Des sources bien informées écartent l'éventualité d'un 5e mandat pour Bouteflika et expliquent que tous les événements vécus depuis le putsch contre le président de l'Assemblée, Saïd Bouhadja, jusqu'à la mise en congé longue durée de Djamel Ould Abbès, feraient partie d'une feuille de route qui assurerait une succession consensuelle. Depuis le débarquement de Saïd Bouhadja de son poste de président de l'Assemblée nationale, les événements ne cessent de s'accélérer et tout porte à croire à la mise en place d'une feuille de route pour la prochaine élection présidentielle. Les contours ne sont pas clairement définis, mais les indiscrétions des uns et des autres nous permettent plus ou moins de décrypter la situation et de pouvoir se projeter sur 2019. Pour bon nombre de nos interlocuteurs, par exemple, la question du 5e mandat n'est vraiment pas à l'ordre du jour. «La dernière apparition du Président a été affligeante pour des millions d'Algériens, y compris pour ceux qui l'adulent. Cette image d'une personne de son âge et de sa stature attachée à une chaise roulante, le regard hagard et dans l'incapacité de bouger la main a suscité de la pitié, mais aussi de l'aversion envers ceux qui ont pris cette décision de l'exhiber dans cet état. L'opinion publique sait que le Président ne peut se présenter à un 5e mandat dans l'état où il se trouve et le cercle présidentiel a dû se rendre compte de cette donne», explique un de nos interlocuteurs. Pour lui, «le remue-ménage que vit la scène politique est justement lié à la succession». Il précise : «Nous sommes à trois mois de la convocation du corps électoral et chacun des acteurs politiques se voit dans le costume du candidat potentiel, mais évite tout acte ou toute parole qui risque de dévoiler ses intentions tant que la décision de ne pas briguer un 5e mandat n'est pas annoncée officiellement. En parfait connaisseur du système, le secrétaire général du RND, Ahmed Ouyahia, ne déroge pas à la règle. La seule fois où il est apparu comme présidentiable a été lors de sa conférence de presse en pleine crise de l'Assemblée, où il s'est allié à son frère ennemi pour débarquer Saïd Bouhadja de son poste de président de l'Apn. Déclarations tactiques ? Peut-être, vu l'enjeu, à savoir la récupération du siège du 3e homme de l'Etat.» Abondant dans le même sens, un ancien ministre bien introduit dans le sérail revient sur le choix de la personne de Mouad Bouchareb, un quadragénaire «que rien ne prédisposait à remplacer Bouhadja, après avoir joué un rôle prépondérant dans son éjection, si ce n'est des personnes des milieux politico-financiers qui le parrainent». «Très craint par le cercle présidentiel, le secrétaire général du RND a bien su manœuvrer. Il sait qu'un 5e mandat n'est pas à l'ordre du jour. Son alliance avec le FLN durant la crise de l'Assemblée n'était que conjoncturelle. Il voyait d'un mauvais œil les sorties médiatiques du ministre de la Justice, Tayeb Louh, très proche du cercle présidentiel, et qui ne cachait pas son ambition de prendre les rênes du FLN pour en faire un tremplin. Son meeting à Oran, auquel il a invité toute la société civile et les élus locaux, a été très mal perçu. Le RND a donc décidé de ne pas y prendre part. Tayeb Louh n'aurait jamais claché Ahmed Ouyahia s'il n'avait pas eu le feu vert du cercle présidentiel. C'est un magistrat très regardant sur la forme. Ses propos étaient très durs. Il l'a accusé d'avoir proposé des taxes pour l'obtention des documents biométriques et d'avoir surtout été à l'origine de l'incarcération de milliers de cadres durant les années 1990. Il est allé même jusqu'à nier avoir présenté des excuses, comme l'ont écrit certains journaux», révèle cet ancien responsable. Selon lui, dans les coulisses, «les très ambitieux» Tayeb Louh et Ahmed Ouyahia «se livrent à une bataille féroce» pour la succession. «Les deux obéissent au cercle présidentiel qui reste, cependant, très méfiant vis-à-vis du secrétaire général du RND», note notre source. A en croire celle-ci, le secrétaire général du FLN, Djamel Ould Abbès, a accéléré son départ en mettant le pied dans cette sale guerre que se livraient Ahmed Ouyahia et Tayeb Louh. «Djamel Ould Abbès n'a pas su déchiffrer la réaction du ministre de la Justice. Sa prise de position en faveur d'Ahmed Ouyahia et le soutien qu'il lui a apporté au nom du FLN ont sonné le glas de sa carrière. Son départ de la tête du parti était prévu depuis bien longtemps. Depuis qu'il a été désigné en remplacement de Amar Saadani, il y a plus de deux ans, il n'a fait que patauger dans la crise organique que traverse le parti. Son soutien à Ahmed Ouyahia lui a été fatal. Le cercle présidentiel l'a mis en congé de longue durée pour des raisons de santé. Tout de suite après, il a nommé Bouchareb comme coordinateur d'un directoire qui gérera le parti. Ce dernier a pour mission de préparer un congrès extraordinaire qui sortira avec de nouvelles instances et de nouveaux visages.» Ces actions, ajoute notre source, devront permettre au parti que préside Bouteflika «la sérénité et la cohésion dont a besoin une force politique pour être un facteur déterminant dans une échéance électorale. Pour le cercle présidentiel, la succession passe inévitablement par un consensus autour d'un candidat qui assurera les intérêts de la famille du Président sortant et évitera au pays tout dérapage lié aux luttes de clans autour du pouvoir. Si le FLN que préside Bouteflika reste en l'état de dislocation et d'illégalité dans lequel il a été maintenu durant des années, il ne pourra pas s'imposer en tant que force politique capable de négocier un consensus autour de la succession. Surtout si le candidat en question risque de ne pas avoir la caution de l'armée ou du RND et des forces qui le soutiennent.» A la lumière des propos des uns et des autres, il est clair que le FLN est sur le point de changer de «main», mais aussi de visages. Les intenses sorties de lobbying que mène le ministre chargé des Relations avec le Parlement, Mejdoub Bedda, pour lancer une association des anciens élus du FLN, choisis particulièrement dans les milieux des redresseurs, notamment parmi ceux qui ont été éjectés du parti, augurent une nouvelle ère pour le parti. Cette initiative, faut-il le rappeler, avait suscité la colère de Djamel Ould Abbès, qui voyait mal un des ministres FLN prendre des libertés. M. Bedda, faut-il le préciser, a lui aussi joué un rôle capital dans le débarquement de Saïd Bouhadja de son poste, espérant un retour d'ascenseur qu'il n'a toujours pas obtenu. «Tout comme Tayeb Louh, Bedda aussi aspire à prendre les rênes du parti. Archi-milliardaire, il débourse sans compter pour concocter des alliances qui lui permettront de réaliser son rêve. Mais, qui des deux aura suffisamment de poids pour arracher le poste de secrétaire général du FLN ? La décision ne peut venir que du cercle présidentiel duquel les deux tiennent leur pouvoir», conclut un de nos interlocuteurs.