« Le poète qui s'est emparé de tous les esprits ». Cette célèbre tournure à valeur patronymique revient toujours sous la plume de ceux qui s'intéressent au fameux poète Al-Mutanabbi (915-965). Aussitôt prononcée ou écrite, et l'on devine qu'il est question de ce grand poète, devenu, depuis le 10e siècle, l'emblème de toute la littérature arabe, à l'image de Victor Hugo pour les Français, de Pouchkine pour les Russes, de Shakespeare pour les Anglais, de Goethe, pour les Allemands, d'Homère pour les Grecs, de Dante pour les Italiens et de Virgile, pour les Latins. En littérature arabe classique, la chose est bien connue, la prouesse langagière a toujours constitué le support essentiel de toute créativité poétique. C'est pourquoi, tout était passé au peigne fin par les critiques littéraires, les philologues et, surtout, par les adversaires et les prétendants à la renommée poétique. De ce fait, Al-Mutanabbi ne pouvait échapper à l'œil critique de ceux qui l'aimaient comme de ceux qui le jalousaient. Et ils étaient légion. Le lecteur a donc eu droit, de Baghdad jusqu'à Cordoue, à tout un appareil de critique littéraire qui a accompagné, par la force des choses, les poèmes d'Al-Mutanabbi comme ses faits et gestes, d'autant que celui-ci a eu des prétentions politiques. Interrogé sur tel aspect ou sur tel allant dans sa poésie, notre poète avait l'habitude de dire que la réponse exacte se trouvait chez son ami, le grand linguiste, Ibn Djinni. Prétention démesurée de sa part ou fuite en avant ? Toutes les réponses sont possibles et acceptables, car, apparemment, Al-Mutanabbi n'était pas d'un bon négoce en matière de poésie, tout comme du reste, son prédécesseur Abu-Tammam (804-845) ou son successeur, Al-Maarri (979-1058). Déjà au Xe siècle, un critique littéraire d'origine persane, offrit son entremise pour porter un jugement plutôt équilibré sans froisser les partisans et les adversaires. Son livre, qui fait date depuis, est la somme de toutes les critiques positives et négatives touchant au corpus poétique d'Al-Mutanabbi. Et même si les poètes de son temps pouvaient se permettre des fantaisies, Al-Mutanabbi, de par sa stature, était le point de mire. C'est pourquoi, il était souvent accusé de plagiat. La moindre fausse sonorité susceptible d'être rencontrée dans sa poésie ne lui était pas pardonnée et entraînait ainsi des digressions continuelles dans le cercle de ses adversaires. Et si par malheur l'on tombait sur telle image qui rappelât telle parabole chez l'un de ses prédécesseurs, alors c'est le comble du dénigrement. Il dut même recevoir, un jour, sur son front l'encrier de son adversaire, Ibn-Khalaouih, le grand philologue, en présence du gouverneur d'Alep, au nord de la Syrie, qui était pourtant un grand mécène et son ami en même temps. Toutefois, il faut reconnaître que, durant plus de mille ans, les poètes et les critiques littéraires ont, su comment polémiquer et se battre en ayant en vue un seul objectif : celui de tout ce qui est beau, par le biais de la rhétorique et des dires de leurs prestigieux ancêtres.