Images flamboyantes de notre pays. On échappe au moins aux barbus qui peuplent certains trottoirs... Et pendant ce temps, Rachid Bouchareb a fait un tabac au Festival de Berlin. London River est largement supérieur à la plupart des autres films en compétition. Une seconde renommée après Cannes et la nomination d'Indigènes aux oscars. Berlin (Allemagne) : De notre envoyé spécial La pureté de sa mise en scène lui a valu, le 10 février, une longue ovation dans la salle archicomble de la Berlinale Palast. Les éléments de son histoire dans London River sont révélateurs de sa sensibilité et de son intelligence. Il n'y a aucune analyse des motifs des attentats de Londres le 7 juillet 2005. Il ne s'agit pas de cela. Le fond de l'histoire, ce sont deux personnages, une Anglaise protestante et un Africain musulman que les attentats de Londres finissent par rapprocher malgré leurs différences extrêmes. Madame Sommers (l'actrice renommée Brenda Bleythyn des films de Mike Leigh) et Monsieur Ousmane (l'imposant acteur Burkinabé Sotigui Kouyaté, qui a joué le Mahabaratha mise en scène par Peter Brook) apprennent les tragiques évènements comme tout le monde en regardant la télévision. Elle est fermière dans une île normande, lui, est garde-forestier depuis 15 ans en France. Ils débarquent à Londres à la recherche désespérée de leurs enfants Ali et Jane, des étudiants londoniens. Ils font séparément les mêmes démarches, police, hôpitaux, morgue. Ils passent de l'espoir au désespoir. Ils apprennent à la fin la tragique vérité : leurs enfants qui vivaient ensemble, Jane et Ali, qui fréquentaient la classe de langue arabe à la mosquée de Finsbury Park, ont pris le bus pour se rendre à la gare (ils partaient par Eurostar à Paris) et c'est ce bus qui a littéralement explosé le 7 juillet ne laissant aucune chance à ses passagers. Sur le thème de la diversité ethnique de certains quartiers de Londres, London River prend les choses avec de la hauteur, de la dignité, par touches successives. Il n'y a ni folklore ni poncifs sur « les conflits de civilisation ». On voit bien que Londres est une ville très cosmopolite. Les tragiques attentats de Londres ont visé toutes les communautés. C'est cet aspect interethnique de Londres dont Rachid Bouchareb a saisi les infimes nuances. Il y a par exemple beaucoup de signes maghrébins dans cette histoire. Le boucher enrichi joué par Rochdy Zem. L'imam jeune et moderniste campé par Sami Bouajila. Et ce jeune barbu (comme à Alger) champion des puces électroniques. London River a été présenté à Berlin sous les couleurs algériennes. C'est une coproduction Tassili films (Alger) et d'autres compagnies françaises, allemandes, anglaises. Le Forum a renoué avec le succès grâce à un film turc Hayat Var de Reha Erdem. Une variation belle et corrosive à la fois de la vie sur les rives du Bosphore. Une jeune fille stambouliote, très belle actrice de 14 ans, Elit Iscan, ne supporte plus sa vie entre un grand père souffreteux et un père pêcheur (à la maison pas de kebabs mais chaque jour du poisson frit !). C'est pas l'euphorie. De plus, avec sa barque le père se livre à un large trafic (femmes, alcool, drogue) avec les marins des tankers qui attendent le passage dans le Bosphore. Le port d'Alger, ce n'est pas le Bosphore, à savoir si les nombreux navires au large n'attirent pas les mêmes trafiquants... Hayat Var, c'est avant tout un régal visuel, on a tout de suite envie d'aller voir de plus près ce monde très étrange et très beau à la fois : le Bosphore ! Tribulation chinoise Un film d'opéra signé Chen Kaigé a aussi fait sensation au Festival de Berlin. C'est l'histoire du plus célèbre chanteur d'opéra en Chine, Mei Lanfang. Monté sur scène à 13 ans à l'époque de la Chine impériale, Mei Lanfang s'est spécialisé dans les rôles de femmes. En Chine, les femmes étaient alors exclues des salles de représentations et de la scène. Mei Lanfang a modernisé l'opéra et revalorisé le statut d'acteur. La beauté de sa voix lui a valu un immense succès. Il s'est produit à Brodway à New York en 1930, en plein crash monétaire et son show fut un triomphe. Quand le Japon a occupé la Chine, Mei Lanfang s'est retiré, refusant de chanter devant les occupants. Il a vécu l'occupation à Shanghai. A son retour à Pékin après la révolution de Mao, il reçut un accueil triomphal : 600 000 personnes pour l'écouter chanter dans un stade. Chen Kaigé reconstitue avec une maîtrise éblouissante cette succession d'époques de l'histoire de la Chine à travers l'opéra. Le film de Théo Angelopoulos a en revanche déçu. The Dust of Time (la poussière du temps), longue histoire écrite par Tonino Guerra, pouvait être très attachante, mais rien ne marche dans le film. On s'y perd dès le début. Angelopoulos a cherché à superposer le temps, les histoires, les générations. Résultat, la narration devient très confuse. C'est triste à dire du travail d'un grand metteur en scène qui a fait des œuvres extrêmement brillantes : Le voyage des comédiens, Le voyage à Cythère, Le regard d'Ulysse, Paysage dans le brouillard... Le film commence à Cinecitta : on voit un cinéaste américain d'origine grec travailler sur une histoire, celle de sa mère qui a aimé deux hommes. A travers les évènements de la seconde moitié du XXe siècle, la mort de Staline en 1956, la guerre du Vietnam, la chute du mur de Berlin, le récit se déplace et les acteurs aussi (Michel Piccoli, Bruno Ganz, Irene Jacob, Willen Dafoe) de Sibérie, Kazakhstan, Amérique, Berlin... On retiendra ces superbes images de Berlin au moins : Berlin désert, la neige qui tombe sans bruit comme pour effacer le temps : Piccoli passe la Porte de Brandebourg, il n'y a plus de mur, Berlin est unifié.