Durant le temps où j'apprenais la musique, mes aînés disaient toujours, lorsqu'ils arrivaient à l'évoquer, reprenant eux-mêmes ce qui, longtemps avant eux, se disait à son propos : « Honore-la, elle te procurera considération. » Pendant toutes les années où j'ai connu Abderrezak Fakhardji, je n'ai eu de cesse d'observer sa stricte fidélité à ce vieil adage. Son attachement profond à la musique et le respect qu'il avait pour son art avaient façonné en lui un personnage dont la règle de conduite était toute empreinte de dignité, particulièrement lorsqu'il s'agissait de défendre ce qui lui tenait à cœur, ayant, par nature, de l'aversion pour le rôle de quémandeur. Sous des dehors d'homme réservé se cachait un être sensible et d'une incommensurable gentillesse qui faisait qu'il était très aimé de ses élèves et suscitait, tant par ses qualités morales qu'artistiques, le respect et l'estime de ceux qui connaissaient sa valeur, qu'ils fussent amateurs ou professionnels, ou responsables à quelque titre dans le domaine de la musique. Elevé dans un milieu où l'on vénérait l'art si cher aux Andalous, les circonstances ont amené Fakhardji, au début de l'année 1930, à la société El Djazaïria - future El Djazaïria El Mossilia - nouvellement créée, où, après en avoir été un brillant élève, il enseignera, à son tour, la musique en prenant le relais de son maître Mohamed Ben Teffahi, ce disciple de l'illustre Mohammed Sfindja, et ce, jusqu'en 1952. A cette date, il est appelé, en effet, à occuper le poste de professeur de classe supérieure au conservatoire d'Alger, laissant à ses élèves le soin de poursuivre sa tâche au sein de l'association. Il continuera, néanmoins, à en être le vice-président jusqu'à sa mort survenue le 12 janvier 1984. Pendant les trois dernières années de sa vie, il présidera aux destinées d'une nouvelle association créée par ses anciens élèves du conservatoire et à laquelle ils ont tenu à attacher le nom de leur prestigieux professeur. Le mérite de Abderrezak aura été d'enseigner, partout où il l'a fait, tout ce qu'il savait sans rien demander en retour. En cela, il a été le digne successeur de son providentiel maître Ben Teffahi, disparu 40 ans avant lui et auquel nous devons la sauvegarde d'une grande partie de notre répertoire, ainsi que de son frère aîné Mohammed, décédé en juillet 1956. La grande érudition en matière de musique classique traditionnelle des frères Fakhardji et l'incomparable maîtrise instrumentale de Abderrezak les avaient conduits à être choisis par leurs pairs, en 1945, pour prendre la tête, dans le contexte d'alors, de l'importante formation constituée à la station centrale de Radio Alger, qui fera, longtemps, la joie des mélomanes et ralliera de nombreux néophytes. D'ailleurs, son succès sera tel que le Maroc s'en inspirera pour créer l'orchestre de Rabat avant que la formule soit étendue à d'autres villes du pays. Pourquoi cet ensemble n'a-t-il pas été reconstitué quand Abderrezak était en vie ? Par quelle ironie du sort, ce maître incontesté de l'Ecole d'Alger, appelé par la nature des choses à jouer un rôle dans le renouveau de notre patrimoine musical, était-il demeuré en marge d'une activité à la dimension qui était la sienne ? Aurons-nous, un jour, une réponse à toutes nos questions ? Sid Ahmed Serri Maître de l'arabo-andalou.