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1925-1955
Publié dans El Watan le 07 - 11 - 2004

Kateb Yacine, Le Polygone étoilé, Seuil, Paris, 1966, page 141.Le second tome des Elites algériennes, histoire et conscience de caste, entame la recherche sur les élites du Mouvement national algérien en vue de la préparation et du déclenchement de la guerre de Libération. Il s'agit de savoir comment et pourquoi cette guerre populaire fut le fruit du long processus de la maturation et de la cristallisation du Mouvement national algérien depuis 1925 jusqu'à son dépérissement au début des années cinquante (1955). Cette guerre de Libération préparée par les élites politiques algériennes depuis près d'un quart de siècle se déclenchera paradoxalement presque sans l'intervention de ces élites quand ce n'est pas contre leur immobilisme. Celles-ci ne rentreront en lice qu'à la faveur de la grande offensive de l'ALN dans les zones I et II en août 1955. L'émergence du droit du peuple algérien à son émancipation se fera dès lors que la question algérienne brise leur mur du silence imposé par le rideau de fer du colonialisme. La tétanisation des élites surprises par un mouvement insurrectionnel qu'elles n'avaient pas vu venir tout en se mobilisant pour l'éviter ou le contrer explique la pauvreté en cadres militants de solide formation du mouvement. La génération qui prend la suite en novembre 1954 était composée surtout d'activistes peu politiques, mais surtout des militants déterminés.
Les élites politiques algériennes depuis les épopées des Emirs Khaled et surtout Abdelmalek aux côtés des révolutionnaires rifains jusqu'au déclenchement de la guerre en 1954 et sa conduite pendant la première année joueront un rôle lourd d'enseignement dans l'émancipation de la patrie dans la première moitié du XXe siècle en trois étapes.
L'étape d'incubation du nationalisme révolutionnaire
(1925-1935)
Pour ce qui est de la première étape, celle-ci correspond à la formation extravertie, exogène de l'ENA à sa cristallisation collective et à sa dissolution organique par l'ordre colonial du cartel de gauche (Front populaire) en 1936 d'abord, puis en 1937 de manière définitive.
L'ENA, intellectuel collectif, conjuguera, d'une part, les luttes nationales continuatrices des révoltes des Aurès lors de la Première Guerre mondiale ainsi que les révolutions du Rif (1915-1925), de Syrie (1919-1924) et de Libye (1920-1930) et, d'autre part, les luttes sociales auxquelles ses militants seront initiés dans les syndicats en France. Dans l'Union intercoloniale, cette formation élitiste se structurera dans la culture de solidarité active des révolutionnaires de toutes les colonies, avec pour organe Le Paria que dirigeait alors Ho Chi Minh. Son idéologie était radicale. Marquée par le déclenchement des revendications démocratiques et émancipatrices inscrites dans la lettre de l'Emir Khaled au président français Herriot en 1924, l'ENA y trouve la signification et l'orientation de son combat comme elle trouvera dans l'appel d'Abdelkrim le Rifain tout son radicalisme anticolonialiste.
