Berriane est en état de siège depuis les derniers affrontements. « Levez le dispositif de sécurité mis en place et la violence reprendra », nous dira sur un ton dépité un notable de la ville. La police surveille la RN1et la gendarmerie a pris position dans les quartiers mozabites. Et chaque vendredi, les renforts arrivent de partout pour éviter que les hostilités ne reprennent entre les deux parties. Dans la ville de Berriane, la tension est perceptible. La haine a érigé un mur d'incompréhension entre les deux communautés, mozabite et arabe. Malgré les efforts fournis de part et d'autre pour ramener la paix dans la région, des étincelles éclatent ça et là pour replonger la population dans la violence. Deux fâcheux événements ont failli provoquer l'irréparable la semaine dernière, lorsqu'un enseignant mozabite a été frappé, selon des témoins, par ses élèves ou encore lorsqu'un jeune Mozabite de Guerrara s'est fait agressé dans le marché, pas loin de la place du quartier arabe. Ce sont les notables de la ville qui ont évité le pire en appelant au calme. Plus que ces agressions qui ont déjà allumé le feu à Berriane, des rumeurs folles courent de part et d'autre de la route nationale. Tantôt on annonce que « les arabes » ont été retenus à l'intérieur de la mosquée El Aâtiq, tantôt on fait circuler la rumeur que cette dernière a été incendiée. El Aâtiq, située dans le quartier mozabite, n'a pas été touchée et aucune prise d'otage n'a eu lieu en son sein. Les mozabites, que nous avons rencontrés sur les lieux du vieux ksar, disent tous qu'ils ne comprennent absolument rien à cette situation. Ils affirment tous que leurs voisins peuvent venir accomplir leurs prières sans aucune inquiétude, personne ne les agressera. Qui a intérêt alors à distiller ces informations aussi fausses que dangereuses ? Y a-t-il une partie qui tire profit du cycle de violence qui ébranle la région ? La question revient sur toutes les lèvres. Mais bien qu'ils disent unanimement qu'il y a une main étrangère dans ce qui se passe à Berriane, ni les mozabites ni leurs voisins d'en face n'arrivent à l'identifier. Une atmosphère lourde plane en effet sur cette ville de la wilaya de Ghardaïa qui tente, mais avec beaucoup de peine, de sortir d'un engrenage de haine et de violence, né des derniers affrontements qui avaient fait deux morts, un jeune de 17 ans, tué puis jeté de la terrasse de sa maison, et un enseignant, assassiné devant son domicile. Les deux sont mozabites. Ceux qui ont connu le défunt Kerrouche ne parlent que du bien de lui. Chaque soir, il rassemblait en son domicile ses enfants et ceux de ses voisins arabes qu'il mettait côte à côte pour dispenser gratuitement des cours de soutien. En fait, le fossé creusé entre les deux communautés semble devenu aussi large que l'est l'étendue des terres de ces contrées. « C'est une grande fitna », lance un citoyen très inquiet de la tournure prise par les événements. Pour lui, ce ne pourrait être un pétard qui aurait provoqué cette tragédie. « Soyons raisonnable !, dit-il, il y a certainement quelque chose derrière ce chaos, mais nul ne sait de quoi il s'agit ». Ce qui est sûr après tout ce qui s'est passé, c'est qu'il ne sera pas simple de recoller les morceaux. Selon des informations recueillis auprès d'El Djamaâ, une instance de huit membres créée pour conforter les chances du retour à la paix dans la région, 430 familles mozabites ont été obligées d'abandonner leurs maisons et leurs biens, situés dans les quartiers à l'ouest de la RN1. Le conseil malikite, mis en place pour fédérer les tribus « arabes » et mobiliser les jeunes contre la violence, soutient également que ses familles ont, elles aussi, quitté leurs maisons. Elles sont, selon la même source, plus de 200 à avoir quitté leurs domiciles. Dans les écoles, c'est le même climat. Depuis les derniers affrontements, les enfants mozabites et ceux de leurs voisins ne fréquentent plus les mêmes écoles. C'est la solution