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L'homme-spectacle
Mahieddine Bachetarzi. Pilier du théâtre algérien
Publié dans El Watan le 12 - 02 - 2009

Mahieddine Bachetarzi reste aujourd'hui encore un personnage haut en couleur. Personne ne peut contester son rôle primordial dans l'organisation et la diffusion de la production théâtrale. Son nom traverse toute l'histoire du théâtre en Algérie.
Ses œuvres, produites dans un contexte sociopolitique particulier, sont marquées par l'adoption des formes de représentation européennes et la montée du nationalisme. Aborder ainsi Mahieddine Bachetarzi, comme n'hésitent pas à le faire certains, c'est critiquer une certaine « bourgeoisie » algérienne et des personnages politiques et mouvements ayant rejoint tardivement la lutte armée tout en en prenant souvent par la suite la direction. Une certaine ambivalence et une dose de pragmatisme caractérisaient son discours. En parcourant son œuvre, nous constatons la présence d'allusions au contexte politique et social de l'époque. Dans Béni Oui Oui, l'auteur s'attaquait aux élus musulmans dociles et soumis. Avant de s'intéresser à l'art dramatique, Mahieddine Bachetarzi excellait dans le chant.
Doué d'un sens extraordinaire de l'organisation, il ne cessait d'animer des concerts et des spectacles un peu partout. Il se fit tout d'abord connaître comme chanteur religieux et chanteur profane et auteur-acteur ensuite. Né le 15 décembre 1899 à Alger, dans une famille bourgeoise d'origine turque, il s'initia très tôt au chant religieux. En 1915, soit à l'âge de seize ans, il devient hezzab (lecteur du Coran) avant d'accéder à la fonction de maître des lecteurs à vingt ans, chose rare et exceptionnelle dans les milieux religieux. Edmond Yafil, séduit par sa merveilleuse voix de ténor, lui conseille de quitter la mosquée et de se consacrer au chant profane. Ce qu'il fit sans hésiter.
Il apprit le solfège et travailla sa voix à l'école dirigée par Yafil, El Moutribia (L'Educatrice). Il enregistre entre-temps de nombreux disques de chants religieux chez Gramophone et anime plusieurs concerts. En 1921, l'association El Moutribia est reconstituée. Bachetarzi en assure la présidence après la mort d'Edmond Yafil. Il est également professeur de musique arabe au conservatoire et directeur des enregistrements phonographiques en Afrique du Nord en 1929. Il ne se met à pratiquer l'art scénique qu'en 1933. Il entame sa carrière par l'adaptation d'un conte de Djeha, Djeha et l'usurier qui eut beaucoup de succès.
Les années trente ont vu la disparition et l'éclipse progressive des hommes de théâtre qui avaient permis la « naissance » du théâtre en Algérie : Allalou a cessé d'écrire et de jouer en 1932 ; Rachid Ksentini, fatigué et quelque peu malade, ralentit sérieusement le rythme de sa production. C'est le moment où Mahieddine Bachetarzi entre en scène. Les succès des pièces d'Allalou et de Ksentini l'ont incité à ne pas barguigner et à faire le grand pas, celui de d'écrire des pièces et de les jouer. Il se met ainsi à tous les métiers du spectacle. S'il avait eu auparavant l'occasion de monter sur scène, il n'avait en revanche jamais écrit de texte. Ce n'est qu'après le retrait d'Allalou qu'il met en forme Djeha et l'usurier, fable populaire qui séduit vite le public, toujours ouvert aux formes et aux personnages populaires.
L'idée d'adapter un conte de Djeha lui vient au moment où Allalou jouait sa pièce. La réussite de cette œuvre en 1926 est le début d'une véritable odyssée. Pour Bachetarzi, il était nécessaire et utile d'écrire des textes ayant pour personnages principaux des archétypes populaires qui mobilisent sans faute le grand public, friand de comique et d'une manière originale de se regarder, et d'interpréter ainsi une sorte de jeu de miroirs libérateurs. Cette dimension cathartique apportait délivrance et relaxation à des spectateurs dramatiquement agressés par un quotidien dur et humiliant. Bachetarzi savait que seul le comique pouvait convaincre les gens d'aller au théâtre.