Cette étape se subdivise elle-même en deux périodes :
1 – La première sera celle des montées des nationalismes. Le premier sera révolutionnaire sur les continents asiatique et africain ; le second fasciste en Europe occidentale (Allemagne, Italie, Espagne, Portugal). Il est cardinal de tenir compte de ce double mouvement nationalitaire dans la première moitié du XXe siècle. Il permet de saisir les méandres d'une émancipation laborieuse et difficile. Il est significatif justement de souligner que le fascisme italien a correspondu exactement avec l'agression coloniale contre la Libye. Le premier de ces deux nationalismes est d'essence démocratique car émancipateur. Le second est antidémocratique car oppresseur. L'ENA s'inscrit, dès sa formation, dans le premier courant et participe activement au mouvement ouvrier international tout en soulignant la spécificité du nationalisme plus algérien que nord-africain à vrai dire. Cette participation au mouvement ouvrier est d'une importance culturelle capitale pour cette élite politique algérienne autochtone nouvelle. D'abord elle accélère le décloisonnement de ses coutumes culturelles désuètes de résistances paysannes que la seule bravoure et le seul esprit de sacrifice n'arrivent plus à maintenir dans un monde nouveau qui s'édifie sur la base des grandes solidarités internationalistes (décloisonnements claniques ou tribalistes). La nouvelle culture révolutionnaire qui s'installe en ce début du XXe siècle, c'est celle qui se manifeste dans ce que les bolchéviques avaient appelé «les tempêtes révolutionnaires». C'est ainsi que la première forme de solidarité active et agissante à laquelle vont participer les Algériens, ce sera «la grève du fusil» sur les champs de bataille de la Marne en 1914-18. A l'appel des bolchéviques contre la guerre impérialiste en 1917, les Algériens mobilisés avec les troupes coloniales et avec les prolétaires français lèvent la crosse en l'air, produisent des chants séditieux et antimilitaristes qu'ils teintent d'anticolonialisme direct et volontariste.
Ces chants sont récoltés en Algérie même, entre 1919-1925, par des ethnographes comme Joseph Desparmet et André Joly. On peut les consulter pour le profit comme pour le plaisir dans la Revue africaine, aussi bien pour les chants en arabe algérien (pour ce qui est du front germano-prussien) que pour les chants en kabyle (pour ce qui est du front des Balkans et des Dardanelles). Ces chants antimilitaristes sont surtout dirigés contre la guerre et contre l'ordre colonialiste. Ces chants se propagent rapidement en Algérie avec le retour des troupiers colporteurs, et cela correspond à la formation et à la montée du mouvement «Jeunes Algériens» qui fut, comme bien d'autres mouvements, tardivement dénoncé par ses détracteurs comme mouvement pangermaniste, précisément au moment de l'apparition de la rumeur au sujet du «condottière» Abdelmalek, petit-fils de l'Emir Abdelkader, dans la guerre du Rif à partir de 1915.
Un second fait culturel va se matérialiser aussi dans le costume du prolétaire algérien. Le bleu de travail et surtout la chéchia demi-pouce qui n'est pas sans rappeler le tarbouche ou le «fez» turc, égyptien ou tunisien et le pantalon «houkka» se propageant dans les milieux plus ou moins cultivés des couches moyennes citadinisées, émergent et se singularisent avec le port du tarbouche égyptien. Les premières élites politiques nationalistes étaient nées dans une combinaison vestimentaire euro-orientale. Elles s'autonomiseront de la société coloniale dans le mouvement général des nationalismes révolutionnaires. Ces élites politiques sont nées indirectement de la politique coloniale de conscription obligatoire. C'est donc malgré lui que l'Etat colonial aura ainsi provoqué la formation de ces élites.
2 – La seconde période, celle du nationalisme étroit et chauvin (1935-1937), verra l'idéologie de l'ENA dévier vers l'arabo-islamisme comme idéologie indigente sous la houlette de Chekib Arslane, un émir oriental, et ce à partir de son exil genevois, en Suisse. Ce dernier s'imposera comme tuteur de Messali Hadj et l'entraînera vers l'identitarisme culturel et religieux. En considérant l'arabisme et l'islamisme de l'époque comme des ferments nationalistes inspirés et surtout nourris de l'idéologie communautariste, ces mouvements qui fondent selon leurs idéologues la nation arabe ou la communauté musulmane, on peut considérer que ce mouvement nationalitaire est en grande partie responsable de la réorientation du nationalisme citoyenniste radical de l'ENA vers un nationalisme identitariste moins marqué par les philosophies des Lumières ni par les esprits chartistes qui fondèrent les déclarations des droits de la citoyenneté depuis le XVIIIe siècle. Cela se manifestera assez rapidement par les désaffection des segments élitistes politiques algériens les plus actifs et les plus politisés qui voient chaque jour de plus en plus se restreindre leur autonomie organique et politique par l'intrusion d'idéologies douteuses qui visent surtout à les extraire du milieu progressiste dans lequel elles se sont constituées, identifiées et aguerries.
