« Pour devenir Algérois, disait le poète Himoud Brahimi en présence de son ami d'enfance le comédien Allel El Mouhib, il faut pas moins de quatre générations. Pour avoir La Casbah dans ses veines, alors là, il faudrait toute une éternité ». Cette remarque, qui pouvait alors paraître désobligeante aux yeux de certains, avait été lancée par le poète lors d'un match de foot disputé, quelque part à Alger, à la fin des années quarante du siècle dernier. Dans le fameux film, Pépé le Moko, de Julien Duvivier, réalisé en 1936, on a droit à une tout autre définition de cette vieille et chaude matrice qui a donné naissance à la capitale, telle que nous la connaissons aujourd'hui. Bien que poétique et d'une teneur plutôt exotique, cette définition pouvait, en même temps, coller assez bien à n'importe quelle autre ville de la France d'outre-mer des années trente. Il y a, également, dans ce film une espèce de prémonition quant à l'avenir de La Casbah, puisque moins de vingt années après, cette matrice est devenue une véritable poudrière lors de la grande bataille d'Alger. Des gens du milieu, poursuivis par la police, fuient Paris pour élire domicile dans cette Casbah des années trente, avec pour chef de file, Pépé le Moko, rôle joué par Jean Gabin. Tel le Passe-muraille de Marcel Aymé, ce bandit se faufile à travers les étroites ruelles, saute d'un toit à l'autre, règle ses comptes à des traîtres et tombe amoureux d'une égérie française à la recherche d'aventure. Tout compte fait, Pépé le Moko n'est pas tellement loin des personnages campés par le romancier britannique, Somerset Maugham, qui se plaisait à broder des histoires rocambolesques dans l'océan Indien et les îles du Pacifique à la même période. Or, le cinéma reste le cinéma, évoluant dans les limbes de ce qui est réel, c'est-à-dire un monde parallèle la plupart du temps, où tout est possible, quitte à voir un être humain marcher sur sa tête ou sauter du septième étage et retomber sur ses pieds sans aucune égratignure. La prodigieuse production filmique durant le siècle dernier le prouve. Ne dit-on pas encore, avec une touche de moquerie, dans le jargon algérois : « C'est du cinéma ? » Une parabole on ne peut plus juste aux yeux de celui qui a subi l'image mouvante et parlante, durant des décennies, sans pouvoir en changer grand-chose. Même conquise, la tonitruante Casbah entretenait un petit feu, bien à elle, en attendant patiemment des jours meilleurs comme elle l'a toujours fait. Pour exemple, en 1529, elle a repoussé les conquérants espagnols qui s'étaient réfugiés dans l'île du Penon, en 1541, elle a envoyé par le fond toute la flotte de Charles Quint et, surtout, en 1956-1957, elle a permis à sa belle jeunesse de tenir la dragée haute à des Saint-Cyriens, plutôt spécialisés dans les actes de torture. Par delà l'histoire, Pépé le Moko s'était trompé d'adresse et, à travers lui, toute l'imagerie de l'ère coloniale. Il était venu tel un soldat romain saluant César : celui qui va mourir te salue bien ! La Casbah de Himoud Brahimi l'a bien vaincu.