L'Algérie, son système politique et ses Constitutions », est la partie du débat qui échoit au professeur Madjid Benchikh, dont l'analyse confère au système politique algérien le caractère de démocratie de façade. Pour M. Benchikh, il serait vain d'aborder les textes de lois sans se référer à la réalité politique. « La Constitution serait une coquille vide, si elle n'est pas accompagnée de pratique. Même avec les pleins pouvoirs que lui offrait la Constitution de 1963, Ben Bella a été écarté par un coup d'Etat en 1965 qui a mis fin à la Constitution. Il aura fallu attendre 1976 pour revenir à la Constitution non pas pour instaurer un partage équilibré des pouvoirs, mais pour chercher une légitimité constitutionnelle. Une légitimité qui permettrait à Boumediène de mobiliser une force sociale suffisante pour lui permettre de considérer qu'il représente un peuple. Mais, en réalité, on met en place une façade qui donne le pouvoir à un parti à qui pourtant échappe la réalité du pouvoir. Donc, dès le départ, la Constitution en Algérie ne décrit pas une pratique politique », explique Madjid Benchikh.Evoquant la Constitution de 1989, le même analyste souligne les changements opérés à la faveur de cette nouvelle loi fondamentale en termes d'ouverture au multipartisme, de pluralisme associatif, de liberté syndicale, et de reconnaissance des droits de l'homme. « Le pluralisme politique est d'abord une affaire de représentativité populaire » Mais ces acquis s'avèrent fragiles et pas assez protégés par la loi car, dit-il, « cette Constitution n'a pas été l'émanation d'une combinaison de forces organisées dans la société pour arracher le pluralisme ; si tel avait été le cas, on aurait vu ces forces veiller à la sauvegarde de ces acquis. En 1989, il n'y avait pas de partis politiques ni d'associations, car l'appareil du parti s'opposait à l'éclosion de balbutiements de liberté d'agir dans la société. Donc, on ne peut pas dire que des forces autonomes ont imposé l'ouverture de 1989. C'est dire alors combien les libertés et le pluralisme reconnus sont fragiles. » Le juriste poursuit son analyse en faisant remarquer que la Constitution actuelle ressemble à celle de 1989, à l'exception du bicaméralisme. « Ce qui peut caractériser une Constitution démocratique est la garantie du pluralisme et de la représentativité et la séparation des pouvoirs. En Algérie, le pluralisme semble être garanti par la Constitution. Je dis semble, car il existe certes des partis et de nombreuses associations ainsi qu'une liberté syndicale, mais il manque beaucoup de choses pour parler de vrai pluralisme. Il ne suffit pas d'être pluriel en nombre mais aussi en projets », ajoute-il. Si l'on observe la scène politique, précise le conférencier, « en guise de projets, il n'y a pas grand-chose. Certains partis n'existent que lors de rendez-vous précis ou à travers des communiqués et ce qui est plus dommageable à la Constitution, c'est que certains partis soient liés aux tenants du pouvoir. Alors que le pluralisme est destiné à refléter la diversité dans la société », juge-t-il, en soulignant que le pluralisme est utilisé comme un instrument de manœuvres. « C'est une sorte d'organisation de la confusion, discréditer l'idée même de démocratie. L'autonomie est une condition essentielle pour construire la représentativité des populations au nom desquelles ils prétendent agir. » Ceci, et de souligner qu'il n'y a pas de pluralisme sans élections libres et honnêtes et sans garantie de séparation des pouvoirs. « La séparation des pouvoirs est que chacun doit rendre des comptes. En Algérie, la politique tourne le dos à l'obligation des décideurs de rendre des comptes. Il est vain de discourir sur la qualification du système politique. Même dans un régime présidentiel où le chef de l'Etat n'est pas comptable devant le Parlement, il n'a pas le droit de dissoudre l'Assemblée. Nous sommes dans une démocratie de façade où la pratique politique est autre que ce qui existe dans les lois », assène M. Benchikh. Et d'ajouter : « Il faut toujours garder en vue le rôle de l'armée qui, à chaque fois, prend les devants ; en 1963, 65, 78, 88, 91. Il paraît téméraire de parler du système politique sans avoir une idée du fonctionnement des institutions. » Interrogé sur la révision de la Constitution du 12 novembre 2008, le juriste indique que le Président est en droit, selon la Constitution, de la réviser, mais « la non-limitation de mandats est-t-elle opérée comme une direction prise pour aboutir à un déséquilibre des pouvoirs ? Ce n'est pas dit clairement. Au-delà des personnes, cette disposition part-elle d'un équilibre ? Ce n'est pas évident », insiste-t-il en précisant qu'une Constitution ne doit pas être le fait d'une élite politique, mais un contrat social élaboré dans le cadre d'un débat dans la société et auquel doivent adhérer les citoyens. « Cela n'a jamais été le cas en Algérie. »