La conjoncture internationale des années trente va cependant jouer un rôle de décantation de premier plan. La crise du national chauvinisme européen, fasciste et raciste va provoquer dans les mouvements anticolonialistes des secousses parfois salvatrices. D'autres seront fatales. Il faut rappeler que le premier pays colonialiste en crise entre les deux guerres, c'est la France. Celle-ci voit la révolte se lever dans ses colonies, en Asie comme en Afrique, surtout au Maghreb. La guerre du Rif, commencée contre l'Espagne pendant la Première Guerre mondiale, s'achève paradoxalement contre la France avec une intervention algérienne en faveur du Rif qui sera l'occasion d'un réveil du patriotisme, mais qui sera dorénavant un patriotisme citadin et non plus le patriotisme rural traditionnel. Lors de cette guerre du Rif, l'Emir Khaled en résidence surveillée à Aïn Beïda en 1923, dans l'Est algérien, intervient pour faire libérer des paysans révoltés contre l'ordre colonial à la suite de l'insurrection de Touzline (1923) au moment même où Abdelkrim donne du fil à retordre à Lyautey au Maroc et au Rif. Voilà que la guerre du Rif se prolonge en Espagne par la guerre civile espagnole dans laquelle, encore une fois, les Algériens vont intervenir avec, essentiellement, deux brigades internationales. L'une organisée à partir de la France dans les milieux étoilistes proches du PCF sera initiée par Rabah Ousidhoum, originaire du Djurdjura et militant communiste algérien, membre de l'ENA.
La seconde brigade, celle signalée par André Malraux dans L'Espoir, fut conduite par Belaïdi, à partir probablement de l'Algérie même. A eux seuls, ces deux engagements témoignent, si besoin est de le souligner, de l'incubation de l'esprit révolutionnaire internationaliste chez les militants nationalistes algériens qui participent alors d'une élite politique révolutionnaire mondiale. Cela traduit concrètement la crise au sein de l'ENA entre le courant prolétarien révolutionnaire et le courant nationaliste réformiste. Le courant internationaliste va alors jouer un rôle prédominant dans l'ouverture des castes élitistes algériennes en formation vers les revendications universelles des droits des peuples, des nations et des individus à l'émancipation et à la désaliénation. C'est ainsi que les milieux francophones vont être privilégiés dans cette perspective d'internationalisation.
Cependant les milieux arabophones vont se crisper sur l'identitarisme linguistique et culturel réducteur de visée idéologique et constricteur d'intelligence politique. Presque en même temps que la crise espagnole, une conflagration révolutionnaire secoue la Libye et voit les Libyens aux prises avec l'Italie, un autre pays fasciste de l'Europe d'alors.
Ces confits antitotalitaires, où le fascisme européen est directement impliqué, ayant des implications internationales, provoquent des secousses dans certains mouvements anticolonialistes en raison des liens et des prolongements idéologico-politiques que ces mouvements entretenaient avec les puissances de l'époque, puissances elles-mêmes en lutte et en conflit. L'affaire de l'intervention algérienne dans la guerre civile espagnole va provoquer des liquidations politiciennes à la faveur de prétendus complots dont le complot dit «brigadiste» de 1936-37. L'ENA voit certains de ses membres se constituer en volontaires des brigades internationales pour aller prêter main-forte aux arnacho-communistes espagnols contre les troupes fascistes appuyées par des volontaires ou des engagés marocains, voire rifains, qui entendaient se venger de la politique colonialiste de la république. C'est la fin du mythe de l'ENA. C'est l'échec de Messali et le dépit de Chekib Arslane.
L'ENA survivra peu de temps à cette épreuve. Elle se redéploiera en Algérie avant de disparaître.
