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Le pouvoir et le ministère de l'Information sont responsables du désordre qui règne dans la presse électronique Saïd Boudour. Cofondateur du Syndicat algérien des éditeurs de la presse électronique (Saepe)
Les membres du Syndicat des éditeurs de la presse électronique (Saepe) disent avoir été empêchés de tenir leur assemblée élective. Le climat est peu favorable, notamment avec l'emprisonnement de plusieurs de ses membres. Retour sur le sujet pour préciser la nuance entre bloggisme et journalisme. – Vous avez annoncé, depuis mars dernier, l'organisation d'une assemblée élective pour la création officielle du Syndicat algérien des éditeurs de la presse électronique (Saepe). Mais cela n'a, visiblement, pas abouti. Qu'est-ce qui a empêché, jusque-là, sa création ? L'initiative a été prise depuis le mois de février, après le blocage dont a été victime le site électronique d'information TSA. Nous nous sommes dit qu'il était temps de s'organiser, car nous avions senti le danger qui nous guettait. Aujourd'hui, nous y sommes. La presse électronique a subi des attaques sans précédent en Algérie. Six journalistes, dont quatre responsables de sites électroniques, sont en prison pour «délit de presse» qui est normalement dépénalisé par les lois algériennes. Cela confirme nos craintes. Parmi eux, il y en a même qui sont membres de notre syndicat. Pour revenir au sujet. Nous avons émis le souhait d'organiser notre assemblée élective pour élire le bureau national et le président du syndicat. C'est une première étape avant le dépôt du dossier auprès du ministère du Travail. Nous avons même choisi la date de sa tenue que nous avons rendu publique. Mais deux jours avant l'AG, des agents de sécurité en civil ont débarqué au siège du Maghreb Emergent, où devait se tenir l'assemblée, et ont demandé à voir son responsable. Ils l'ont sommé d'annuler l'activité en question et de demander, notamment, aux membres des autres wilayas de ne pas venir. – Et quel était leur argument ? Ils ont dit que nous avons besoin d'une autorisation de la wilaya d'Alger pour tenir notre assemblée, ce qui est complètement faux. La loi 90/14 qui organise l'activité syndicale n'exige aucunement l'autorisation en question. Nous avons fini par nous réunir au même siège, où nous avons été informés de la décision. Après concertation, nous avons décidé de ne pas tenir l'AG tout en rendant public un communiqué qui explique l'interdiction. La décision de ces derniers était arbitraire. Nous avons quand même fini par demander l'autorisation en question, pour laquelle nous n'avons jamais eu de réponse. Puis, j'ai rencontré le ministre du Travail lors de son déplacement à Oran, en avril dernier. Je lui ai fait part de l'interdiction de notre syndicat, lui n'a pas vu en cela quelque chose d'anormal. Je lui ai rappelé que cette procédure était illégale selon la loi 90/14. Il m'a assuré que la demande d'autorisation était normale et que c'est au service de sécurité, qui doit examiner, selon lui, notre demande de décider si le ministère accorde sa reconnaissance au syndicat ou non. Cela veut dire que le traitement réservé aux syndicats est d'ordre sécuritaire et non législatif. – Quel est actuellement le statut juridique des sites électroniques d'information ? Sont-ils reconnus en tant que tel ou pas ? Nous existons dans la loi sur l'information de 2012 qui mentionne ce qu'on appelle la «presse électronique». Sur le plan politique, parmi les prix des lauréats du prix de Bouteflika pour les journalistes professionnels, il y a aussi celui de la presse électronique. Plusieurs sites sont invités par les officiels et les ministres. Ces derniers leur accordent même des interviews et des déclarations. Il y a, donc, à la fois, une reconnaissance politique et au niveau des lois. Mais la réalité du terrain montre autre chose. Quand un journaliste de la presse électronique est poursuivi en justice, par exemple, cette dernière le considère comme un blogueur et non comme un journaliste. Cela s'est passé dans la wilaya de Sétif avec deux membres du Saepe qui travaillent pour le site électronique La voix de Sétif (Sawt Setif). Ces journalistes ont été condamnés à des peines allant de six mois à une année de prison ferme pour «diffamation». Le juge ne leur a pas reconnu le statut de journaliste. Il les a considérés comme des blogueurs. Nous avons tous vécu ce genre de situation. Il faut savoir qu'on ne nous accorde pas la carte de presse. Avant sa détention, Abdou Semmar racontait, lors de nos réunions, que lui-même est considéré devant le procureur comme blogueur à chaque fois que la justice le convoque. Sauf que le blogueur n'est pas protégé par la loi en Algérie, c'est le