Le problème à l'origine des affrontements entre ibadites et malékites dans la localité de Berriane, à Ghardaïa, n'est pas religieux. Il est politique. » Cette déclaration a été faite avant-hier à Mascara par le ministre des Affaires religieuses et des Waqfs, Bouabdellah Ghlamallah. Il étaye ses propos : « Dans le passé, Berriane n'a jamais connu de tels affrontements entre les deux communautés. Les gens vivaient en paix. C'est l'apparition des partis politiques et autres politiciens qui a, malheureusement, tout bouleversé. » De quelles informations Ghlamallah dispose-t-il pour tirer une telle conclusion ? Aucune, visiblement. Venant d'un membre du gouvernement, l'approximation est grave. Elle marque le non-sérieux avec lequel est abordé un problème aussi important et complexe que celui qu'a vécu Berriane ces derniers jours. Pas seulement. Le ministre avance aussi une contrevérité. Les affrontements entre les deux communautés ne remontent ni à une année ni à l'avènement du pluralisme politique en Algérie. Mais l'on comprend le fond de sa pensée. En stigmatisant les partis, le ministre des Affaires religieuses, dont le rôle aurait dû être autre que celui qu'il s'est choisi, voulait en réalité occulter un fait désormais bien établi : l'incapacité des pouvoirs publics à trouver des solutions aux problèmes qui se posent au pays. Ils auraient pu éviter le pire qui s'est produit à Berriane. Les responsables locaux des deux partis de l'Alliance présidentielle, à savoir le RND et le FLN, refusent de le relayer. Si le premier s'est abstenu de faire une quelconque déclaration au motif qu'il n'avait pas encore pris connaissance des déclarations du ministre, le second a souligné que « c'est son opinion personnelle et que chacun est responsable de ses déclarations ». Pour beaucoup, Ghlamallah faisait allusion au Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD) et au Front des forces socialistes (FFS). Contacté hier, le responsable local de la formation de Saïd Sadi, Rachid Menana, rappelle que la région a connu des événements similaires à l'époque où il n'y avait pas les partis politiques. « Ils nous en veulent, parce que le RCD pose les véritables problèmes de la population et s'inscrit dans la modernité », dit-il. Le représentant local du FFS, Kamel Eddine Fakhar, trouve, pour sa part, la sortie du ministre des Affaires religieuses « ridicule ». Les partis politiques sont reconnus par la Constitution, soutient-il, avant d'avouer qu'il n'y a pas de mot pour qualifier les déclarations de Ghlamallah, sinon « lui demander d'élever le niveau ». C'est vrai, à tel niveau de responsabilité, l'on ne doit pas se permettre de tels glissements qui peuvent s'avérer dangereux. Mais, faut-il encore rappeler, le souci du ministre est moins d'apporter des éclairages sur les tenants et aboutissants des événements de Berriane que de couvrir l'incurie des autorités. Incurie parce que les pouvoirs publics auraient pu contenir la crise dès le début des affrontements pour empêcher que le pire ne se produise. Le pire s'est produit avec deux assassinats et des dégâts matériels. Sauf à vouloir cacher la réalité et s'embourber encore dans de fausses solutions aux problèmes bien réels et complexes qui se posent à cette région du pays, il est à présent vérifié que la gestion de la crise a été, le moins que l'on puisse dire, catastrophique. Les forces de l'ordre n'ont pas accompli leur rôle qui consiste à ramener le calme à Berriane. Pis, la vidéo qui circule sur le Net ainsi que les reportages de nos reporters témoignent du parti pris flagrant de certains éléments de la police, censés protéger les citoyens et séparer les deux camps qui s'affrontent. Ce ne fut pas le cas. Résultats des courses : le mal qui y est fait a provoqué une telle fracture entre les deux communautés que les chemins du dialogue et de la cohabitation, emplis de haine, sont difficiles à empreinter. Une haine qui s'est développée grâce à des autorités laxistes qui ont mis beaucoup de temps pour freiner la violence qui a fini par se propager. Néanmoins, il existe, toujours, dans cette localité de Berriane du bon sens et des chances pour que la vie reprenne son cours normal. Seulement, l'on continue à minimiser, dangereusement, l'ampleur de la crise. La commission chargée de suivre les événements de Berriane au niveau de l'Assemblée populaire de wilaya (APW) s'est avérée un vrai flop. Composée des membres de l'APW, de députés et de sénateurs, cette commission, placée sous l'autorité du wali de Ghardaïa, semble prendre les choses à « la légère ». Les élus FFS, qui y siègent, viennent de claquer la porte. Dans un communiqué rendu public hier, ils évoquent des blocages de l'administration. Mais pas seulement. Ils affirment qu'il existe « une volonté de camoufler les véritables causes de la crise ». La séance de travail d'hier a été, selon eux, caractérisée, par « l'absence de propositions et de solutions radicales » aux problèmes que vit la région. Plus grave, la commission évite, indiquent-il, « d'aborder la question relative à l'ouverture d'une enquête sur les éléments des forces de sécurité impliqués dans les derniers événements et de les poursuivre en justice ». On comprend mieux la légèreté avec laquelle le ministre des Affaires religieuses aborde le sujet. Placée dans ce contexte, sa déclaration est dans l'ordre de la logique de l'incurie ambiante.