Messali, craignant par-dessus tout sa radicalisation révolutionnaire, tentait de la contenir à tout prix sans doute parce que Chekib Arslane avec ses congrès islamo-européens, malgré une conjoncture particulièrement favorable à la radicalisation, voyait d'un mauvais œil l'implication de musulmans dans des camps opposés dont, selon lui, seul l'impérialisme tirait profit. Mais Chekib Arslane, en homme politique averti, craignait tout comme Messali Hadj un retour de l'ENA dans le giron du communisme.
Cette effervescence va se traduire chez les premiers intellectuels des classes moyennes autochtones par les projets d'écriture de l'histoire de la patrie. Se profileront alors deux courants d'historiens en perspective chez les lettrés et intellectuels algériens autochtones. Le premier est mis en chantier par un lettré arabisant de l'Association des oulémas, cheikh M'barek El Mili, qui rédigera un traité sur l'histoire de l'Algérie, passé et présent dans les années trente. Cet ouvrage, qui saisit l'histoire de l'Algérie depuis l'homme préhistorique jusqu'à l'époque turque, est salué par Chekib Arslane, qui félicite et l'auteur et l'Association des oulémas. L'ouvrage servira de référence identitaire et idéologique aux oulémas.
Un deuxième courant commence à la fin de la décennie trente avec la publication par Jean-Mouhoub Amrouche de son Eternel Jugurtha (1939), suivi par Le Message de Yougourtha de Mohamed-Chérif Sahli (1940).
l'étape de cristallisation patriotique avec le ppa (1937-1947)
La seconde étape sera celle de la cristallisation patriotique avec le PPA. Elle va se développer à partir de la naissance du PPA en France en 1939, avec le déclenchement de la guerre mondiale. Elle se fera surtout au gré de son insertion en Algérie avec l'épisode particulièrement favorable de la constitution
des AML, dont il sera la véritable colonne vertébrale dès 1943, mais qui lui sera fatale en 1945 lors des soulèvements paysans plus ou moins spontanés dans le Constantinois.
L'Algérie en marche vers son émancipation connaîtra alors l'emprise d'une idéologie indigente, réactive et violente. Celle-ci prend naissance symboliquement dans les choix que fait Messali de se détourner des modèles des foyers révolutionnaires aussi bien asiatiques, africains qu'européens pour se porter vers les modèles pervertis des foyers moyen-orientaux où grenouillent tous les spéculateurs sur les richesses fabuleuses de la région en produits naturels énergétiques. Les compagnies anglo-américaines profitaient alors des difficultés du colonialisme français pour tenter de se placer dans les régions jusque-là sous son contrôle, à l'exception de l'Afrique du Nord, du moins jusqu'à la défaite de la France en 1940 puis jusqu'au débarquement anglo-américain en 1942 sur les côtes du Maghreb.
Ces contradictions interimpérialistes vont jouer sur la scène algérienne des rôles plus ou moins fonctionnels. C'est ainsi que l'on voit paradoxalement la formation et l'émergence de mouvements nationalistes du plus modéré (UDMA passé sous influence américaine pendant la Seconde Guerre mondiale) au plus radical (PPA sous influence orientale à cette même époque ainsi que l'Association des oulémas) et surtout on ne peut s'empêcher de relever la première alliance qui regroupe tous les mouvements aussi bien politiques (UDMA, PPA, élus) qu'apolitique (Association des oulémas) sous l'égide des Américains en 1942-43 à la suite de la constitution du groupe dit du Manifeste, inspiré et intéressé par la Charte wilsonienne de 1919 qui consacre, en son article 14, le droit des peuples et des nations à disposer d'eux-mêmes, charte dont la portée est révélée par le général américain Murphy à Ferhat Abbas à Alger lors de leur rencontre.
Les élites politiques algériennes dispersées idélogiquement sur des projets divers comme l'assimilationisme, le fédéralisme, l'autonomie plus ou moins grande, déstabilisées politiquement par les choix de leurs références et de leurs alliances (Orient identitaire, Orient révolutionnaire, Europe, Occident anglo-saxon) vont devoir s'affronter de manière de plus en plus féroce par le jeu des compétitions électorales qui opposent les partis légalistes que rejoint le PPA sous les recommandations explicites et les injonctions personnelles de Messali Hadj bravant la résistance des Algériens qui pensaient à l'époque déjà en découdre avec le colonialisme.
