Après plus de dix années de mise en œuvre, le mode de production agricole algérien, dopé par les centaines de milliards de dinars du PNDA n'a, à l'évidence, pas généré l'abondance promise. L'envolée des prix des fruits et légumes, mais également de toutes les catégories de viandes, constatée sur les marchés de la capitale témoigne, bien au contraire, d'une nette restriction de l'offre d'exploitations agricoles encore très mal en point en dépit des lourds capitaux injectés. C'est en effet une véritable folie qui s'est emparé des mercuriales d'une très large gamme de produits de l'agriculture que seule une forte baisse des performances productives des unités de production peut expliquer. S'ils peuvent effectivement constituer des facteurs aggravants, les dysfonctionnements des circuits de commercialisation ne sauraient, à eux seuls, comme on a tendance à le faire croire, causer un tel désordre dans la formation des prix, car il est universellement admis que lorsque les produits sont abondants, leurs prix baissent quasi automatiquement, notamment lorsqu'il s'agit de biens périssables qu'on ne peut pas stocker longtemps. Les prix de certains fruits, légumes et viandes que nous avons relevés ce jeudi 19 février 2009 au niveau des marchés de Birkhadem, El Harrach et Réda Houhou (ex-Clauzel) sont, à ce titre, très éloquents. La pomme de terre était cédée à 45 DA le kilo, la tomate à 55 DA, l'oignon à 40 DA, la courgette à 60 DA, les carottes à 30 DA, les petits pois à 120 DA et le poivron à 120 DA. Pour ce qui est des viandes, nous avons relevé entre 820 et 840 DA le kilo de viande de mouton, 750 à 800 DA pour la viande de veau, 230 à 250 le kilo de poulet vidé, 11 à 12 DA l'œuf et, tenez-vous bien, 250 DA le kilogramme de sardines fraîches. Peu de clients avaient de ce fait rempli convenablement leurs couffins, certains ayant préféré se diriger vers d'autres marchés de la capitale dans l'espoir d'y trouver des prix plus abordables. C'était évidemment peine perdue, la hausse des prix semblant obéir beaucoup plus à des causes structurelles (baisse de la production) qu'aux sautes d'humeur de commerçants. Comment un salarié moyen, et encore plus un « smicard », pourrait s'en sortir avec un tel niveau de prix affectant de surcroît des produits alimentaires incontournables, quand bien même ils sont interchangeables. Si l'on se base sur les prix affichés cette semaine, il faudrait, selon nos estimations, pas moins de 27000 DA pour assurer la nourriture mensuelle d'une famille algérienne constituée de seulement 5 membres. Nous avons évidemment inclus dans cette estimation le coût de certains ingrédients, comme les pâtes alimentaires, les féculents, la semoule et le lait. Quand on sait que le revenu mensuel médian d'un travailleur déclaré n'est que de 16 000 DA environ, on peut imaginer l'ampleur du désarroi de nombreux pères de famille, désormais incapables de nourrir correctement leur progéniture et encore moins de faire face aux autres dépenses incompressibles que constituent le loyer, les soins médicaux, l'électricité, le téléphone et autres. Le cumul de l'ensemble des charges porterait, sous réserve d'un calcul plus rigoureux, le budget nécessaire à la stricte survie d'une famille algérienne à environ 44 000 DA !!! On se pose alors la question de savoir comment les plus démunis arrivent-ils à s'en sortir. Une tentative d'explication, confortée par l'observation empirique, a été apportée par une étude du CREAD qui évoque les compléments de revenus tirés de pratiques informelles (trabendo, gardiennage de véhicules, production à domicile par les femmes, etc.) exercées par le chef de famille et dans de nombreux cas par ses enfants. On comprend alors pourquoi les pouvoirs publics ne sont pas pressés d'éradiquer ces marchés informels qui permettent, aujourd'hui plus que jamais, d'éviter l'explosion sociale. Les larcins et diverses autres formes de vol sont également légion, notamment en milieux à forte concentration urbaine. De ce trop grand décalage entre les revenus salariaux des travailleurs, y compris ceux faisant partie des classes moyennes et le niveau des prix des produits de large consommation, il ne peut effectivement rien résulter de positif pour une société qui se voit, nécessité oblige, contrainte à la débrouille avec toute la difficulté qu'il y a aujourd'hui à établir une démarcation claire entre ce qui est licite et ce qui ne l'est pas. La porte est alors ouverte à toutes les dérives et les constats faits périodiquement par les services de sécurité témoignent d'une explosion des délits en grande partie due à cette paupérisation rampante. En instaurant la vérité des prix, sans l'avoir accompagnée d'une vérité des salaires, l'Etat en est grande partie responsable. Mais comme il doit veiller aux équilibres macro-économiques qu'une politique salariale trop généreuse pourrait compromettre, c'est sur les modes de production et de commercialisation des biens agroalimentaires qu'il devrait concentrer son pouvoir de régulation, l'objet étant de contraindre à davantage de performance et d'efficacité. Et, pour ce qui est des performances productives du secteur agricole qui a, comme on le sait, englouti sans contrepartie satisfaisante des sommes colossales, nous sommes aujourd'hui convaincus de la nécessité d'un bilan et d'un débat public sur l'efficacité de ce mode de financement qui a, à l'évidence, a atteint ses limites.