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Faut-il raser les bidonvilles et éradiquer le secteur informel ?
Publié dans El Watan le 29 - 05 - 2005

En très net contraste avec les quartiers populaires, les bidonvilles surgissent à la fois dans les terrains vacants intra-muros et surtout dans les zones péri-urbaines.
Ils naissent là où les bâtiments classiques ne sont pas implantables à cause de la pollution, des accidents de terrain ou des règles urbanistiques de zonage. L'organisme de l'ONU, chargé de la prévention et des secours en cas de catastrophe, a démontré que l'habitat marginal était le plus vulnérable en cas d'inondation, de tremblement de terrain, de cyclone, de glissement de terrain ou de désastre naturel tout simplement. Les habitations construites dans les bidonvilles sont une initiative des résidents sans aide technique ni financière. Si les taudis et bidonvilles représentent un taux important de la population et si leur extension se fait plus vite que celle du tissu urbain, il est plus difficile de préciser, cas par cas, le nombre de familles concernées par cet habitat précaire, d'autant plus que le phénomène est en partie clandestin et échappe à tout recensement.
Tandis que la langue française parle de taudis, bidonvilles et, par anglicisme, de squatters, c'est-à-dire d'occupants, l'anglais utilise les mots de slums (taudis), shanty towns (villes déchets), squatters settlements et substandard settlements (établissements d'occupants illégaux et établissements ne répondant pas aux normes). L'allemand est plus laconique : armenviertel (les quartiers pauvres), et l'espagnol plus imagé : calampas, colonias poletarias du Mexique, barriadas institutionnalisées en pueblos jovenes du Pérou, ranchitos du Venezuela, ciudales miserias d'Argentine, tugurios de Colombie, suburbios d'Equateur. La pauvreté absolue connaît beaucoup d'autres appellations : gecekondu de Turquie, bustee de l'Inde, jhuggi du Pakistan, favela du Brésil, gourbiville de Tunisie, campamento du Chili, kampong d'Indonésie, le sampanville de l'ancien Saïgon, que l'on trouve aussi à Hong Kong, désigne ces villages de jonques et d'embarcation qui servent d'habitation, de marché flottant (comme à Bangkok) grâce à un réseau complexe et ingénieux de passerelles.
Dans les années 1950 au Mexique, on était habitué au paracaidismo, c'est-à-dire l'action de «parachutage» par laquelle les migrants prennent possession du terrain la nuit. Au Moyen-Orient, le mot sharifa est parfois employé pour l'habitat précaire.Citons parmi les autres dénominations :
établissements irréguliers, spontanés, non planifiés, clandestins, pirates et de transition.
Cette richesse sémantique témoigne de l'universalité de l'habitat précaire.
Du taudis qui socialement est une voie d'impasse, au bidonville stable et améliorable, puis du bidonville en général périphérique, à la colonie de squatters située aux franges extrêmes du tissu urbain et non reconnue, les cas intermédiaires sont nombreux.
Mais cette typologie* suffit à montrer la responsabilité des pouvoirs publics qui doivent adapter une attitude plus active et offensive. Sans curetage des taudis, garantissant bien sûr un relogement décent, le pourrissement physique et social contaminera les quartiers environnants.
Sans assistance de l'autoconstruction et sans réhabilitation, le bidonville manquera son intégration au système urbain et se taudifiera. La privation, la vulnérabilité à tous les niveaux de la vie quotidienne ne manquent pas de susciter une organisation communautaire, d'autant plus riche qu'elle ranime les valeurs de sociabilité d'un passé rural proche.
Si les revendications ne dépassent guère le niveau d'un syndicalisme résidentiel borné à des exigences immédiates pour obtenir des autorités municipales l'eau, l'électricité, le tout à l'égout, ou tel ou tel service qui fait défaut, l'indifférence, l'apathie et la résignation créent une clientèle sur-mesure pour toutes les combinaisons et manipulations électoralistes.
L'Etat doit-il pour autant intervenir pour solutionner le problème à coups de bulldozer (et broyer ainsi tout un capital émotif en expulsant les bidonvillois), au moment où certains estiment que les habitants des bidonvilles sont des pionniers et qu'ils le démontrent par leur énergie et leur capacité d'organisation. Avec leurs familles, ne travaillent-ils pas durement pour améliorer une cellule-logement, en bonne partie ou même totalement autoconstruite ? Ces habitants, dotés d'une sécurité d'occupation, seraient peut-être motivés pour investir dans l'amélioration du logis, voire du quartier.
Bien que sous-intégré à la ville, le bidonville en fait partie et sa vie est liée à la dynamique urbaine d'ensemble.