Le PPA fait une entrée fracassante en Algérie avec le meeting que Messali Hadj fait au nom de l'ENA en août 1936 au stade d'El Anasser, Ruisseau (voir le tome I des Elites, APIC, Alger 2004, page 61). Son radicalisme lui gagne presque instatanément les faveurs des couches populaires citadines, celles des couches rurales plus ou moins liées à l'émigration lui ayant été depuis plusieurs années capitalisées. L'ENA refuse toute participation aux élections suivie plus tard par le premier PPA au moins jusqu'au congrès de 1946-47. Il lui aura fallu dix ans (1936-1946) pour convaincre plus ou moins les élites algériennes et surtout les masses agissantes d'aller à l'urne plutôt que de prendre le maquis. Les élites nouvelles très fragiles encore préféraient partager les options des masses populaires dont elles partageaient déjà le sort et les conditions d'exploitation, de déni de justice et de refus de reconnaissance.
Venu presque en dernier sur le terrain de la représentation politique, le PPA draine les Algériens toujours suspicieux vis-à-vis de la colonisation. Ils ont appris à leurs dépens les fourberies et les félonies de toutes sortes, appuyées sur un véritable système de gestion où les trucages et les fraudes électorales étaient devenus quasiment légendaires. En octobre 1946, les membres du comité central du PPA (19) qui décida de la participation aux élections à l'Assemblée nationale française seront moins nombreux que ceux (22) qui, moins de dix ans plus tard, décideront en juin 1954 dans une villa du Clos-Salambier de lancer l'insurrection armée contre le colonialisme.
Cette volonté manifeste de recherche de confrontation électoraliste va s'exprimer dans le domaine culturel proprement dit. Les figures emblématiques du nationalisme algérien émergent petit à petit du néant historique que l'histoire colonialiste aura tenté de tisser. Avec l'émergence du PPA sortent du néant référentiel et historique imposé par la chape des historiens officiels du gouvernement général les figures de Jugurtha (Jean-Mouhoub Amrouche, 1939), de Youghourtha (Mohamed-Chérif Sahli, 1940) et enfin de l'Emir Abdelkader (Kateb Yacine, 1947). L'histoire nationaliste crée alors les figures emblématiques de la revendication d'émancipation nationale. L'histoire en marche provoque un sursaut et un réveil de la conscience nationale. Mais par un étrange paradoxe, plus la marche en avant indépendantiste de la conscience nationale se fait sentir, plus la marche politicienne des partis politiques de plus en plus légalistes s'accélère avec leur intégration dans le système gestionnaire de la vie politique des communautés en rupture et en conflit en Algérie. Le 8 mai 1945 voit un soulèvement généralisé dans le Constantinois avec une cassure profonde et irrémédiable entre les communautés, comme le souligne aussi bien Kateb Yacine à travers son œuvre ou comme le reconnaît Albert Camus venu enquêter sur les massacres. «Devant les évènements qui agitent aujourd'hui l'Afrique du Nord, il convient d'éviter deux attitudes extrêmes. L'une consiterait à présenter comme tragique une situation qui est seulement sérieuse. L'autre reviendrait à ignorer les graves difficultés où se débat aujourd'hui l'Algérie. La première ferait le jeu des intérêts qui désirent pousser le gouvernement à des mesures répressives, non seulement inhumaines, mais encore impolitiques. L'autre continuerait d'agrandir le fossé qui, depuis tant d'années, sépare la métropole de ses territoires africains…» (A. Camus, «Crise en Algérie», Combat, mai 1945).
