La fièvre qui empêche l'Europe de dormir ces dernières années, des suites des expéditions incessantes de migrants sur son territoire, serait démesurée, selon les Africains. Des chercheurs et experts réunis sur le sujet la semaine dernière à Alger ont avancé des statistiques qui remettent en cause le bien-fondé de la panique qui agite le vieux continent et pousse sa classe politique et ses médias à trop tirer sur la corde de la culpabilité africaine en la matière. Selon les taux communiqués lors de la conférence, sur près de 36 millions d'individus qui ont changé de pays à la recherche de cette fameuse vie meilleure, seulement 7 ont préféré ou pu quitter le continent ; 29 millions de migrants ont donc dû s'établir dans le pays voisin et constituer cette «migration interafricaine», phénomène qui retient peu l'intérêt, parce que sans doute moins visible et n'incommodant en rien la configuration des enjeux géopolitiques des puissances économiques du Nord. Les bouleversements démographiques et sociétaux consubstantiels à cet exode intracontinental massif, ses implications politiques inévitables ne semblent à portée que des seuls chercheurs et autres cénacles d'experts, dont les alertes, de ce côté obscur du monde, n'ont aucune chance de peser dans le débat et le circuit de décision. Il faudra donc juste imaginer l'effet de ces vagues de près de trois dizaines de millions de migrants fluant souvent dans des contextes de crise dans des pays parfois moins construits et structurés que ceux qu'ils ont fuis ou simplement quittés. Les proportions livrées à l'occasion de la même conférence d'Alger mettent le curseur sur une donnée autrement plus déterminante pour l'avenir du continent. Sur les 7 millions d'Africains qui ont pu réussir la prouesse de se retrouver en Europe, 5,5 millions se recrutent parmi les médecins, les ingénieurs et autres étudiants. L'élite du moment ou celle en devenir, en somme, aspirée massivement par les autoroutes impitoyablement sélectives de la mondialisation. Exode d'autant moins avantageux pour les sociétés d'origine que ces immigrés de choix s'y établissent légalement, pour ne pas dire définitivement. L'Afrique historiquement mal en point est condamnée à regarder filer sa sève par les guichets dérobés de l'«immigration choisie» et autres inventions sans appel des puissants. Il reste donc les près de 1,5 million de migrants qui se cachent pour survivre dans l'espace Schengen et sa périphérie, et qui, a objecté la conférence d'Alger, ne peuvent pas constituer une menace pour l'équilibre de l'Europe. En tout cas, pas au point d'être à l'origine de la montée constante des extrêmes droites sur le vieux continent, comme on le martèle, et valoir aux Etats africains ces blâmes réguliers sur leurs incapacités à retenir leur misère, à défaut d'y remédier. Plus prosaïquement, ces mêmes Etats sont appelés à trouver des vertus à l'implantation des fameux centres de rétention – véritables postes avancés de l'interdiction de la liberté de circulation – sur leurs territoires et éviter ces drames absolus en Méditerranée qui pèsent décidément trop lourd sur la bonne conscience de l'Europe.