Qu'en est-il en droit algérien ? De toutes les réformes du code de procédure pénale, celle issue de la loi 86-05 du 4 mars 1986 nous paraît celle qui traduit le plus le souci du législateur algérien de renforcer la défense des droits de l'homme. Cette loi, en effet, enrichit la procédure pénale sur deux plans : l'instauration du contrôle judiciaire et la fixation d'un seuil à la détention provisoire au niveau du juge d'instruction. Il est sans doute utile, pour mieux apprécier la réforme de 1986, d'évoquer les dispositions communes à l'ancien et au nouveau régimes(I), puis de souligner les traits distinctifs entre les deux régimes(II). I – Les dispositions communes à l'ancien et au nouveau régimes Ces dispositions concernent le seuil de détention provisoire en fonction de la peine encourue. Ce seuil, d'après l'article 124 du code de procédure pénale dans sa rédaction issue de la réforme de 1982(3), est de 20 jours si la peine maximale encourue ne dépasse pas deux ans et si l'inculpé n'a jamais été condamné pour crime ou pour délit à plus de trois mois avec sursis. II – Les traits distinctifs entre l'ancien et le nouveau régimes Le critère de distinction entre l'ancien régime (antérieur à la réforme de 1986)(4) et le nouveau régime (issu de cette réforme) repose sur la peine maximale encourue quand celle-ci dépasse deux ans. 1) Sous l'empire de l'ancien régime (art. 125 ancien du CPP), la prolongation de la détention provisoire était théoriquement illimitée. Ainsi le juge d'instruction pouvait prolonger la période initiale de détention, fixée à 4 mois, autant de fois que les nécessités de l'information l'exigeraient. C'est cette prolongation illimitée que nous exprimons par le fameux facteur D 4 M, où le symbole D désigne l'augmentation illimitée et 4 M veut dire 4 mois. Comme le facteur D 4 M exprime, théoriquement du moins, une durée indéterminée, la détention provisoire se ramenait à une durée infinie. C'est à cette situation absolue que la réforme de 1986 est venue mettre un terme. 2) Le mérite du nouveau régime, celui issu de la réforme de 1986, est de fixer un seuil à la détention provisoire en fonction du caractère délictuel ou criminel de l'infraction poursuivie. A- En matière délictuelle, le code, par le biais de la loi 86-05, vient au secours de l'inculpé sur deux plans : d'abord par l'élévation de la peine maximale encourue à trois ans, ensuite par la limitation de la détention provisoire à une seule fois. Dans ce cas, la durée limitée de détention est fixée à huit mois, soit 4 mois représentant la période de base (initiale) et 4 mois représentant la prolongation. B- En matière criminelle, la situation est moins simple en raison de la répartition des compétences entre le juge d'instruction et la chambre d'accusation qui agissent tantôt selon leurs attributions autonomes, tantôt selon leurs attributions conjointes. a) en vertu de ses attributions autonomes, le juge d'instruction, avant la réforme de 2001, était habilité à prolonger deux fois seulement la détention provisoire si la peine maximale encourue dépasse trois ans en matière de crimes ordinaires. Le seuil de détention était donc de 12 mois, soit, précisons-le encore une fois, la période initiale de 4 mois plus deux fois la prolongation de cette période. Au plafond fixé aux crimes ordinaires avant la réforme de 2001(5)sont venus s'ajouter par cette réforme trois autres catégories qui font passer le nombre de prolongations à 3, à 5, voire à 11 comme il sera montré. 1- En vertu de l'article 125-1, alinéa 2 du CPP issu de la réforme de 2001, est autorisée la prolongation 3 fois par le juge d'instruction si la peine encourue est la peine capitale ou la réclusion d'au moins 20 ans. La durée maximale de détention dans ce cas est donc de 16 mois. 2- La prolongation est autorisée 5 fois conformément à l'article 125 bis/alinéa 1er issu de la même réforme quant il s'agit de crimes terroristes. Le seuil de détention est donc de 24 mois. 3- Elle est autorisée 11 fois par l'article 125 bis/alinéa 2 dans le cas de crime transnational (trafic de drogue, terrorisme international, blanchiment d'argent, etc.) Ainsi le seuil de détention est de 4 ans, soit 48 mois, sans compter d'éventuelles prolongations par la chambre d'accusation. b) Les attributions conjointes du juge d'instruction et de la chambre d'accusation sont mises en jeu quand la détention provisoire paraît nécessaire au-delà de la limite fixée au magistrat instructeur. Ce procédé, prévu à l'article 125-1/alinéa 4 du code CPP, met en cause deux instances : un demandeur de la prolongation, le juge d'instruction et une autorité de décision, l chambre d'accusation. C'est dans ce cas précis où le juge d'instruction est dessaisi que la limite de détention provisoire en matière de crimes ordinaires est fixée à 16 mois, soit 4 mois représentant la durée de détention de