Pour le troisième jour consécutif, les affrontements d'une rare violence entre les communautés ibadite (Mozabite) et malékite (arabophone) se sont poursuivis, frôlant la guerre civile. La situation a empiré au moment où une Mozabite, circulant dans le quartier Boudouaya, selon des témoignages, a manqué d'être brûlée vive par un cocktail Molotov. Elle n'a dû son salut qu'à l'intervention de jeunes se trouvant sur les lieux, qui ont réagi à cette « agression » par des jets de pierres. Pour tenter de faire revenir le calme, les éléments des brigades antiémeute se sont interposés entre les deux belligérants. Berriane (Ghardaïa). De notre envoyé spécial Non contents de l'intervention des forces de l'ordre, les jeunes des deux communautés s'en sont pris aux policiers. Ces derniers ont riposté avec des grenades lacrymogènes, tout en essayant d'éviter au maximum la confrontation. Une attitude différente aurait certainement débouché sur un bain de sang. Néanmoins, plusieurs blessés ont été enregistrés durant cette journée. On a appris de sources officielles qu'il y a eu aussi plusieurs interpellations. Ces batailles rangées se sont poursuivies durant toute la journée d'hier, plongeant la localité de Berriane dans une effroyable psychose. Tous les quartiers empestaient les gaz lacrymogènes. Pour ce qui est des dégâts, en plus de ceux déjà enregistrés vendredi et samedi, d'autres maisons ont été incendiées hier. La localité donnait à voir de véritables scènes de guerre. Des colonnes de fumée noirâtre s'élevant dans le ciel, aux quatre coins de la ville. Devant ce chaos, les habitants des quartiers mixtes ont quitté leurs demeures, forcés à l'exil. Ce mouvement de population a, rappelle-t-on, commencé en mars 2008. Les protagonistes, d'un côté comme de l'autre, saccageaient et incendiaient habitations et commerces. 11h. La situation à Hay Saraâf et dans la rue de l'Indépendance a dégénéré. Aux jets de pierres qui fusaient de partout, les forces antiémeute ripostaient avec des tirs de bombes lacrymogènes. Insécurité totale A certains endroits, les bombes lacrymogènes ont atterri à l'intérieur des habitations. Des dizaines d'enfants et de femmes, étouffés par les gaz, ont échappé de peu à l'asphyxie. L'air était irrespirable dans tous les quartiers de Berriane. Nous avons tenté d'avancer, accompagnés de certains notables de la communauté mozabite, sur la rue de l'Indépendance. Un officier de police nous a alors arrêté et nous a conseillé d'éviter d'aller plus loin sans escorte, au risque de se faire tuer. « Nous devons vous accompagner, sinon vous risquez d'y laisser la vie », nous a-t-il averti. Accompagnés par des policiers, nous sommes enfin arrivés à atteindre le quartier que nous voulions visiter. Soudain, une personne encagoulée, armée d'un gourdin, devinant que nous étions des journalistes, s'adresse à nous d'un ton ferme : « Dites que les affrontements ont repris et qu'il y a eu mort d'homme sans que la police n'intervienne. » Il faut dire, comme aux premiers jours de cette confrontation, les émeutiers n'arrêtent pas de fustiger les policiers. Certains, surtout les jeunes de la communauté mozabite, demandent carrément leur départ de Berriane. Ali, qui souhaite ne pas révéler son identité, soutient de toutes ses forces que « la police est complice dans ce conflit ». Avant qu'un adolescent ne l'interrompe pour abonder dans le même sens : « J'ai vu de mes propres yeux un policier céder son arme à jet de bombe lacrymogène à un arabophone », témoigne-t-il. « Les malékites ont défoncé les murs de nos cimetières et tabassé certains des nôtres », dit Nasredine. A ce moment-là, un homme d'une quarantaine d'années nous rejoint. « Je suis pharmacien et je viens d'être victime d'une agression », lance-t-il, dépité. C'est la panique générale. Non loin de là, un officier de police tente de négocier avec un jeune Mozabite pour calmer les esprits. Et au jeune de répliquer : « Sécurise-moi cette ruelle et je te garantirai la sécurité au niveau de ce carrefour. » « On nous traite comme des juifs » Un autre homme nous a rejoint, le subdivisionnaire des travaux publics de Berriane, nous annonçant que sa maison, située à Hay Hamouda, venait de prendre feu. Lyès, 16 ans, blessé à la tête, a témoigné : « Ce matin, une famille est venue rendre visite, à la clinique des urgences, à un proche qui a rendu l'âme. Il avait près de 100 ans. Les malékites les ont attaqués avec un cocktail Molotov. » Partant de ce constat, il a demande au policier présent sur les lieux de « s'occuper plutôt des provocateurs ». Le visage maculé de sang, notre interlocuteur nous a dit, dépité : « Nous sommes victimes de la hogra. Nous demandons que les droits de l'homme soient protégés. » Une autre personne, en colère et déçue par l'attitude des autorités et le fait qu'on les ait abandonnés, a lancé : « On sympathise avec la population de Ghaza mais ici, l'Etat nous traite comme des juifs. » Pour ce jeune, « c'est une guerre entre Arabes et Mozabites ». « Evitez d'utiliser, dans vos articles, les vocables ‘'ibadite'' et ‘'malékite'', car de cette façon vous mettrez de l'huile sur le feu. » Il nous a expliqué que le problème entre les deux communautés est d'ordre ethnique. Berriane, 13h. Nous avons rejoint le siège de la daïra. Une femme de la communauté arabophone est venue se plaindre, accompagnée de son mari et de ses trois enfants, criant que sa maison a été saccagée. « Il ne me reste rien. Ma maison vient d'être incendiée. » Emplie de douleur et de larmes, elle a ajouté : « Moi je ne suis ni Arabe ni Mozabite, je suis contre tout ce qui se passe. Qu'ai-je fait pour mériter cela ! » A ses côtés, son mari ne peut contenir sa rage. Il convient de noter que les deux victimes des affrontements n'ont pas encore été inhumées pour les besoins de l'autopsie et de l'enquête. Leur enterrement dépend de la décision du parquet. Dans les rues de Berriane, on redoute vraiment ce moment. Car le conflit entre les deux communautés pourrait prendre des proportions plus dramatiques encore. Dans l'après-midi d'hier, la confrontation a certes baissé d'intensité. Un calme précaire était revenu dans certains quartiers. C'est dans un climat de « ni guerre ni paix » que nous avons laissé cette localité de la vallée du M'zab, sans pouvoir présager de quoi demain sera fait…