C'est surtout pour cette raison qu'il choisit cette voie et se mit à s'attaquer à certaines coutumes désuètes et aux fléaux qui démobilisaient tragiquement le petit peuple. Djouhala mouddain fil ilm, (Les faux-savants), sa comédie-farce, s'attaquait au maraboutisme. Ce fut la première fois qu'un homme de théâtre osait dénoncer aussi férocement les charlatans et les « faiseurs de miracles » qui pullulaient dans les villes algériennes et constituaient une exceptionnelle puissance.
Les foudres de la censure
Déjà, dans cette pièce, se dégageait l'orientation politique et idéologique de l'auteur et se manifestaient ouvertement ses options esthétiques et artistiques. Sa conception moralisatrice et son regard didactique se retrouvent dans toutes ses pièces. Dans Faqo par exemple, reprise d'une production de Ksentini, il raillait les faux-dévots et les profiteurs de toutes sortes qui exploitaient la naïveté et la niaiserie des petites gens pour s'enrichir. Le titre Faqo ou Réveillez-vous proposait une lecture politique du texte et inaugurait ainsi le protocole d'exploration de la pièce. Celle-ci fut d'ailleurs vite interdite parce que considérée par l'administration coloniale comme subversive.
L'article d'un journal en langue arabe, En Nadjah, donnait le coup d'envoi1 : « Il paraît que les auteurs veulent démasquer dans leur pièce tous ceux qui profitent de la crédulité du peuple algérien pour le gruger. Qui sont ces profiteurs ? » Ce recours à des textes d'allusions politiques et sociales correspondait au discours d'une fraction de la bourgeoisie algérienne. Le souci didactique dominait la représentation dramatique. Dans ses pièces, Après l'ivresse, El Kheddaine (Les traîtres), Les Béni Oui Oui, Ennissa (Les femmes), Zid Ayyat (Crie encore !), Bachetarzi s'attaquait à l'alcoolisme, au maraboutisme, aux élus musulmans dociles et prenait explicitement position pour l'éducation et l'instruction des femmes.
Ce qui était une nouveauté à l'époque dans une société sérieusement marquée par le discours féodal. Ennissa, pièce qui fascina le grand public, raconte l'histoire d'une jeune fille, Salima, diplômée de l'université, qui rencontre sur son lieu de travail, l'hôpital, un jeune médecin européen, Marcel Leclerc qui tombe amoureux d'elle. Ils décident de se marier, mais leurs parents s'y opposent fortement. Après moult hésitations, leurs familles accordent enfin leur consentement. Un problème les divise : quel prénom faut-il donner à l'enfant qui naît de cette union ? C'est au gosse, décident-ils, qu'ira le dernier mot. Cette production a été parfois sévèrement critiquée par les milieux nationalistes qui y voyaient un appel à l'assimilation.
Al ennif (Pour l'honneur) est une fable sur le mariage mixte, El Kheddaine (Les traîtres) met en scène des élus musulmans malhonnêtes, Les Béni Oui Oui raillent les profiteurs et les opportunistes, stupides et vaniteux, mais ne fustige pas frontalement la colonisation. D'ailleurs, la censure était obsessionnellement présente. De nombreuses pièces de Bachetarzi ont été interdites par l'administration coloniale qui veillait au grain et n'admettait aucune critique. El Kheddaine, Al ennif et Faqo avaient connu les foudres de la censure. Les rapports de Bachetarzi avec les autorités étaient très ambigus : le calme et l'hostilité alternaient. A plusieurs reprises, il reçut menaces, avertissements et mises en garde. L'attitude de l'administration coloniale obéissait aux humeurs politiques du moment. La méfiance des autorités de l'époque n'était dictée par aucune logique.
