En très net contraste avec les quartiers populaires, les bidonvilles surgissent à la fois dans les terrains vacants intra-muros et surtout dans les zones périurbaines. Ils naissent là où les bâtiments classiques ne sont pas implantables à cause de la pollution, des accidents de terrain ou des règles urbanistiques de zonage. Les habitations construites dans les bidonvilles sont une initiative des résidents sans aide technique ni financière. Si les taudis et bidonvilles représentent un taux important de la population et si leur extension se fait plus vite que celle du tissu urbain, il est plus difficile de préciser, cas par cas, le nombre de familles concernées par cet habitat précaire, d'autant plus que le phénomène est en partie clandestin et échappe à tout recensement. Tandis que la langue française parle de taudis, bidonvilles et par anglicisme, de squatters, c'est-à-dire d'occupants illégitimes , l'anglais utilise les mots de slums (taudis), shanty towns (villes déchets), squatters settlements et substandard settlements (établissements d'occupants illégaux et établissements ne répondant pas aux normes). L'allemand est plus laconique: armenviertel (les quartiers pauvres), et l'espagnol plus imagé: calampas, colonias poletarias du Mexique, barriadas institutionnalisées en pueblos jovenes du Pérou, ranchitos du Venezuela, ciudales miserias d'Argentine, tugurios de Colombie, suburbios d'Equateur. La pauvreté absolue connaît beaucoup d'autres appellations: gecekondu de Turquie, bustee de l'Inde, jhuggi du Pakistan, favela du Brésil, gourbiville de Tunisie, campamento du Chili, kampong d'Indonésie ; le sampanville de l'ancien Saïgon, que l'on trouve aussi à Hong Kong, désigne ces villages de jonques et d'embarcationsqui servent d'habitation, de marché flottant (comme à Bangkok) grâce à un réseau complexe et ingénieux de passerelles. Dans les années 1950 au Mexique, on était habitué au paracaidismo, c'est-à-dire l'action de «parachutage» par laquelle les migrants prennent possession du terrain la nuit. Au Moyen-Orient, le mot sharifa est parfois employé pour l'habitat précaire.Citons parmi les autres dénominations : établissements irréguliers, spontanés, non planifiés, clandestins, pirates et de transition. Cette typologie* suffit à montrer la responsabilité des pouvoirs publics qui doivent adapter une attitude plus active et offensive. Et à ce jour ,en quoi a consisté l'attitude des pouvoirs publics ? A recenser les occupants de cet habitat et selon les programmes disponibles, procéder à leur relogement. Faudrait-il continuer dans cette voie, empruntant au tonneau des danaïdes, et reloger systématiquement tout occupant de baraque ou d'habitat précaire au motif que cela participe de la politique sociale de notre pays ? En plus et c'est un fait avéré, donner systématiquement une habitation en contrepartie d'un taudis éradiqué , constitue «un appel d'air» très bien assimilé par de nombreux concitoyens débrouillards et sans scrupules qui se dépêchent de rétrocéder à la barbe des autorités ,le logement acquis sans coup férir (son coût, fait rire ! suis-je tenté de l'écrire, en demandant au lecteur de me pardonner cette digression). Après ce constat, l'Etat doit-il réviser sa politique de distribution de logement, n'existant nulle part ailleurs et par conséquent n'intervenir que dans les cas de catastrophes naturelles pour recaser éventuellement des sinistrés ? Doit-il mettre l'effort exclusivement sur les programmes d'habitat impliquant financièrement les bénéficiaires et les banques (programme AADL-CNEP-LSP-Logement promotionnel aidé ) ? Ou revenir à l'autre solution, qui a consisté à solutionner le problème à coups de buldozzer et à raccompagner les « bidonvillois » vers leurs wilayas d'origine ? Tout le monde connait d'ailleurs les conséquences des actions dites « coups de poing » que certains réprouvent, estimant que les « bidonvillois » ont travaillé durement pour améliorer une cellule-logement, en bonne partie ou même totalement auto-construite? Ces habitants (et c'est ma proposition à contre courant de ce qui est proposé pour solutionner ce type de problème) , dotés d'une sécurité d'occupation, seraient peut-être motivés pour investir dans l'amélioration du logis, voire du quartier. Bien que sous-intégré à la ville, le bidonville en fait partie et sa vie est liée à la dynamique urbaine d'ensemble. Il représente un véritable sas de transition entre les modes de vie rural et urbain. Dans cette perspective, si taudis et colonies de squatters sont des problèmes causés par l'explosion urbaine, le bidonville apparaît, lui, comme un début de solution. En effet, les habitants de bidonvilles , font appel aux compétences pour être conseillés et guidés. Mais au lieu d'une relation expert-client, il reçoivent l'appui technique et surtout bénévole de sympathisants et de membres de leurs familles ayant les compétences voulues et déjà installées in-situ, pour édifier leur cellule-logement. Cela confirme d'ailleurs l'importance du secteur informel pour absorber cette main-d'œuvre non déclarée bien sûr. Une partie du secteur informel est établie directement dans les quartiers pauvres et les bidonvilles, qui en tirent leur subsistance. Il a été longtemps sous-estimé parce que nombre d'entreprises ne sont pas officiellement déclarées (les trois quarts n'ont qu'une existence de facto). Pourtant, c'est lui qui continue d'absorber le gros de la vague des demandeurs d'emploi. Il occupe une position charnière entre