cas de Merzoug Touati, qui a été condamné à sept ans de prison ferme pour avoir fait son travail de blogueur. Donc, la réalité est toute autre. – Quelle est la place du bloggisme en Algérie ? A-t-il réellement une présence ? Le bloggisme a eu un impact important en Algérie. Son importance réside dans les informations que rapportent les journalistes-citoyens (facebookers, à ne pas confondre avec journalistes) et leur influence sur l'opinion publique. Dans ce monde de l'électronique, notamment depuis l'avènement des réseaux sociaux, il est devenu à la portée de tout le monde de devenir blogueur. L'apparition du bloggisme en Algérie est la conséquence des repressions exercées par le pouvoir sur les médias traditionnels, toutes tendances confondues. L'espace d'expression est rétréci, ce qui a poussé les citoyens à diffuser par eux-mêmes ce qu'ils voient d'intéressant et qui peut intéresser, selon eux, les gens. Ils sont des centaines maintenant. Ce nouveau phénomène représente un danger pour le pouvoir qui n'arrive plus à le maîtriser ou à le contenir. C'est la raison pour laquelle, il a instauré la loi sur la cybercriminalité. Le but étant de les réprimer. Maintenant, c'est au tour des sites électroniques. – Pourquoi le pouvoir s'attaque-t-il aux sites électroniques, comme vous le dites ? Pourquoi maintenant ? Premièrement, le pouvoir n'a pas le contrôle sur les sites électroniques. Deuxièmement, il a peur du syndicat qui, dès qu'il a vu le jour, a commencé par se structurer, se positionner et prendre de l'ampleur. Le journalisme autonome, comme c'est le cas des médias électroniques, effraie le pouvoir. Il est aveuglé par son acharnement, la raison pour laquelle il dénigre et traumatise les journalistes et la corporation d'une manière générale pour se donner du temps et instaurer une nouvelle loi qui va lui permettre de nous contrôler. Il veut casser notre dynamique, qui est pourtant constructive. – Beaucoup d'observateurs et même des journalistes qualifient la presse électronique algérienne d'«anarchique». Ils disent que les sites poussent comme des champignons et que beaucoup d'entre eux ne se soumettent pas à la déontologie et l'éthique du métier. Que pensez-vous de l'expérience algérienne en la matière ? Si les critiques soulevées concernent les erreurs du métier et la déontologie de la profession, je dirais que seul le pouvoir est à blâmer dans ce cas de figure. Nous nous sommes proposés comme partenaire constructif, mais il ne veut pas de ce modèle réfléchi. Nous lui avons soumis un projet détaillé et explicatif, en vain. Le pouvoir aurait dû ouvrir le débat avec les professionnels du syndicat. Pour l'exemple, le Conseil d'éthique de l'information n'est toujours pas installé, comme le prévoit la loi sur l'information de 2012. Nous avons demandé, depuis le 2 mai dernier, soit la veille de la Journée mondiale de la liberté de la presse, à rencontrer le ministre de l'Information, en vain. Le seul responsable de ce désordre est le pouvoir. Il est le seul responsable avec le ministère de l'Information de ce qui se passe actuellement. Je prends l'exemple des sites créés par le patron d'Ennahar. Ce dernier a de nombreux médias qui passent la journée à attaquer et à dénigrer ses adversaires, y compris de la corporation des journalistes. Ce désordre arrange le pouvoir et ses relais. Ils aiment bien travailler dans l'anarchie, contrairement à ce que nous souhaitons. – Certains journalistes détenus font partie du syndicat. Sinon, ils sont majoritairement de la presse électronique. Que comptez-vous faire ? D'abord, nos communiqués ont été tous repris par les médias du monde. Je cite ici Le Monde et Reporters sans frontières. Le syndicat n'a jamais abandonné ses journalistes et ne compte pas le faire. Nous avons fait la lumière sur le dossier de nos confrères détenus et contrecarré la propagande de certains médias pro-pouvoir qui ont tout fait pour dénigrer leur image et leur dignité. Il est possible que nous allons déclarer des actions de rue. Il y aura certainement d'autres prises de position que nous allons exprimer à travers nos communiqués. Nous allons continuer à nous réunir et à nous concerter pour tous ce que nous allons faire dans l'avenir. Nos confrères sont poursuivis pour «délit de presse». Le journalisme n'est pas un crime. Et leur place n'est pas en prison. – Saïd Boudour – est né en 1982 à Oran. Il est licencié en traduction de l'université d'Es Senia. Il a été correspondant de plusieurs organes de la presse écrite à Oran avant de rejoindre KBC en 2015, puis le site électronique JCA après la fermeture de la chaîne télé en 2017. Il est, également, défenseur des droits de l'homme et connu pour sa défense des droits des migrants subsahariens en Algérie.