L'association artistique du cinéma, Lumières, a fêté, le 19 mars passé, son douzième anniversaire. Pour célébrer comme il se doit cet évènement, l'association a choisi de rendre hommage à Keltoum, l'une des figures les plus emblématiques du cinéma, de la télévision et du théâtre algériens, aujourd'hui âgée de 94 ans et très malade. C'était, avant-hier, à la salle Sierra Maestra, que toute la famille du cinéma s'est donné rendez-vous pour rendre hommage à la doyenne des comédiennes algériennes, Keltoum. Elle subit, aujourd'hui, dans une grande solitude, les frasques de l'indifférence et de l'oubli et qui, face à la maladie, est contrainte à rester alitée. Après une ouverture avec zernadjiya, le président de l'association Lumières, Amar Laskri, a déclaré : “À travers l'hommage que nous rendons à cette grande dame, c'est un geste que nous formulons à tous les artistes.” Il n'a pas omis de rappeler la situation précaire de l'artiste, aujourd'hui, sans statut, sans moyens de création, et dans un pays qui compte une douzaine de salles de cinéma. Amar Laskri a lancé un véritable SOS, estimant que l'on frôle la catastrophe. Il a cédé la place ensuite au comédien Mohamed Adjaïmi, qui a présenté la comédienne Keltoum, en déclamant un poème composé expressément pour l'occasion. L'hommage s'est articulé également autour d'un one man show dispensé par le comédien et chanteur Ahmed Hamdane, et la projection d'un documentaire de 52 minutes, conçu et réalisé par Omar Rabia, le vice-président de l'association Lumières. Cette projection a été sans conteste le meilleur moment de cet anniversaire-hommage. De la naissance à Blida en 1916, aux premiers pas de danse à l'âge de 13 ans, jusqu'à la rencontre avec Mahieddine Bachtarzi, Keltoum (Aïcha Ajouri de son vrai nom) a ouvert la voie à toutes les comédiennes de sa génération. Ses amis et autres comédiens ayant partagé la scène avec elle le reconnaissent. Nouria Kezderli, Benyoucef Hattab, Farida Saboundji, Abou Djamel, Fatiha Berber, Mohamed Lakhdar Hamina ont rappelé l'impact qu'a eu cette femme sur le cinéma et le théâtre en Algérie, tout en évoquant ses qualités humaines et son talent incontestable. Mais le témoignage le plus troublant et le plus émouvant est celui de Saïd Hilmi. Tenant entre ses mains les Mémoires de Mahieddine Bachtarzi, Saïd Hilmi a affirmé : “J'étais en train de relire les Mémoires de Bachtarzi et je me suis aperçu qu'il n'y avait que Keltoum dans cet ouvrage.” Et d'ajouter : “J'ai commencé le métier de comédien à l'âge de douze ans. Et étant orphelin, je n'arrivais pas à ressentir et à dire le mot "yemma" ou "ayyi". Il y a eu un rôle où j'ai joué son fils. Dans une scène, elle m'a prise dans ses bras et serrée dans ses bras avec toute la chaleur d'une mère, en disant "wlidi". Alors le mot "ayyi" est sorti tout seul.” Ceci n'est en fait qu'un aperçu des qualités humaines et de l'extraordinaire talent de celle qui a campé le rôle de mère, dans le cinéma et au théâtre, mieux que quiconque. N'a-t-elle pas été la mère courage dans le chef-d'œuvre le Vent des Aurès de Mohamed Lakhdar Hamina ? N'a-t-elle pas représentée la bravoure de la femme dans la Révolution dans Hassan Terro ? Elle a incarné la femme algérienne dans toute sa diversité et ses combats, notamment dans Chronique des années de braise, Hassan Niya, Béni Hindel, les Déracinés, Hassan Taxi et l'inoubliable El Baouaboune avec Rouiched. Sur les planches, Keltoum a brillé dans des comédies entre autres avec Rachid Ksentini. Elle s'est également illustrée dans la tragédie, notamment avec son rôle de Desdémone dans Othello et celui de Poncia, dans l'adaptation par Allel El Mouhib de la Maison de Bernarda Alba, de Garcia Lorca.Légendaire, mythique, inoubliable et incontournable, Keltoum, recluse et malade aujourd'hui, est un patrimoine dont il faut raviver le souvenir.