de Gherbouz, «ces travaux ont fortement perturbé nos enfants, ma fille a eu de l'eczéma et des angines à répétition depuis avril dernier, son médecin m'a demandé de lui changer d'école, mais Briqueche et la plus proche de mon domicile et je ne pourrais pas l'accompagner plus loin ou la laisser y aller seule avec cette chaleur». Le mercure affiche allégrement 44°C mercredi et 42°C jeudi, des températures trop élevées et qui plongent les bâtisses dans une chaleur infernale malgré la climatisation en mode H24. «Chaque rentrée, les classes se transforment en de vraies cocottes sous pression», note un des innombrables rapports circonstanciés envoyés au ministère de l'Education quasiment chaque année par la Fédération des associations des parents d'élèves de la wilaya de Ouargla, qui monte régulièrement au créneau pour dénoncer «la faiblesse des moyens de climatisation dans des classes en surcharge, comprenant 35 élèves au minimum et plus de 50 pour la plupart, et où les enfants passent un moment difficile même en matinée». Un constat partagé par Om El Kheir, enseignante de la classe préparatoire de l'école primaire Cherif El Afoue, qui assume pleinement le fait de renvoyer les enfants les après-midis. «Je ne peux raisonnablement pas me permettre de demander aux petits de 5 ans de revenir à 14h pour repartir à 15h30 par cette chaleur, il est de ma responsabilité de les protéger et je le fais par conscience professionnelle et par humanité envers mes élèves, ce qui ne m'empêche pas d'être présente à l'école.» La classe d'Om El Kheir est pourtant dotée d'un climatiseur, mais le souci du trajet à parcourir semble avoir pris le dessus. Les classes préparatoires ne sont pas les seules à appliquer ce planning mis en place par la communauté et qui n'offusque plus personne, y compris les directeurs d'établissement, qui ferment les yeux, et la direction de l'éducation. Les parents, eux, jouent le jeu et chaque année entre septembre et octobre, certains accompagnent leurs enfants à 8h pour les récupérer à 11h30 ou midi pour les plus grands, avec pour habitude normale et entendue de ne pas les ramener à 14h. Le sujet reste tabou pour le personnel administratif. Il suscite sourires et regards furtifs chez les personnes abordées. «Vous lâcheriez, vous, vos enfants à pareille heure alors qu'il n'y a pas âme qui vive dehors ? La chaleur ne semble pas vous incommoder.» Désert scolaire Au collège du 27 Février 1962 de Haï Bouzid. Malgré une modeste végétation qui ceint la cour de recréation, désertique par ailleurs, impossible de prendre l'air à partir de 11h, encore moins l'après-midi. A Haï Nasr, la nouvelle ville de Ouargla se veut un exemple d'écocitoyenneté. Deux écoles dotées d'un système de panneaux photovoltaïques bénéficient d'une autonomie énergétique salvatrice qui pourra leur permettre de climatiser les salles de cours. Elles font partie des 55 écoles primaires pilotes fonctionnant à l'énergie solaire à l'échelon national, une fierté et un challenge pour l'ensemble des écoles de la wilaya de Ouargla qui espèrent gagner en autonomie et en confort thermique. L'annonce de la dotation des wilayas du Sud et des Hauts-Plateaux de 2000 bus scolaires a été un soulagement pour certaines communes reculées, dont les enfants rejoignent dans des conditions très difficiles leurs écoles. A Debbiche, localité rurale située à une quarantaine de kilomètres de Ouargla, le transport public fait défaut et beaucoup de filles sont pénalisées. «Les garçons s'accrochent aux G9 et aux camionnettes, chacun fait de son mieux mais c'est trop risqué de ‘'lâcher'' sa fille toute seule quand le bus fait défaut.» Pour Saïd Otba, même si les établissements scolaires sont accessibles à pied, il faut parcourir plusieurs kilomètres dans les dédales des nouveaux lotissements pour accéder aux écoles. C'est sous le soleil tapant de mercredi à 11h15, que nous avons croisé un groupe de petits collégiens sur cette grande route menant à Ibn Rachiq Al Kairaouani, un CEM très apprécié mais qui nécessite la traversée de tout le quartier et une très longue marche pour y arriver. Evidemment, pas un arbre pour se mettre à l'ombre et l'obligation de marcher sur le bitume ou sur le sable pour ces enfants qui parcourent plusieurs kilomètres pour certains, qui y viennent à partir de Bour El Haicha (5 km). Des conditions difficiles, exacerbées par la canicule persistante et la nécessité de se faire transporter pour arriver sain et sauf à destination et éviter le coup de soleil. Une situation que tout le monde s'accorde à considérer comme un état extrême, mais dont la solution évidente ne semble pas à portée de main. Pour la Fédération des parents d'élèves qui englobe toutes les associations actives à travers la wilaya, le débat n'a plus lieu d'être, «les parents ont tranché depuis longtemps pour une révision des horaires, du calendrier scolaire et du planning des examens et des vacances scolaires à la faveur d'un réaménagement total du rythme scolaire au Sud». Selon M. Maamri, président de cette fédération depuis plusieurs années, «nous avons fait toutes les propositions, nous avons prouvé que tous les indicateurs d'une persistance des mauvais résultats scolaires sont réunis et que le Sud a besoin de souffler et donner la chance à ses enfants de vivre leur scolarité dans le bien-être et la sérénité au lieu de courir dans tous les sens à n'en plus pouvoir se consacrer à l'essentiel, améliorer ses capacités, son savoir à cause de la chaleur et de la hantise d'un examen sous des températures extrêmes». Impact Comment influe la chaleur sur ces milliers d'élèves qui se déplacent souvent dans des conditions précaires dans les coins et recoins du Sahara en quête du savoir ? Des pédagogues ont souligné l'effet de la chaleur sur la concentration, les malaises constatés pendant les cours et surtout lors d'examens cruciaux où le corps et l'esprit sont meurtris par les conditions climatiques. Mohamed El Kamel Attab, enseignant d'économie et syndicaliste, estime qu'il faut faire en sorte que les problèmes du rythme scolaire ne soient pas un véritable écueil devant l'épanouissement de l'élève. Les conditions de l'acte pédagogique s'en trouvent perturbées et peut-être que le ministère qui œuvre à l'amélioration des rendements scolaires dans cette région devrait envisager de lancer une étude scientifique sur l'impact de la canicule sur les élèves, avant de prendre une décision en faveur de ce changement escompté. Cet atermoiement est perçu comme une injustice de la part des syndicalistes, qui appellent le ministère à prendre en compte les spécificités géographiques et climatiques du Sud dans l'élaboration du calendrier des examens périodiques, des concours, des vacances, des structures et de l'encadrement.