Pour la mise en œuvre de la plate-forme d'EI Kseur, croit-on savoir. Passons sur la manière et le contexte dans lesquels a été enclenché le premier round du dialogue, puis l'invitation pour un second round et la célérité avec laquelle les représentants du mouvement des archs ont répondu favorablement en croyant en la bonne volonté politique du chef du gouvernement de satisfaire la plate-forme d'EI Kseur. Nous ne voulons faire un procès d'intention de quiconque ni porter un jugement sur la représentativité de tel ou tel délégué – dialoguiste et non-dialoguiste – ni se prononcer sur la négociabilité de la plate-forme d'EI Kseur. Disons seulement que toute plate-forme de revendications est discutable. Cette présente réflexion se veut être une critique constructive, afin de participer, modestement, au débat politique sur la crise engendrée par les événements du printemps noir. Même si ce débat étant biaisé. Tout de même, il est du devoir de tout citoyen algérien, homme de culture, militant, d'apporter sa contribution à ce débat. Le problème nous concerne tous. Aucune partie ne doit être marginalisée ou ne doit se sentir non concernée. Il est grand temps que le débat politique reprenne sa place dans notre pays. C'est la condition sine qua non dans l'exercice de la démocratie. À propos du dialogue Gouvernement-Archs Tout le monde s'accorde à dire que tout conflit, de par le monde, passe inévitablement par des négociations entre les deux parties en conflit pour trouver des solutions à la crise. Le dialogue est un principe incontournable en démocratie. Dans le cas des événements douloureux qu'a vécus la Kabylie, le dialogue aurait pu être enclenché dès les premiers jours des tueries. Il y a lieu de rappeler que le plus grand nombre de victimes sont tombées durant la période du 25 au 29 avril 2001 à travers plusieurs localités de la Kabylie (voir le rapport Issad). Si le pouvoir était animé de bonne volonté d'éteindre le feu, une occasion lui était offerte le 14 juin 2001, lors de la marche historique à Alger de plus de deux millions de citoyens. Si le premier magistrat du pays avait accepté, ce jour-là, de recevoir la délégation qui était chargée de lui remettre la plate-forme de revendications d'EI Kseur, la crise aurait trouvé un début de solution, voire une solution définitive, et d'autres vies humaines auraient été épargnées. Si le président de la République avait demandé pardon aux familles des victimes, les événements n'auraient pas pris une telle tournure regrettable. C'était le pouvoir – présidence et gouvernement – qui avait fermé la porte au dialogue, entendons-nous bien. Les décideurs ne voulaient pas, à cette époque-là, au moment où le mouvement des archs était soudé et en pleine forme, prendre les choses au sérieux. Ruse politique oblige. Ni les cris SOS de la population, ni les mises en garde des partis politiques et des organisations de la société civile nationales et internationales, ni les réactions de personnalités indépendantes n'avaient inquiété les décideurs. Ces derniers ont opté pour une stratégie malsaine qui consistait à discréditer le mouvement par la désinformation, à minimiser la portée des événements, à pousser au pourrissement afin de semer la division et la suspicion entre les enfants de ce pays. Objectif : diviser pour mieux contrôler et manipuler. Mise à l'écart des partis politiques et autres organisations Que peut-on attendre d'un tel dialogue censé régler la crise lorsqu'on met à l'écart les partis politiques, les syndicats, les organisations de la société civile et des personnalités indépendantes. Tout le monde reconnaît, il a été même réaffirmé à plusieurs reprises, que le règlement de la crise aussi complexe que celle vécue par la Kabylie appelle la contribution de toutes les bonnes volontés et compétences. Pourquoi alors le chef de l'exécutif a choisi de discuter avec un seul partenaire, sachant que ce même partenaire est contesté à l'intérieur du mouvement. Il n'y a qu'à lire les déclarations d'Ali Gherbi, Hakim Kacimi (deux autres principaux animateurs qui ont pris part au premier round), celles des coordinations des Ouacifs et d'Aït Zmenzer ainsi que la position des délégués de l'aile dite non-dialoguiste. Ouyahia ignore-t-il ou feint-il d'ignorer la réalité en Kabylie ? Partant de ce constat, ne risquons-nous pas d'assister à un remake de dialogue comme c'était le cas entre Benflis et Alilouche ? Dialogue qui s'était soldé par un échec patent. Rappelons-le, Benflis avait mis sur pied des «ateliers», Ouyahia des «mécanismes». Quelle différence ? À propos du mouvement Il faut le dire et l'affirmer sans complexe que le mouvement citoyen a atteint ses limites. Il doit faire son mea culpa et son autocritique quant à son fonctionnement et ses visions. Pourquoi les animateurs du mouvement – les deux ailes confondues – ne dialoguent pas d'abord avec les partis politiques, les associations et les personnalités indépendantes qui les ont soutenus dans les moments difficiles. Pis, même les avocats qui ont défendu le mouvement bec et ongles sans prendre des honoraires sont mis à l'écart. Plus grave encore, le principe le plus élémentaire en démocratie à savoir le pluralisme politique étant mis en cause à l'intérieur du mouvement. Il n'y a qu'à se rappeler de la chasse aux sorcières dont étaient victimes les délégués «partisans». Or un mouvement rassembleur et mobilisateur doit compter sur toutes les sensibilités actives. Que reste-t-il en Kabylie si l'on met à l'écart les deux principaux partis démocratiques, à savoir le RCD et le FFS ? Ce n'est pas nécessaire, ici, de prouver l'implantation de ces deux formations en Kabylie particulièrement. Il faut ajouter à cela, le MCB, le MAK, les associations, les artistes, les personnalités indépendantes, etc. On oublie peut-être que Ahmed Ouyahia, lui-même, est leader d'un parti politique – le RND – qui a défié le mouvement en prenant part aux élections municipales et législatives de 2002 en Kabyhie. Ironie du sort. Mesures d'urgence Si volonté politique il y a pour régler définitivement la crise en Kabylie – crise plutôt algérienne -, un certain nombre de mesures d'urgence doivent être prises par le président de la République lui-même. Il s'agit, entres autres, de l'ouverture du champ politique et médiatique. Il n'est pas normal que des partis politiques et organisations légales ne puissent accéder à la télévision et aux espaces publics. Afin de désamorcer la crise et d'entamer un véritable dialogue, il faudrait à mon sens : – organiser des émissions télévisées en invitant des représentants de partis politiques, délégués des archs, personnalités indépendantes, experts politiques et juridiques pour ouvrir une série de débats sur la mise en œuvre de la plate-forme d'El Kseur et d'autres questions d'actualité ; – organiser des rencontres bilatérales de concertation entre le président de la République et les leaders des partis politiques autour de cette question. C'est à travers ces mesures d'urgence d'ordre politique que l'on peut parler de vrai dialogue pour la mise en œuvre de la plate-forme d'El Kseur. Sans cela, «il n'y a que ruine et poussière» pour paraphraser Mustapha El Kamel Attaturk. A partir de ce moment-là, tout est discutable dans ladite plate-forme. La seule chose qui n'est pas discutable, à mon sens, c'est le point relatif aux «jugements des assassins et leurs commanditaires». C'est un principe incontournable même en droit international. Alors, dans ce cas, il y a lieu de déterrer le rapport de la commission Issad. Il est temps…