En fait, ce qui caractérisera ces élites politiques des années quarante, c'est qu'elles auront été produites par la colonisation. Seulement, cette fois-ci, ce n'est pas par le jeu contradictoire de la politique coloniale, mais bel et bien par le jeu d'intégation et de récupération institutionnelle qui devait permettre au système colonial de montrer un nouveau visage émancipateur, civilisateur, conscientisant. Ce que les masses indigènes ne concevaient point et n'étaient pas assez dupes pour y croire. Voilà pourquoi les politiciens, y compris ceux du PPA d'abord et du PPA-MTLD ensuite, tenteront vainement d'accréditer l'idée que la voie électorale était la meilleure voie de conscientisation à la lutte nationaliste. Les Algériens tenaient tout ce qui était entrepris par le système colonial dans la plus grande méfiance. Et la formation et l'intégration des élites dans le système électoral colonial avaient fini par détacher les cadres activistes et les masses de toute tutelle politique et idéologique. Le populisme était en train de prendre forme. Une fuite en avant est ourdie par la direction du parti qui recourt une fois de plus aux thèses des complots. Comme en 1936, lors de la guerre civile espagnole, la direction du PPA lance une opération d'épuration politique pour éliminer tous les démocrates citoyennistes sous le fallacieux prétexte du «complot berbériste» ou encore sous la ténébreuse affaire «Lamine» (sans doute Debaghine) qui aurait soulevé les militants du Canstantinois contre la direction opportuniste et renégate du PPA-MTLD. Ce complot berbériste intervenait dans une situation de conflit très sensible et très subjective, la guerre israélo-arabe et la disparition de la Palestine, et comme pour l'affaire du complot «brigadiste», le parti a tranché par des exclusions et des «épurations». L'affaire devait se prolonger quelques années plus tard dans le conflit de La Colline oubliée, en 1953.
L'étape finale : crise, rupture et dépérissement des élites (1945-1955)
Le dépérissement des élites nationalistes s'ouvre avec leur enlisement dans l'électoralisme qui minera les différents partis politiques algériens. Ils imploseront tour à tour à partir d'une logique de compétition légitimiste et de légalisme institutionnel, colonial dès 1947. Les masses algériennes doutant de la volonté des politiques d'aller à la révolution armée témoigneront une désaffection générale. Quelques dizaines de rescapés de la répression de 1950 contre l'OS se lanceront à l'aventure, faisant confiance aux masses. Le soi-disant complot de l'OS de 1950 (encore un) n'avait pas convaincu la base impatiente. Elle avait plus ou moins senti l'affaire du démantèlement de l'OS plus comme un complot du parti légaliste que comme un complot policier colonialiste comme voulait l'accréditer la version officielle du parti et, à ce jour, encore a posteriori.
A ce sujet, il est intéressant de relever un ensemble de contradictions flagrantes dans l'écriture de l'histoire entre les protagonistes du PPA-MTLD ayant eu à traiter de ce problème (M. Boudiaf, B. Benkhedda et A. Kiouane). Le premier écrit qui fait état de la crise de l'OS et du conflit interne au MTLD est celui de Mohamed Boudiaf qui signale dans La Préparation du 1er Novembre 1954, publié en 1974, l'attitude hostile de la direction du parti aussi bien les messalistes que les centralistes envers les «lourds», les activistes de l'OS, et cela depuis le début des années cinquante. Reprenant le sujet en contrepoint, Benyoucef Benkhedda et Abderrahmane Kiouane retraceront dans Les Origines du 1er Novembre 1954, publié chez Dahlab à Alger, en 1989, et dans Aux Sources du 1er Novembre 1954, chez Dahlab, en 1996, l'histoire de l'OS présentée comme une initiative du parti et de ses organes dirigeants, passant sous silence les conflits violents qui ont conduit à la rupture radicale entre les masses et les élites partisanes. Même l'initiative prise par le comité des 22 de lancer contre l'avis de la direciton bicéphale (messalistes et centralistes) le processus militaire qui conduira à l'indépendance de la patrie est récupérée dans les deux récents ouvrages. Il s'agissait alors bel et bien d'une rupture nette au sein des élites politiques.
Mais c'est une rupture qui traversera d'abord et avant tout en son sein propre le mouvement radical de l'époque, le PPA-MTLD.