l'agriculture et le secteur moderne, comme les bidonvilles sont la charnière entre le village et les quartiers urbains aisés. L'OIT donne du secteur informel la définition suivante : « Facilité d'accès ; utilisation de ressources locales ; propriété familiale des entreprises ; opérations à petite échelle ; technologie appropriée à forte intensité en main-d'œuvre, qualifications acquises en dehors du système éducatif officiel ; marché fluide, concurrentiel et non régulé. » Les paramètres inverses définissent le secteur moderne. Chez nous aujourd'hui, il me semble qu'un certain imbroglio a été introduit dans les esprits , dès lors que l'actualité nationale s'est cristallisée ,paradoxalement , sur les marchés informels qui ne sont en fait que la partie visible de l'iceberg. Notons néanmoins que la sémantique a évoluée depuis quelques jours puisqu'il n'est plus question « d'éradiquer » mais de « redéployer » les vendeurs de ces marchés informels tantôt estimés à 70613 selon le MICL,75000 selon le ministère du commerce ou même 300.000 selon l'union générale des commerçants algériens, dans des «espaces maîtrisables». Au-delà de ces estimations, il conviendrait à mon sens de garder à l'esprit que des milliers de jeunes algériens dépourvus de diplômes et de formations ne vont pas manquer de saisir cette aubaine pour gonfler les chiffres des effectifs donnés supra et investir lesdits espaces ajoutant ainsi à la confusion en l'absence de recensement fiable et définitif. De plus « l'appel d'air » qui serait ainsi créé ne manquera pas de débaucher dans les secteurs de l'agriculture et du bâtiment dont les déficits sont chroniques en matière de main-d'œuvre. L'idée de mettre en place des « espaces maitrisables » est noble au demeurant mais si l'on n'en balise pas les contours , ceux-ci risquent de se transformer en « espaces méprisables » loin donc de l'objectif visant la réhabilitation des vendeurs et la promotion de leurs activités commerciales. Qu'il me soit permis à cet effet d'avancer quelques solutions comme suit : 1- Redéployer les vendeurs après une rigoureuse sélection des hommes et une mise aux normes de leurs marchandises. 2- Ne pas sédentariser ces vendeurs de façon à restituer (ponctuellement ou en cas de besoin) l'espace attribué à sa vocation originelle. L'exemple qui illustre cette idée se trouve dans le fonctionnement du «marché parisien» qui est démantelé quotidiennement, selon une programmation, un horaire et un cahier des charges pré-établis. Toutes les commodités sont fournies par la mairie qui reste le gestionnaire principal et le garant du règlement intérieur (cette proposition si elle venait à être retenue dispenserait les collectivités locales de tout investissement dès lors où les équipements sont à la charge des vendeurs). 3-Les grandes villes étant en général des marchés d'intérêt national (M.I.N) peuvent constituer des centres de commerce importants et favoriser périodiquement des échanges spécialisés à travers des foires et des braderies où seront échangés des spécificités et des produits régionaux, ce qui aura pour impact d'encourager le « tourisme domestique» et partant créer de l'emploi y compris dans la restauration et l'hôtellerie. 4- Les villes à faible potentiel industriel doivent s'investir dans ces espaces intermédiaires en veillant à promouvoir leur production locale. 5- Réserver des emplacements aux bouquinistes, aux brocanteurs, en un mot à tout ce qui emprunte aux échanges humains dans le domaine culturel notamment. 6-Les 100 locaux par commune doivent impérativement garder l'objectif noble qui leur à été assigné par le Président de la République tant en termes de bénéficiaires que des activités fixées d'ailleurs par voie réglementaire. Pour conclure sur ce sujet que j'ai déjà abordé de manière prémonitoire dès 2005 et qui a été publié dans une version réduite avant que l'actualité nationale ne le rattrape et m'interpelle pour l'enrichir , je propose au débat ces problématiques : Doit-on continuer à reloger indéfiniment les habitants de ce type de constructions précaires, quelques fois au prix d'émeutes, sachant que cela se fait au détriment d'une large couche de population vivant dans les centres urbains voire même ruraux, dans des habitations en dur certes, mais dans des conditions d'hygiène, d'exigüité et de promiscuité déplorables (cohabitation de plusieurs générations recensées comme prioritaires mais dont « le tour passe » à cause du « forcing payant » de familles implantées, somme toute, en toute illégalité ? Est-il permis d' affirmer que raser les bidonvilles est inefficace ? On est tenté de répondre par l'affirmative puisque, faute de stratégie d'ensemble, les taudis réapparaissent ailleurs dans le tissu urbain et c'est l'éternel recommencement. Mais ce sont peut-être des considérations économiques et humanistes qui invitent à surseoir parfois aux décisions de destruction de l'habitat précaire : un économiste indien ne déclarait-il pas à la conférence mondiale de Vancouver que Calcutta était l'une des dernières villes où l'on trouvait encore trace d'humanité ? Quant au secteur informel ( pourvoyeur du marché informel) qui absorbe la force de travail, « réduit officiellement la courbe statistique du chômage » et qui fournit biens et services à la portée des bourses de la population pauvre, peut-on raisonnablement en faire l'économie ? Bibliographie La Planète des bidonvilles Bernard Granotier éd. du Seuil L'Homme et la ville Henri Laborit éd. Flammarion