trouvée pour ne pas rompre la scolarité des élèves, surtout les classes d'examen qui ont été très perturbées par les dernières violences. Il y des mois et des mois que les regards des uns ne croisent plus ceux des autres. Quelle chance pour la paix ? Les citoyens de Berriane nourrissent un espoir fou de revoir la paix s'installer dans la ville et de revivre la cohabitation d'antan. Ils misent surtout sur les nouveaux représentants des deux communautés. D'ailleurs, depuis leur installation, les deux conseils sont en train d'accomplir un véritable travail de fourmis. Plusieurs fois dans la semaine, ils sillonnent les artères de Berriane pour sensibiliser les jeunes contre la violence. Dans les quartiers mozabites, le vieux ksar et sa périphérie, c'est el Djamaâ qui organise des rencontres de proximité dans les mosquées et fait des tournées dans les écoles pour apaiser les jeunes. Dans les quartiers arabes, la tâche de la mobilisation de la jeunesse incombe au conseil malikite. Chacun le fait à sa façon, en l'absence des autorités, dont le rôle se limite, bizarrement, à dépêcher et à maintenir sur les lieux un important dispositif de sécurité. Toute la ville est quadrillée. Berriane est divisée en deux. A l'est de la RN1, c'est la communauté mozabite, à l'ouest c'est la communauté arabe. Deux mondes difficilement conciliables après les affrontements de janvier et ceux de l'année dernière. Nul ne peut s'aventurer chez l'autre. El Djamaâ essaie de mobiliser les jeunes en leur disant que les problèmes posés sont pris en charge en haut lieu, allusion faite à leur rencontre avec le ministre délégué aux Collectivités locales, Daho Ould Kablia, qui s'est déplacé à Ghardaïa. Il leur a promis, disent ses membres, de prendre lui-même la situation en main « quitte à ce qu'il fasse le voyage de Berriane deux fois par semaine, jusqu'à ce que le problème se règle ». Les sages mozabites rassurent les jeunes en leur disant que ceux qui ont commis les deux crimes, l'assassinat de l'enseignant et du jeune, mozabites ont été arrêtés 48 h après leur forfait. Il a été également procédé au déplacement des lycées. Une enquête, rassurent-ils par ailleurs, a été ouverte sur les policiers impliqués dans les événements de Berriane, en prenant partie avec de jeunes agresseurs chauffés à blanc. Des films ont été enregistrés. Ils montrent les faits indéniables de cette implication. Le ministre leur a aussi promis la prise en charge des familles et des victimes des affrontements. De l'autre côté, pour les malikites, dont le conseil porte le nom du rite religieux le plus dominant en Algérie, apparemment leur objectif est de trouver un dénominateur commun qui rassemblerait les différentes tribus arabes, les meherzia, les Dbadba les Ouled Naïel entre autres. Mercredi, les membres du comité ont rassemblé les jeunes à la place du village pour les appeler au calme. La manifestation a duré presque trois heures. Les membres du comité se sont succédé à la tribune devant une assistance nombreuse. Mettant l'accent sur leur appartenance au malikisme, le premier intervenant soulignera que « les El Malikias n'ont jamais été aussi unis et cela fait, selon lui, des jaloux ». « La route nationale nous sépare des autres (les mozabites), et faites en sorte que personne n'y soit agressé qu'il soit Juif, Mozabite ou Kabyle ». Un autre membre lui succède pour demander aux parents « de laisser leurs enfants sortir la nuit pour assurer la sécurité. « Sait-on jamais ! Ils vont venir nous agresser pendant que nous dormions », lancera l'orateur aux pères de familles très inquiets. Mais qui viendrait les attaquer la nuit ? Les Mozabites ? « Nous n'avons jamais pensé à ça », assurent les membres d'El Djamaâ. « On ne sait même pas qui invente ces histoires qui n'ont aucun sens », s'indignent-ils. « La preuve chaque vendredi, ils viennent accomplir la prière dans la mosquée du quartier sans que personne ne soit agressé ». La méfiance est de rigueur à Berriane.