Ses attaques visaient surtout les élus musulmans, leur opportunisme, certains épiphénomènes de la colonisation, non le système colonial. Il a organisé des activités théâtrales à la demande du gouvernement de Vichy. C'est d'ailleurs durant cette période qu'il adapta des pièces de Molière : Slimane Ellouk (tirée du Malade imaginaire), Les Nouveaux riches du marché noir (Le Bourgeois gentilhomme), El Mech'hah (L'Avare), El Moujrim (Tartuffe) et Iouaz Ezzokté (Les Fourberies de Scapin). Mahieddine Bachetarzi a eu le mérite d'intégrer des archétypes et des types sociaux représentant diverses entités et différentes strates de la société. Le personnage devient le lieu de cristallisation du discours social. Ainsi, le signe se socialise et subit une exceptionnelle transmutation qui fige certains de ses traits.
L'espace est délimité et affirme explicitement son identité. Certes, la forme reste celle du conte, malgré la volonté manifeste de l'auteur de rompre avec cette manière de faire qui caractérise la production dramatique. Les signes latents investissent le territoire de la représentation et le marquent d'une certaine sécularité. Bachetarzi cherchait à mettre en scène des personnages porteurs et producteurs de manifestations sociales. Le signe se densifie et se dédouble. On retrouve le mufti, l'homme de religion, le grippe-sou, le colon, le bourgeois parvenu…, personnages prenant en charge l'univers collectif. Le mufti, le cadi… sont tournés en dérision. Les paysans sont évoqués avec ironie.
Des auteurs comme Kateb Yacine, Rouiched et Touri, entre autres, vont réemployer ces personnages en fonction de leurs objectifs esthétiques et idéologiques. Cette manière de faire n'est pas nouvelle dans les pays arabes. Cette pratique a dominé la représentation dramatique du Machreq durant la deuxième moitié du XIXe siècle et une grande partie du XXe.
Un grand organisateur
Allalou évoque en ces termes, l'itinéraire de Mahieddine Bachetarzi : « Il était doué d'une voix merveilleuse de ténor et avait acquis une grande réputation. Jusqu'en 1932, il s'était consacré au chant, particulièrement le classique andalou dont il rehaussait la beauté grâce au timbre de sa voix. Puis le voilà, lui aussi, pris par le goût du théâtre. Il devient auteur-acteur et à la tête d'une troupe, il joue des pièces de son cru. Il opte pour le genre comique et adopte le réalisme. Ainsi, il emploie dans ses dialogues le langage de la rue : l'arabe, le français, le kabyle et même le sabir. Il crée un personnage des plus cocasses, Si Kaci, qui est devenu populaire et dans le rôle duquel il est unique. Au début, Mahieddine s'attaqua à l'obscurantisme, aux coutumes désuètes et à l'alcoolisme.
Puis il se mêla ouvertement de politique, ce qui lui causa de sérieux ennuis. L'administration se mit à entraver de manière multiforme ses activités et l'accula à la faillite. » Mahieddine Bachetarzi qui a dirigé de 1947 à 1956 (à l'exception des années 49-50), a été un grand organisateur et un exceptionnel agent de diffusion du théâtre en Algérie. Grâce à lui, les troupes se produisaient dans des lieux reculés de l'Algérie profonde. Il se déplaçait beaucoup et programmait ses pièces dans de nombreux lieux théâtraux. Ce fut très rarement le cas après l'indépendance qui vit le théâtre généralement occupé par certains responsables engoncés dans leurs sièges, lourdauds, sans projet. Bachetarzi aimait passionnément le théâtre et cherchait à le faire aimer par tous les moyens.
Il savait que l'art scénique ne nourrissait pas son homme, mais il s'entêtait, malgré tout, à vouloir le propager dans cette Algérie profonde, oubliée de toujours. A l'indépendance, il fait quelques petites apparitions au TNA, comme Ma yenfaa ghir essah (Il n'y a que la vérité qui compte), mais il quitte définitivement la scène tout en apportant généreusement son aide à ceux qui le sollicitent. Il était un ministère de la Culture à lui seul, au sens de l'efficacité et du travail s'entend, non au sens d'un bâtiment où parfois on inaugure des murs, chrysanthèmes en bandoulière. Il décède en 1986. Nous avons été séduis par la richesse de sa documentation et sa fine connaissance des affaires du théâtre, lors d'un entretien, encore inédit, qu'il nous a accordé, quelque temps avant sa mort. Avec lui, se sont envolés des pans entiers de notre mémoire.


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