Le maître Sid Ali Serri ne peut oublier ce qu'il doit à ce monument de la musique andalouseLLe regretté Abderrazak Fakhardji, l'une des figures de proue de la musique andalouse, est décédé le 12 janvier 1984. Il a laissé derrière lui un legs important et des élèves qui ont pris la relève. D'emblée, on est subjugué par la narration que fait Sid Ahmed Serri de son maître. Un maître qu'il a côtoyé dès les années 1946 et ce, jusqu'à sa mort. Abderrazak Fakhardji était un personnage sur lequel on pouvait distinguer l'homme et l'artiste. En tant qu'homme, révèle Ahmed Serri d'une voix émue, c'était une personne très généreuse, affable et respectueuse à l'égard des autres. « C'était quelqu'un de qui vous n'entendrez jamais quelque chose de choquant. » L'ancien disciple confie que le regretté Si Abderrazak mettait tout de suite à l'aise ses élèves en les considérant avant tout comme ses amis. Malgré la différence d'âge, le tutoiement et l'appellation par son diminutif, Merzak, une fois en cours le respect le plus total régnait. Chacun s'en tenait à son rôle. Dans son rôle d'artiste et de professeur, explique Ahmed Serri, Abderrazak Fakhardji incarnait le maître dans toute l'expression du mot. « Nous pouvons dire que s'il n'y avait pas eu Abderrazak, notre répertoire serait assez réduit aujourd'hui. » Notre interlocuteur argumente en disant que Abderrazak était l'élève de Si Mohamed Benteffahi qui a été longtemps le compagnon de Mohamed Sfindja. Ce dernier, décédé en 1908, était le grand maître de l'école d'Alger. Abderrazak et son frère Mohamed étaient membres de l'association El Djazaïria, laquelle fut créée en 1930. Sid Ahmed Serri se souvient que quand son professeur est parti enseigner au conservatoire d'Alger, ce n'est pas pour autant qu'il l'a lâché. « Comme il était célibataire, une fois qu'il quittait son travail, il rejoignait l'association le soir. Aussitôt, je lui demandais de m'apprendre. » Le maître s'exécutait sans hésitation aucune et avec beaucoup de générosité. C'est comme cela que le tout jeune élève qu'était Serri a pu profiter des connaissances de ce grand artiste. Poussant un peu plus loin ses souvenirs, Sid Ahmed Serri se rappelle que pendant que ses amis allaient au bal les dimanches, lui harcelait le maître pour qu'il lui enseigne une nouvelle partition musicale. Il avait, dit-il, en compagnie de quatre ou cinq éléments de l'association, la passion du jeu. « Ils aimaient jouer aux cartes et aux dames pour le plaisir. Quand j'allais à l'association et quand il avait un moment de libre, je m'approchais de lui et on se mettait à travailler. » Sid Ahmed Serri allait même quelquefois au Conservatoire pour assister au cours du maître. C'est avec modestie et fierté à la fois que Serri est convaincu que tout ce qu'il détient aujourd'hui comme capital, il le doit à 95% à son professeur. Depuis la disparition de Abderrazak Fakhardji, très peu d'hommages lui ont été consacrés, si ce n'est celui de 2004, à l'occasion du vingtième anniversaire de sa mort. Sid Ahmed Serri affirme que Dieu lui est témoin de ce qu'il a pu écrire sur les frères Fakhardji et sur leur regretté maître, Si Mohamed Benteffahi. L'homme a repris tous ses écrits afin que le large public sache ce que ces hommes ont apporté dans le domaine musical. « C'est grâce à Benteffahi que le répertoire que nous détenons aujourd'hui a été sauvé et transmis par les frères Fakhardji, en particulier à Abderrazak. » Une fois sa retraite prise en 1982, Abderrazak Fakhardji a continué d'enseigner au sein de l'association qui porte son nom. Il ne faut pas oublier, avertit Serri, qu'à la radio, on avait créé des ensembles permanents où les frères Fakhardji figuraient. « Voilà un bonhomme qui a vraiment tout donné et qui mérite une reconnaissance très appuyée de la part de l'Etat algérien », lance d'une voix navrée Sid Ahmed Serri. Les jeunes, argue-t-il, ne connaissent rien sur Abderrazak. Ils connaissent déjà mal leur musique, « bien que comme vous voyez, les associations se multiplient à travers le territoire et attirent des milliers de jeunes. C'est une satisfaction, mais les médias lourds comme la radio et la télévision ne jouent pas le jeu ». On continue encore à ignorer notre musique. On donne beaucoup plus d'importance aux productions étrangères, notamment celles du Moyen-Orient, « alors que ce qui est à nous, on le voit très rarement ; sinon, pour la musique classique, on vous fait passer cela à des heures tardives de la nuit ». Au milieu de ses souvenirs pathétiques, Serri annonce qu'un hommage sera rendu, prochainement, à Abderrazak Fakhardji, comme en 2004. A travers cet hommage, la relève veut démontrer par-là que, la chaîne n'a pas été rompue.