base, 8 mois représentant 2 prolongations de 4 mois chacune par le juge et les 4 derniers mois, constituant la prolongation accordée par la chambre à la demande du juge d'instruction. Ce seuil passe à 56 mois s'il s'agit de crime transnational et à 36 mois s'il s'agit de crimes terroristes, et ce, en vertu des dispositions combinées de l'article 125 bis issu de la réforme de 2001. c) Quant aux attributions autonomes de la chambre d'accusation, elles se manifestent une fois le juge d'instruction dessaisi. A ce titre, l'article 128/4 du CPP habilite la chambre à statuer sur les demandes de mise en liberté avant renvoi devant le tribunal. Or, c'est à cette étape de la procédure que surgissent souvent des conflits dont la cause est justement le seuil de détention. En effet, ni l'article 128/4 ni toute autre disposition du code ne fixent de seuil à la détention provisoire quand l'affaire est pendante devant la chambre d'accusation. Quelle serait donc la portée de la réforme de 1986 ? Précisons que la formulation actuelle de l'article 128/4 évoqué est due à la réforme de 1982 et n'est donc touchée ni par celle de 1986 ni encore par la plus récente, celle de 2001. Dès lors, il est légitime de s'interroger sur les raisons qui ont amené le législateur, tant dans la réforme de 1982 que celle de 1986, à miser sur la notion de «renvoi imminent» fondée sur la simple hypothèse selon laquelle le dossier pendant devant la chambre ne tarderait pas à être renvoyé aux assises. Cette manière de traiter un domaine aussi important que la liberté des personnes pèche par son manque de clairvoyance et son subjectivisme prononcé qui, du coup, remettent en cause les acquis réalisés. Pour preuve, ce vœu pieux, l'imminent renvoi, n'est très souvent pas exaucé. En effet, la pratique nous montre que, pour parachever ou parfaire les mesures d'instruction qu'exige la complexité du dossier, la chambre est souvent amenée à poursuivre l'information, tout en maintenant en détention l'inculpé. Elle a particulièrement recours à ce procédé quand les mesures d'information portent sur l'expertise comptable dans les affaires à caractère économique. C'est justement au sujet de la détention provisoire à ce stade de la procédure que la presse nationale a fait état, au printemps 2000, des tensions entre la défense et les instances de la cour d'Alger. Plus récent est le cas de l'ex-wali Bachir Frik qui s'inscrit dans ce cadre et dont le maintien en détention et les renvois du procès ont été critiqués par son défenseur, Me Aït Larbi, dans les colonnes de la presse. Il est vrai que la chambre d'accusation jouit d'un pouvoir souverain en matière de détention provisoire et peut, à ce titre, soit ordonner la mise en liberté, soit maintenir l'inculpé en détention. Dans le sujet qui nous intéresse, c'est le maintien en détention qui nous interpelle eu égard à la durée indéterminée pendant laquelle resterait l'inculpé en détention avant son renvoi devant la juridiction de jugement. Dans ces conditions, il est souhaitable, voire nécessaire qu'intervienne le législateur pour rendre le régime de la détention provisoire plus harmonieux, et ce, en fixant un seuil à la détention une fois le juge d'instruction dessaisi, c'est-à-dire quand le dossier est pendant devant la chambre d'accusation. Cette œuvre souhaitée ne rendra que plus grande la réforme de 1986 et ne fera que mieux traduire dans les faits l'attachement à la présomption d'innocence. Cette recherche d'harmonisation doit, pensons-nous, revoir la réforme de 2001 dans le sens de l'abaissement des différents seuils de détention provisoire que nous trouvons excessifs, d'une part, et par l'introduction d'un seuil à détention une fois le juge d'instruction dessaisi, d'autre part. De cette manière, le caractère exceptionnel de la détention provisoire ne sortira que grandi et le fameux facteur D 4 M, synonyme de détention arbitraire, n'aura plus droit de cité. Par Abdelhamid Zeroual Avocat, ancien magistrat Notes 1 – Article 45 de la Constitution qui s'inspire de l'article 11/1 de la Déclaration universelle des droits de l'homme du 10 décembre 1948. 2- Article 123 du code de procédure pénale qui s'appuie sur l'article 47 de la Constitution qui, lui-même, se réfère à l'article 9 de la Déclaration universelle et à l'article 9/3 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques du 16 décembre 1966. 3- Loi 82-03 du 13 février 1982, JORA n° 7, 1982. 4- Loi 86-05 du 4 mars 1986. 5- Loi 01-08 du 26 juin 2001, JORA n° 34 du 27 juin 2001. C'est à cette loi que revient le mérite de substituer le terme «détention provisoire» à celui de «détention préventive» et le terme «mise en liberté» à celui de «liberté provisoire». La précision apportée par cette loi renforce le processus engagé par la réforme de 1986 et qui a besoin d'être redynamisé comme nous l'avons expliqué dans le texte.