Ecole Emir Abdelkader. Berriane, à 45 km de Ghardaïa et quelque 550 km au sud d'El Mouradia. Il est à peine 8h30 ce jeudi 9 avril, jour d'élection présidentielle et ce centre de vote qui compte six bureaux et 3100 inscrits est déjà pris d'assaut par les premiers votants. Ce sont surtout des personnes âgées. Berriane (Ghardaïa) De notre envoyé spécial « Le matin, ce sont généralement les retraités et les chômeurs qui votent. Après, cela va s'accélérer ! Beaucoup de gens sont à leur travail », indique le chef du centre, qui se félicite de cette « bonne affluence » matinale. Fait notoire : seul le candidat Abdelaziz Bouteflika a des représentants dans le centre de vote, comme du reste dans l'écrasante majorité des 43 bureaux de vote de Berriane. D'ailleurs, sur les murs de la ville, il n'y en a que pour lui. Même sur les panneaux affectés à l'affichage électoral, il est rare de voir la bouille d'un candidat concurrent, à croire qu'il s'agit plus d'un vote-plébiscite que d'une élection présidentielle. Les affiches de Si Abdelaziz sont vraiment sur toutes les façades : cafés, boutiques, institutions ou associations. Un jeune adolescent longe une ruelle à vélo, un drapeau national à la main et une affiche de Bouteflika pendue au guidon. Toute la journée, des voitures pavoisées à l'effigie de Boutef' sillonnent Berriane en klaxonnant à la santé du président. Sur le capot d'une Clio, un fervent supporter disposait une affiche sur laquelle le « roi Boutef' », est couronné d'une chachia à la façon mozabite. Vous pouvez apercevoir un peu partout ces affiches d'un Bouteflika attifé suivant le code vestimentaire local. La coiffe mozabite est parfois ajoutée à la main ou par photoshop pour signifier que la région n'est pas en reste dans ce méga festival d'allégeance au maître d'El Mouradia. La police antiémeute en renfort Outre l'omniprésence du bleu de campagne de Bouteflika, un autre bleu sature le paysage à Berriane : celui de la police. Un dispositif sécuritaire impressionnant quadrille la ville. Des policiers en casque antiémeute sont postés au quatre coins de la cité mozabite. Des camions de police grillagés, des Nissan et autres véhicules blindés sont déployés tout au long de la Nationale 1 qui coupe Berriane en deux. Des renforts de la gendarmerie sont également stationnés devant les centres de vote et dans les profondeurs de la ville. La raison de cet étalage de la force publique est évidemment liée aux récents événements de Berriane où de violents affrontements entre communauté malékite et communauté ibadite ont fait deux morts, en janvier dernier, tous deux issus de cette dernière. « N'étaient ‘'shab el kaskita'' (les hommes en uniforme), ils nous auraient transformés en viande hachée », lance un ibadite. Un jeune de la communauté « arabe » disculpe les siens. « Généralement, c'est celui qui attaque qui accuse des pertes », rétorque-t-il. Les derniers grands affrontements entre les deux communautés remontent à 1990 où deux ibadites ont trouvé la mort. Dix-huit ans plus tard, les violences ont repris avec une intensité dramatique. Cette fois, elles ont duré une année entière avec des intermittences. Bilan : 4 morts parmi les ibadites et plusieurs blessés des deux côtés, des commerces dévastés et des maisons saccagées. « Ces événements ne sont pas l'œuvre de simples adolescents. Ils sont manipulés par des gens à qui profite de cette situation », dissèque le propriétaire d'une station de lavage. La thèse de la manipulation est d'ailleurs partagée par nombre d'habitants de Berriane qui ne comprennent pas la malédiction qui frappe leur ville. Malgré le pacte de conciliation conclu récemment à Ghardaïa entre les représentants des deux communautés, la tension persiste. Elle aura d'ailleurs plané sur ce scrutin, même si l'élection s'est déroulée dans le calme. « Les forces de sécurité craignent que des gens profitent de la médiatisation de l'élection pour faire une opération d'éclat », conjecture un cadre, technicien de santé publique. Des séquelles de ces incidents sont encore visibles sur certains commerces à la façade calcinée, au centre-ville. Dans une ruelle, on peut voir une échoppe ravagée et ce graffiti qui en dit long, inspiré d'un verset coranique : « Lakoum dinoukoum wa lya dini » (vous avez votre religion et j'ai la mienne). Consensus autour de Bouteflika La géographie de Berriane sied parfaitement à cette dichotomie doctrinale. La haute ville est occupée par la population de rite malékite, dite communément « arabe ». La basse ville est à dominante ibadite. Entre les deux, la Nationale 1, « l'Etat protège la route », accuse un commerçant. « Sans la RN1, il y a longtemps que les deux parties se seraient entre-tuées », ajoute-t-il, avant de prévenir : « On parle