Le port d'Alger connaît depuis quelques jours une effervescence particulière. La gestion de l'Inspection divisionnaire des douanes des régimes particuliers (IDRP) a été passée au peigne fin par le directeur régional, et les conclusions de son enquête auraient été accablantes. En quatre ans, 193 millions de dinars (19,3 milliards de centimes), montant des droits et taxes relatifs au dédouanement des véhicules, auraient été détournés de la recette. L'astuce consiste à enregistrer les déclarations douanières sur micro-ordinateurs, à délivrer les D3 aux clients, puis, une fois la journée terminée, à tout effacer du serveur, bien sûr en prenant le soin de transmettre quelques déclarations au Centre national d'informatique et de statistiques (CNIS) pour ne pas attirer l'attention des responsables. Dans le lourd rapport transmis au directeur général en cette fin de semaine, il est fait état d'un détournement de 55 millions de dinars durant l'année 2001, 20 millions de dinars en 2002, 60 millions de dinars en 2003 et 58 millions de dinars en 2004. En fait, il ne s'agit pas de la première opération du genre, puisque déjà, en 2003, plusieurs correspondances émanant de la Direction de lutte contre la fraude ont été adressées à la hiérarchie pour alerter sur ce grave trafic. Le 24 février 2003, par exemple, dans un courrier (n°188), le directeur central de la Direction de lutte contre la fraude a écrit à propos d'une affaire de dédouanement de tracteurs routiers : « En dépit de moult écrits et de relances pratiquement au quotidien, mes enquêtes n'ont pu récupérer que 100 déclarations sur les 486 réclamées, et ce, depuis le 28 octobre 2002 à ce jour. Toutefois, il y a lieu de préciser que notre mission d'enquête, en tentant de récupérer lesdites déclarations, avait découvert un autre fléau et qui a trait à des liquidations de déclarations en douane, en dehors des heures légales d'ouverture, au moyen d'usurpation d'identité et des attributs professionnels d'un fonctionnaire des Douanes (...). Dans leurs tentatives pratiquement quotidiennes de récupérer les 386 déclarations en douane restantes, mes enquêtes avaient eu donc à découvrir que certaines d'entre elles avaient été enregistrées entre 7h26 et 7h31 de la journée du 9 octobre 2002. Il s'agit de 14 déclarations enregistrées toutes au nom de Abdelkader A. de Hadjout, wilaya de Tipaza. » Cette affaire avait été suivie certes d'un dépôt de plainte, mais n'a concerné que 14 déclarations douanières, alors qu'à la lumière du contenu des différentes correspondances du directeur de la lutte contre la fraude les « irrégularités » sont de loin beaucoup plus importantes. Graves accusations Le 9 avril 2003, le même responsable a saisi par écrit (n°38) le directeur régional d'Alger-Port l'informant du « refus » de l'ancienne IDRP de transmettre à la Direction de l'assistance mutuelle les documents de mise en circulation des véhicules type grosse cylindrée pour authentification. « Ces demandes d'authentification ne nous sont parvenues que cinq mois après les dates d'établissement des titres de passage en douane (...). Vous saisirez peut-être pourquoi les services de l'Inspection aux régimes particuliers refusent de remettre aux enquêteurs de la Direction centrale de la lutte contre la fraude les copies des dossiers contentieux demandées suite à la découverte d'irrégularités (vols, faux...) entachant le dédouanement de certains véhicules type grosse cylindrée présentés au dédouanement au cours des exercices 2000, 2001, 2002. » Le 12 juillet 2003, le directeur de la lutte contre la fraude a écrit (correspondance n°754) à son directeur général pour l'informer encore une fois de « certains agissements répréhensibles » entourant le dédouanement de véhicules type grosse cylindrée de moins de trois ans d'âge au port d'Alger. Dans cette correspondance à laquelle a été jointe une liste de 83 véhicules, dont 46 Mercedes - dont l'importation en 2000, 2001, 2002 est entachée d'« irrégularités » -, le signataire a précisé que sur les 78 déclarations réclamées, 17 ont été remises aux agents chargés d'enquêter sur cette affaire. « Pour les 61 autres, les services de l'Inspection des régimes particuliers n'ont pas réagi bien que, pour certains cas, trois années se soient écoulées depuis leur introduction sur le territoire national. Aussi sommes-nous enclins à ne pas écarter le fait que les dossiers de dédouanement déposés ont été : 1- soit restitués avec la complicité de fonctionnaires des Douanes. Ces dossiers pouvaient être déposés et traités au niveau d'autres bureaux des Douanes sans difficulté aucune puisqu'il ne pouvait y avoir d'apurement de manifeste du fait que ces véhicules sont couverts par des titres de passage en douane démunis des numéros de gros et d'articles. 2- Soit laissés volontairement ouverts (ou en souffrance) avec possibilité de dédouaner les véhicules en question ailleurs. 3- Soit tout simplement détruits (...). Tels sont les éléments d'information découlant de l'enquête menée par mes services sur le refus de communication de déclarations code D10 sur des véhicules type grosse cylindrée authentifiés comme étant volés ou dont l'année de première mise en circulation a été gonflée. » Ce courrier est très révélateur et montre qu'il y a bien des choses qui se passent au port d'Alger, notamment à l'IDRP. Les détournements des droits et taxes douaniers et la destruction des déclarations relatives au dédouanement mis au jour par le directeur régional lèvent une toute petite partie du voile entourant le fléau de la corruption qui a gangrené les institutions de l'Etat, notamment l'administration douanière. La question qui reste posée est celle de savoir pourquoi et comment les services de cette institution n'ont pas réagi après les nombreuses sonnettes d'alarme tirées de surcroît par ses cadres. A signaler qu'en février 2003 ce sont les chefs de cabinet du chef du gouvernement et du ministre des Finances qui ont saisi par courrier le directeur général des Douanes sur la base d'une lettre anonyme faisant état de graves accusations de corruption à l'encontre des receveurs des Douanes d'Alger-Port de Tipaza et de Chlef lors du dédouanement de tracteurs routiers admis, « grâce à des manœuvres frauduleuses », comme véhicules à usage spécial dans le but de se soustraire au paiement des droits additionnels provisoires. Il nous a été impossible d'avoir l'avis de la direction générale, le premier responsable de cette institution étant à l'étranger. Le chargé de communication, lui, nous a fait savoir ne pas être au courant du rapport du directeur régional d'Alger-Port.