La relation économique entre l'Algérie et l'Europe peut-elle devenir un enjeu politicien majeur les prochaines années ? Il y a de sérieuses raisons de le penser. Tout y concourt. Tout d'abord le contexte mondial de monter des protectionnismes, doublé souvent de xénophobie, le mouvement des marchandises et celui des populations migrantes étant considéré comme un même fléau dans certains discours. Les restrictions des visas pour les Algériens souhaitant se rendre dans la zone Schengen en préfigurent la tendance. Pour le moment, les Européens n'ont pas besoin de dresser des barrières contre les marchandises algériennes. L'Accord d'association avec l'UE signé dans la précipitation par le pouvoir en quête de légitimité de Abdelaziz Bouteflika se charge de cela. Et c'est de là que vient le risque d'une tension montante sur le dossier Algérie-Europe dans les années prochaines. Un effet ciseau plane dangereusement sur l'équilibre de la balance commerciale entre les deux parties. Au détriment de l'Algérie. En 2019, la valeur des exportations algériennes vers l'UE va entamer une baisse sensible. Et en 2020, les importations algériennes à partir de l'UE connaîtront un coup de pouce avec la fin du démantèlement tarifaire pour la gamme la plus large des produits industriels, ainsi que pour 36 contingents préférentiels de produits agricoles. Il faudra ajouter à ce coup de pouce l'accélération du manque à gagner en recettes douanières que va provoquer l'entrée en vigueur de cette fin du démantèlement tarifaire engagé trois années après la signature de l'accord. L'installation objective de l'Algérie dans une structure de balance des paiements déficitaire de long terme -en 2018 ce sera le cas pour la 4e année consécutive- va amener la relation économique et commerciale avec l'UE au cœur du débat politique. L'Algérie a gagné du temps en obtenant le report de 2017 à 2020 du parachèvement du processus de démantèlement tarifaire, qui permet aux produits européens d'entrer sur le marché algérien sans frais de douanes, ou à des taux préférentiels très bas. Le fonds du problème lui n'a pas bougé. L'Algérie exporte toujours en 2018 aussi peu de produits non énergétiques vers la zone de son partenaire de libre-échange. Et elle attire toujours aussi peu d'investissements directs européens sur son territoire. Les faiblesses des exportations hors hydrocarbures de l'Algérie vers l'Europe et celles des IDE européens en Algérie sont liées. Un pays peu attractif pour l'investissement étranger (51-49, droits de préemption, difficulté de rapatriement des dividendes), ne peut pas devenir une puissance exportatrice par l'émergence simple de ses propres entreprises. Le premier chapitre de la crise potentiellement à venir entre l'Algérie et l'Union Européenne se joue déjà en 2018. Il s'agit des négociations en cours de Sonatrach avec ses partenaires en Italie, en Espagne et en France pour la reconduite des contrats de livraison de gaz naturel qui arrivent à échéance à partir de l'année prochaine. La situation est complexe. Le paradigme des années 70-80 de l'industrie et du commerce du gaz naturel est agonisant. Rappelons le tout de même. La filière de l'exploitation du gaz naturel est hautement capitalistique. Elle nécessite d'importants investissements de l'amont vers l'aval et ne peut se développer qu'avec un partage du risque financier. Une partie de ce risque est protégé par les contrats de livraison à long terme. L'autre partie devait être protégée par l'indexation du prix du million de BTU du gaz naturel à celui du pétrole, étant présupposé que le prix du pétrole ne pouvait que tendanciellement s'apprécier, car sa déplétion géologique est plus proche de celle du gaz naturel. Ce modèle a permis de construire une relation forte dans la durée entre Sonatrach et ses clients de l'Europe du Sud approvisionné par gazoduc (Italie-Espagne) ou par méthanier pour le GNL (France). L'industrie mondiale du gaz a pu se développer à l'ombre de ce mécanisme de partage des risques entre pays producteurs et marchés destinataires. 25 ans se sont écoulés depuis et la bulle de l'offre de gaz naturel actuelle a changé le rapport de force en faveur des clients, qui ne se sentent plus tenus d'assurer la garantie d'achat dans le long terme et font jouer les mécanismes du marché spot, de court terme. Deux menaces pèsent donc sur les revenus gaziers de Sonatrach. La première est l'obligation de vendre à un prix plus proche de celui du marché spot, plus bas que celui des contrats historiques de longue durée. La seconde est de subir durablement sur ce marché spot la déconnexion de fait entre l'évolution du prix du brut et celui du million de BTU de gaz naturel. Les six indices du prix du gaz dans le monde (Etats-Unis, UK, Pays-Bas, Allemagne, Japon, et Asie de l'Est) montrent tous ce découplage qui voit le prix du gaz ne pas remonter depuis un an sur une courbe comparable à celle du prix du pétrole. Dans ce scénario, tangible déjà aujourd'hui, le chiffre d'affaires commercial de l'Algérie avec l'Union européenne promet de baisser par un effet valeur à partir de 2020. Il baissera sans doute aussi par un effet volume, si la consommation domestique continue sa croissance échevelée, prélevant de plus en plus de part de gaz destinée à l'exportation. Dans le même moment, les biens industriels et agro-industriels européens auront un accès encore plus libre vers le marché algérien. Cela ressemble furieusement à la préfiguration d'un cumulo-nimbus chargé d'orages sur la ligne d'horizon de la relation Algérie-UE. Dans une compétition politique normale le thème de la relation économique avec l'Europe deviendrait central dans les prochaines années. Si l'Algérie était institutionnellement organisée autour de l'alternance démocratique des programmes politiques, le thème du libre-échange entre l'Algérie et l'Union européenne aura à peser dans les positionnements de campagne. Un ancien ministre du Trésor algérien, Ali Benouari, soutient clairement qu'il faut suspendre l'Accord d'association entre l'Algérie et l'Union européenne et en rediscuter un nouveau de fond en comble. Les légalistes, dans l'administration algérienne, affirment qu'il s'agit d'une revendication difficile à soutenir au terme des mécanismes mêmes de l'accord, car il n'a pas provoqué de grands déséquilibres jusqu'à maintenant. La part des importations algériennes à partir de l'UE tourne toujours autour de 50% du total des importations et celle des exportations avoisine toujours sensiblement les 65% dans le total des exportations. La réponse est bien évidemment technique. Le fait est que les exportations sont toujours quasi strictement énergétiques. Et qu'elles sont sur le chemin du déclin. Tandis que les importations à partir de l'UE, elles, vont encore se diversifier plus avec la dernière séquence du démantèlement tarifaire. En outre, l'Accord d'association intègre de nombreuses autres dispositions qui attendent leur mise en œuvre. Un positionnement politique pour la suspension de l'Accord d'association peut-il donc rencontrer un public dans l'opinion algérienne? Le débat, jamais réellement lancé, affleure aujourd'hui que les nuages s'amoncellent sur l'avenir de cette relation au cœur d'un monde tendu, où les barrières commerciales remontent plus vite qu'elles ne baissent.