de faire dévier la route nationale de façon à ce qu'elle contourne la ville. Si jamais ils le font, adieu Berriane ! » Et de reprocher au pouvoir d'avoir laissé pourrir la situation, sentiment exacerbé par une vidéo qui a beaucoup circulé sur Youtube et montrant des forces antiémeute passives devant des fauteurs de troubles déchaînés. « Ils sont capables de départager 120 000 spectateurs au stade du 5 Juillet quand se joue le derby MCA-USMA et ils ne sont pas capables de faire régner l'ordre dans une ville de 30 000 âmes, chèvres comprises », poursuit notre commerçant, Aussi la revendication de ce citoyen mozabite se résume-t-elle en un seul mot : « Lehna (la paix). » « Nous voulons la paix. Pour le reste, nous avons toujours compté que sur nous-mêmes », dit-il. L'homme confie avoir donné sa voix à Bouteflika « pour qu'ils ne disent pas qu'on est contre l'Etat. Nous, on a accompli notre devoir électoral pour montrer qu'on adhère à l'Etat ». D'ailleurs, l'observateur averti aura noté que les posters de Bouteflika font consensus entre les deux communautés. Question qui coule de source : les bureaux de vote obéissent-ils, eux aussi, à ce découpage ethnique ? « Chaque communauté dispose de ses centres de vote spécifiques », indique un habitant du quartier arabe. Adbelkader, 32 ans, vendeur d'oiseaux sur les hauteurs chaotiques de la ville, affirme pour sa part voter dans son quartier. « J'évite de m'aventurer en bas », dit-il. Lui aussi, il vote Bouteflika. « Ellli taârfou khir melIi mataârfouche » (celui que tu connais vaut toujours mieux que celui que tu ne connais pas), professe-il. Une tournée dans les centres de vote montre toutefois que si pour des raisons de commodité et de domiciliation, électeurs malékites et électeurs ibadites sont plutôt massés autour de leurs quartiers respectifs, ceci est loin d'avoir constitué un critère pour l'administration lors de la répartition des centres de vote. C'est ce que nous confirme ce responsable à la daïra de Berriane : « Les centres de vote sont mélangés. Aucune disposition n'a été prise pour séparer les électeurs des deux communautés. » Ce que corrobore, par ailleurs, la tournée que nous avons effectuée à travers plusieurs centres de vote à Berriane (quand les chefs de centre le permettaient) et où effectivement on pouvait voir malékites et ibadites voter côte à côte. Pour une « moussalaha » malékites-ibadites Toujours est-il que les derniers événements ont laissé des plaies encore ouvertes. « J'ai ma maison dans la partie malékite, mais je l'ai abandonnée après les derniers incidents. Je suis maintenant du côté mozabite. Je ne pense pas remonter là haut, pas dans l'immédiat en tout cas. Quelque chose s'est cassé dans mon cœur », confie un témoin des derniers affrontements. Même chose en sens inverse où plusieurs malékites ont quitté leurs maisons pour s'installer dans leur communauté par crainte de fâcheuses représailles. Tout cela explique donc ce déploiement des services de sécurité digne d'une opération antiterroriste. Aussi, d'aucuns appelant de leurs vœux une « moussalaha » (réconciliation) adaptée au contexte de Berriane. Au demeurant, c'est tout l'esprit des accords de Ghardaïa. En attendant de sceller une paix durable entre les deux parties, les urnes de Berriane continuent à se remplir au gré des votants qui affluent de plus belle dans une ambiance bon enfant. De 2,67% à 9h, le matin, le taux de participation est passé à 49,74% à 16h. « Les gens vont voter en force après la prière d'el asr », exulte un encadreur de bureau de vote. Les femmes aussi ont voté massivement. La ville compte presque autant d'électeurs (8503) que d'électricité (7854). « Moi, je vote Bouteflika, il nous a ramené la paix », résume un jeune. Une femme âgée lâche simplement : « Que Dieu apporte le meilleur pour notre pays. » Des chants patriotiques retentissent avant que la voix imposante de Moufdi Zakaria, le grand poète mozabite de la Révolution, ne scande des strophes impétueuses. Au marché, les prix flambent comme partout ailleurs. Un vendeur de légumes fulmine : « Je ne vote pour personne. Que nous ont apporté ces gens-là ? Le vote n'a rien changé à notre condition. » La pomme de terre caracole à 85 DA. Sur un étal à côté, le très populaire « terfas », la truffe blanche, est cédé à 270 DA. La misère sociale explique, selon plusieurs habitants, l'ampleur prise par les heurts intercommunautaire. « C'est le chômage qui a attisé les tensions », fait observer un fonctionnaire. « Les champs gaziers de Hassi R'mel sont à côté et pourtant nos jeunes sont difficilement embauchés là-bas, Pourquoi cette discrimination ? Je comprends qu'on ramène un ingénieur du Nord, mais pas un chauffeur ou un agent de sécurité », assène un abstentionniste.