C'est clair désormais que les «décideurs» (sur lesquels personne n'arrive à mettre un nom ou un visage) sont en pleine panique alors que l'échéance de la prochaine élection présidentielle n'est plus très lointaine, à peine quelques mois. Devant la plus que probable incapacité de Bouteflika à se représenter pour une cinquième mandature, compte tenu de la dégradation continue de son état de santé, comme l'ont montré les dernières images de la télévision publique, on ne sait plus dans les cercles décisionnels quelle attitude adopter pour combler le vide sidéral que l'actuel Président va laisser aux héritiers du système si l'hypothèse de son retrait se confirme officiellement. Si, jusque-là, la consigne était de gagner du temps pour mieux se préparer à toutes les éventualités contraignantes pour le régime, il semble que l'évidence d'une solution intermédiaire s'avère plus que jamais impérative et ne laisse surtout plus de marge pour les improvisations, même si elle a du mal à se dessiner. Dans cette optique, ceux qui ont pignon dans les arcanes du Pouvoir n'hésitent plus à admettre aujourd'hui qu'il n'existe aucun plan B pour surmonter sans trop de dégâts cette défection qui ne figurait dans aucune perspective à moyen terme. Et c'est précisément ce manque d'anticipation pouvant prendre les «décideurs» au dépourvu qui pose problème, alors que tout paraissait bien ficelé pour amener Bouteflika à se succéder à lui-même, soit comme candidat ultra favori pour une cinquième mi-temps électorale, imaginée comme une simple formalité, soit comme postulant incontournable de la «continuité» promu à un plébiscite de la famille révolutionnaire pour poursuivre son œuvre. C'est donc l'homme de la nouvelle situation ainsi créée qui manque le plus et qui apparemment reste difficile à faire émerger, alors qu'une véritable course contre la montre a été engagée pour se prémunir contre les mauvaises surprises. Qui serait capable de prendre la relève d'un Président érigé au rang de «messie» qui a régné sans partage pendant vingt ans sur le pays et auquel on a tressé des lauriers hors du commun ne correspondant nullement à ses résultats ? La question n'est pas simple. Elle est cruciale en ce qu'elle doit associer dans sa forme, comme dans son contenu, tous les paramètres d'influence pour permettre au régime de survivre à lui-même, tout en donnant l'illusion d'un changement. Devant l'effarante image de désertification du personnel politique inspirée par Bouteflika, il ne faut pas être grand clerc pour faire l'amer constat que les candidats potentiels en mesure de lui succéder avec une réelle capacité de diriger le pays ne courent pas les rues. En théorie, il a fait le «nettoyage» à tous les paliers de la vie politique et associative pour instaurer la… paralysie participative, et ce n'est pas l'opposition qui soutiendra le contraire. Car, l'une des missions parmi les plus sensibles que Bouteflika s'est particulièrement appliqué à réaliser en y mettant toute la force de son autoritarisme, a été de réduire le champ du multipartisme à néant pour mieux neutraliser les leaders d'opinion à forte personnalité et empêcher ainsi qu'une sérieuse et rigoureuse concurrence soit portée à la politique unilatérale prônée par le système. Il est évident que le Président, avant sa maladie, avait engagé l'essentiel de son énergie à couper toutes les têtes qui risquaient de lui faire de l'ombre. En parfait Zaïm n'admettant aucune rivalité, il a voulu ainsi tracer la route de son destin en restant le seul maître du jeu. En quatre mandats successifs, l'activité politique centrale du pays a été orientée vers le monopole des deux partis du pouvoir, le FLN et le RND, ne laissant que l'alibi d'exister à une opposition autour de laquelle toutes les voies d'émancipation ont été soigneusement verrouillées. Ceci pour dire que sur un terrain aussi miné, les partis d'opposition, notamment ceux de la mouvance démocratique, éprouvent toutes les difficultés à faire sortir de leurs rangs un postulant ayant le profil et l'envergure pour remporter l'élection présidentielle, alors que, théoriquement, c'est de leur unique mouvement que pourrait intervenir le basculement du régime autocratique que nous vivons vers le régime républicain dont a besoin le pays. Cette politique de vouloir stériliser l'opposition n'est pas fortuite. Elle commande de faire place nette à l'action du régime et donc de lui offrir les conditions idoines pour se régénérer en puisant dans son propre vivier le personnel politique ou l'élite de substitution. A partir de ce postulat, il est aisé de penser que le futur Président sera encore, sauf miracle, issu du sérail. On le présentera comme l'homme de la transition, mais ce sera forcément le représentant du clan dominant qui n'ose pas imaginer un instant que les affaires du pays puissent être contrôlées sans lui. On saisit toute l'amplitude de l'engrenage dans lequel nous a mis le régime de Bouteflika, lequel, même partant, pèse de tout son poids sur l'avenir du pays. Un avenir sombre, qui va encore différer les espoirs d'une authentique démocratie. Si à un moment le nom du frère du Président a circulé pour prétendre à la succession par voie filiale, cette option a vite été étouffée dans l'œuf, car trop grosse pour être crédible. Il y a encore le nom du vice-ministre de la Défense, qui a, lui aussi, été cité dans les possibles solutions de substitution, une sorte de rescousse à la Sissi, en Egypte, mais là encore rien de probable n'est apparu pour rendre imaginable une telle version. Entre les deux «propositions», les poids lourds du sérail ne se bousculent pas au portillon, même si le candidat du «consensus» généralement estampillé par l'Armée est toujours le dernier à être révélé avant le départ de la course pour maintenir entier le suspense. Il reste les spéculations d'usage sur les postulants sponsorisés et les inévitables lièvres. A ce titre, beaucoup croient que le Premier ministre, qui a longtemps joué dans l'antichambre, voit s'offrir à lui une chance exceptionnelle de réaliser enfin son rêve en l'absence de Bouteflika, contre lequel il a juré de ne jamais se présenter. Une élection sans ce dernier est une opportunité qui ne se renouvellera pas pour Ouyahia, comme l'a compris d'ailleurs Ziari, l'ancien président de l'APN, aux yeux de qui ce dernier passe pour être le plus indiqué pour assurer la continuité du régime. Faux, semble lui rétorquer le ministre de la Justice qui, pour se faire entendre, n'a pas trouvé meilleur argument que de descendre en flèche la «notoriété» de son responsable hiérarchique. La guerre au sommet pour l'après- Bouteflika est ouvertement déclarée. Elle ne fait que commencer en instaurant un climat de panique, dont les premières secousses sont ressenties au sein du vieux parti qui perd ainsi un agitateur de premier ordre, en l'occurrence son SG. Ce sont des signes qui renseignent sur l'affolement d'un sérail en perte d'imagination.