C'est en 1954 que le célèbre bottier français, Roger Vivier, à l'imagination prolifique, élabore le premier talon aiguille. Cinquante ans plus tard, il disparaît en 1998 pour renaître sous le crayon de Bruno Frisoni. Agé de 40 ans, ce créateur s'est vu confier les clés de la nouvelle boutique de Roger Vivier, financé par l'Italien Diego Della Valle, le PDG de Tod's qui a racheté la griffe. Dans ce lieu, sont exposés sur des escaliers en bois laqué, des escarpins à boucles de satin aux cuissardes, du crocodile teint rose aux broderies, signées Lesage ou encore Montex. De ses études de sculpture à l'Ecole des beaux-arts de Paris, Roger Vivier a appris à conserver le souci du design, au point de créer la chaussure comme une œuvre d'art. «Il élabore le célèbre "aiguille", ce talon de Louis XV effilé vers le bas, avec un "bonbout" très réduit pour mieux terminer la silhouette d'un coup de crayon», disait-il. Roger Vivier est réputé pour ses talons fantaisistes. En effet, il a réalisé plusieurs mobiles de talon dont le talon «boule» dessiné à Marlène Dietrich, dont la pointe traverse un globe couvert de strass, le talon «chèvre» ou en encore le talon «escargot». Son exil aux Etats-Unis pendant la guerre lui a permis d'apprendre le métier de modiste. A son retour à Paris, ses souliers s'enrichissent de drapés de dentelle, de chiffonnade d'organdi, de rubans bouffants ou de plumes de martin-pêcheur. Son savoir-faire lui a valu le nom de «Fabergé du soulier» : orfèvre plutôt que bottier. «Mes chaussures, disait-il à l'époque, touchent rarement l'asphalte». Ses chaussures étaient plus qu'un label. En plus des célébrités qui s'arrachaient ses chaussures, la rue également accaparait sa marchandise. En effet, plus de120 000 paires de petits vernis à boucles, portées par Catherine Deneuve dans Belle de jour, se sont vendues chaque année durant trois années. En 1997, âgé alors de 90 ans, il est promu directeur artistique de Myris, l'une des plus populaires marques de chaussure du moment pour qui il inventa une sandale à semelle et talon plastique «sans couture». De l'homme, on ne savait pas grand-chose puisqu'au siècle dernier, les créateurs n'étaient pas encore des vedettes. Sa boutique ayant fermé à la fin des années 1960, Roger Vivier avait l'intention de monter un nouveau studio pour justement travailler avec de jeunes créateurs. Son projet inachevé est devenu réalité, puisqu'aujourd'hui, Bruno Frisoni a accepté de faire revivre la griffe Roger Vivier. A un demi-siècle d'intervalle, il existe une même envie de brillance chez Bruno Frisoni et Roger Vivier. Le nouveau successeur estime que Roger Vivier est plus qu'une marque. «C'est une maison de luxe. Bruno, c'est ma pâte, soit 100% de liberté et des chaussures qui se veulent ludiques. Nous avons en commun l'amour, l'amour du détail et des jeux de rubans. Chez moi, ils sont en gros grains, quand ils seront en mousseline déchiquetée ou en satin chez Vivier», confie-t-il.Un artiste est mort laissant derrière lui une relève assurée. Cependant, l'héritier tient à préciser qu'il n'y aura pas de réédition de modèles phares. Dans un premier temps, le nouveau créateur chechera à communiquer un esprit et un style Vivier. «Les rééditions peuvent venir par la suite, avec une parcimonie pour stimuler, inspirer une saison», argumente-t-il.