Ce fait doit toujours être pris en compte pour éviter de répéter les erreurs du passé, telle la répression par la force des bidonvilles et des habitations spontanées. De plus, le bidonville qui représente un véritable sas de transition entre les modes de vie rural et urbain est en prise directe sur le secteur informel.
Pour le nouvel arrivant au bidonville, ne disposant que de maigres économies, la possibilité de trouver un travail dans le secteur non structuré est une planche de salut qui peut même, ultérieurement, lui donner l'espoir de quitter le bidonville et de s'intégrer pleinement au milieu urbain. Dans cette perspective, si taudis et colonies de squatters sont des problèmes causés par l'explosion urbaine, le bidonville apparaît, lui, comme un début de solution. En effet, les habitants de bidonvilles, tout en prenant l'initiative de l'établissement de leurs familles, font appel aux compétences pour être conseillés et guidés. Mais au lieu d'une relation expert-client, il s'agit en fait d'un besoin exprimé collectivement et recevant l'appui technique, d'ailleurs bénévole, de sympathisants et de membres de leurs familles ayant les compétences voulues et déjà installées in-situ.
Cela confirme d'ailleurs l'importance du secteur informel pour absorber la main-d'œuvre. Le secteur informel comprend des activité à la fois de types secondaire et tertiaire. Une partie du secteur informel est établie directement dans les quartiers pauvres et les bidonvilles, qui en tirent leur subsistance. Le secteur informel a été longtemps sous-estimé parce que nombre d'entreprises ne sont pas officiellement déclarées (les trois quarts n'ont qu'une existence de facto). Pourtant, c'est lui qui continue d'absorber le gros de la vague des demandeurs d'emploi. Il occupe une position charnière entre l'agriculture et le secteur moderne, comme les bidonvilles sont la charnière entre le village et les quartiers urbains aisés. L'OIT donne du secteur informel la définition suivante : «Facilité d'accès ; utilisation de ressources locales ; propriété familiale des entreprises ; opérations à petite échelle ; technologie appropriée à forte intensité en main-d'œuvre, qualifications acquises en dehors du système éducatif officiel ; marché fluide, concurrentiel et non régulé.»
Les paramètres inverses définissent le secteur moderne.
En conclusion, est-il permis d'affirmer que raser les bidonvilles est inefficace ?
On est tenté de répondre par l'affirmative puisque, faute de stratégie d'ensemble, les taudis réapparaissent ailleurs dans le tissu urbain ; et c'est l'éternel recommencement.
Mais ce sont peut-être des considérations économiques qui invitent à surseoir parfois aux décisions de destruction de l'habitat précaire.
En effet, dans les pays où les ressources sont particulièrement rares, il est irrationnel de supprimer l'énorme investissement-travail réalisé par les habitants. Ce capital fixe – accumulé au cours des années sous forme de baraques qui, peu à peu, s'agrandissent, s'améliorent, deviennent des maisons de parpaings – demande plutôt à être préservé quand cela est possible.
De plus, et au plan social, le bidonville est le lieu de l'entraide, le nid de chaleur humaine qui permet à des ruraux déracinés de survivre et comme il a été affirmé un supra-sas de transition pour le rural aspirant au mode de vie urbain.
Un économiste indien ne déclarait-il pas à la conférence mondiale de Vancouver que Calcutta était l'une des dernières villes où l'on trouvait encore trace d'humanité ?
De ce qui précède, il ressort que le bidonville n'est pas un simple abcès qu'il suffirait de percer, ni une excroissance aberrante du tissu urbain.
Ce développement de l'habitat insalubre correspond sûrement à des besoins sociaux vitaux (non pris en charge par les parties habilitées faute de crédits, de terrains disponibles, de…), mais également à une logique interne du système urbain. Il remplit des fonctions déterminées.
A ce propos, il est utile de souligner, selon le responsable de l'ordre des architectes cité par El Khabar, du 12 avril 2005, que l'Algérie n'a produit que 3,8 millions de logements depuis l'indépendance, alors que la demande est plus conséquente.
Alors, faut-il vraiment et systématiquement raser le bidonville ?
Quant au secteur informel qui absorbe la force de travail, qui «réduit officiellement la courbe statistique du chômage» et qui fournit biens et services à la portée des bourses de la population pauvre, il est régulateur et dynamique dans l'économie urbaine globale. Peut-on raisonnablement en faire l'économie ?
Bibliographie :
– La Planète des bidonvilles
Bernard Granotier éd. du Seuil
– L'Homme et la ville
Henri Laborit éd. Flammarion


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