Quand la guerre de Libération éclate, il n'y a plus d'élite politique. Le populisme triomphe contre le centralisme et contre le zaïmisme. La plupart des cadres politiques de presque toutes les formations autchtones supris (PPA-MTLD, oulémas, UDMA et PCA) se retrouveront dans les prisons coloniales, alors qu'ils ignoraient jusqu'à la date exacte du déclenchement de la guerre. Mais si les élites politiques ont failli et l'ont payé (les centralistes comme les messalistes, les oulémas comme les élus, les fédéralistes comme les unionistes de l'UDMA), seuls les écrivains algériens, en particulier de langue française (Amrouche, Sahli, Kateb, Mammeri, Feraoun, Dib, Haddad, Senac, Greki et Pelegri) ont su être au rendez-vous de l'histoire. Ils ont exprimé haut et fort l'avénement de la révolution dès les années quarante et cinquante. Il en fut de même pour les chansonniers arabophones et amazighophones comme Aïssa Djarmouni et Ali L'khencheli au pays, ou surtout ceux de l'émigration (Hasnaoui, El Harrachi, Zerrouk Allaoua et Akli Yahiatène). Quoi de plus significatif alors que de voir publier dès le mois de décembre 1954 la première partie de la pièce de Kateb Yacine, Le Cadavre encerclé, qui parle de la radicale lutte anticoloniale. Or, ces mêmes intellectuels se retrouveront moblisés de manière ouverte et directe pendant toute la période de la guerre et sans discontinuité face au colonialisme et à ses épigones. Quand les masses paysannes entrent en guerre contre l'ordre colonial à l'appel d'un groupe activiste, les élites formées et formatées par la colonisation étaient dans leur écrasante majorité en marge de tout processus révolutionnaire. Ce dépérissement sera peut-être à l'origine de la méfiance populaire vis-à-vis des dirigeants et restera un constant autant qu'invariant comportement dans les relations tendues entre les Algériens et leurs responsables depuis cette époque. Depuis le déclenchement du processus révolutionnaire en 1954, le principe de collégialité a prévalu sur celui de la centralité dans la conduite de la guerre.
Il a permis une gestion directe, souple, adaptée au terrain. Contrairement à ce qui sera par la suite avancé comme un argument pour remettre en relégitimité d'anciens centralistes (dans des ouvrages parus en 1989 et en 1996) et pour réhabiliter l'idée de la nécessité à l'époque de recentraliser un mouvement populaire nourri par la culture de concertation et d'initiative, la gestion de la guerre déclenchée n'a jamais manqué de coordination.
Le faux alibi qui servira plus tard aux politiques pour reprendre en main un processus qu'ils n'avaient nullement initié, mais qu'ils ne pouvaient concevoir comme étant lancé en dehors d'eux et contre leur opportunisme et leur attentisme est à l'origine de grave déviation.
La dégradation de l'image du zaïm et du responsable politique se concrétisera depuis lors et se renforcera au gré des luttes souvent sordides autour du pouvoir depuis 1925 jusqu'à la période actuelle, plus édifiante sans doute.
Saïd-Nacer Boudiaf dit Abdelhamid
(**) Ancien maquisard, chercheur en histoire
et Mohamed-Lakhdar Maougal
(*) Universitaire
1 – La Préparation du 1er Novembre, éditions de l'Etoile, Mohamed Boudiaf.
2 – Elites algériennes, histoire et conscience de caste, Saïd-Nacer Boudiaf et Mohamed-Lakhdar Maougal, éditions APIC, Alger, juillet 2004, 210 pages.
3 – Kateb Yacine, l'indomptable démocrate, Mohamed-Lakhdar Maougal, éditions APIC, Alger, septembre 2004, 160 pages.
4 – Les Origines du 1er Novembre 1954, Benyoucef Benkhedda, éditions Dahlab, Alger, 1989, 360 pages.
5 – Aux Sources immédiates du 1er Novembre 1954, Abderrahmane Kiouane, éditions Dahlab, Alger, 1996, 163 pages.


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