Tant que les Saoudiens massacraient des enfants dans leurs écoles et des malades dans les hôpitaux et qu'ils provoquaient le petit Qatar, leur complice d'hier dans l'expansion du wahhabisme, ainsi que l'Iran, parce que chiite, le monde laissait faire, quand il ne réagissait pas du bout des lèvres. Tant qu'ils brimaient leurs citoyens, empêchant toute expression libre, considérant la femme comme un objet, leurs protecteurs se voilaient la face. C'est le prix à payer pour profiter des pétro-dollars saoudiens et pour fourguer la quincaillerie à l'armée saoudienne. Donald Trump lui-même, essayant de défendre l'indéfendable, a tenté de justifier son louvoiement par rapport à l'affaire Jamal Khashoggi en disant que l'Arabie Saoudite est le meilleur client de l'industrie militaire américaine. On a compris pourquoi les sociétés du locataire de la Maison-Blanche faisaient d'excellentes affaires avec les Saoudiens, et ce, depuis 1990. L'enlèvement et l'assassinat du journaliste créent un grand embarras aux Etats-Unis, d'autant que l'homme, résident en Virginie, écrivait pour le Washington Post. Les Américains ne badinent pas avec la liberté de la presse. Même des sénateurs républicains, parmi les supporters les plus fervents de Trump, condamnent le crime et exigent un «châtiment exemplaire». Ils considèrent que l'honneur de l'Amérique est plus important que des contrats d'armement. Riyad, qui a cru au pouvoir de son argent pour obtenir le silence de la communauté internationale, s'est trouvé face à un scandale qu'il n'a pas été capable de gérer. Niant dès le départ les faits, il a fini par admettre que Khashoggi est mort dans le consulat saoudien à Istanbul «lors d'une rixe».Or, selon la presse, pas moins de 15 barbouzes ont été dépêchés d'Arabie Saoudite pour liquider l'opposant dans des conditions atroces. Il y avait parmi les agents un médecin légiste proche de Mohammed Ben Salmane, l'homme fort du pays, qui avait utilisé son «talent» pour découper le journaliste méthodiquement avant de l'achever. Même le puissant lobby israélien, avec lequel le prince héritier avait conclu un partenariat stratégique contre les Palestiniens, ne lui a été d'aucun secours. Le palais royal a cru trouver un bouc émissaire en accusant un général, vice-président des services de renseignement, du crime. Mais rien n'y fit. Une mobilisation sans précédent a été constatée. Le sommet économique, le Davos du désert, prévu pour cette semaine en Arabie Saoudite, a été annulé. Les patrons du FMI et de la Banque mondiale, ainsi que les ministres concernés des Etats-Unis, de Grande-Bretagne, de France et d'Allemagne, notamment, avaient annoncé auparavant leur décision de ne pas y participer en signe de protestation contre l'assassinat de Khashoggi. Le régime wahhabite n'en a pas fini avec les déboires. Human Rights Watch, Amnesty International et RSF, notamment, ont demandé que le dossier soit pris en charge par les Nations unies. Jamais l'Arabie Saoudite ne s'est trouvée dans une si mauvaise passe. Mohammed Ben Salmane, qui se croyait tout permis depuis qu'il a écarté et emprisonné tous les autres princes saoudiens et qu'il s'est mis sous le parapluie israélo-américain, risque de se retrouver comme un pestiféré recherché par toutes les polices du monde. Les pétro-dollars peuvent procurer l'impunité, mais pas toujours. Les Saoudiens ont déjà fait trop de mal au monde avec leur soutien au terrorisme islamiste.