La journée d'hier a été celle des palabres tous azimuts. La brigade de la gendarmerie de Berriane a abrité une rencontre entre les responsables locaux et les notables de la région, en vue de coordonner les efforts pour consolider ce fragile retour au calme. La ville de Berriane a repris un semblant de calme en ce lundi matin, après trois journées d'affrontements qui ont fait deux morts, une cinquantaine de blessés et de nombreux dégâts matériels. Un impressionnant dispositif sécuritaire a été déployé sur les axes principaux de la ville, notamment sur la route nationale numéro un, mais aussi autour des quartiers sensibles qui ont connu des affrontements sanglants. Le couvre-feu imposé par le wali de Ghardaïa a permis de circonscrire la violence. Mais jusqu'à quand ? En attendant l'enterrement des deux victimes des événements de ces trois derniers jours, la tension reste vive entre les deux communautés. Même si quelques magasins sur la route nationale avaient rouvert, la tension était perceptible et les jeunes des deux communautés continuaient à se regarder en chiens de faïence. La majorité des commerces, surtout côté mozabite, sont restés fermés. Les écoliers n'ont toujours pas rejoint leurs écoles. L'impressionnant dispositif sécuritaire déployé dans la ville est, certes, dissuasif, mais le sentiment prédominant était qu'il suffisait d'un rien pour que les émeutes reprennent. La ville offrait un spectacle désolant : des magasins saccagés, des maisons brûlées, des douilles de gaz lacrymogène éparpillées sur le théâtre des affrontements. Et puis des jeunes, par dizaines, qui guettent le moindre étranger qui entre en ville et qui interpellent tout ce qui ressemble à un journaliste pour faire part de leur version des faits et mettre tout sur le dos de l'autre. Le ministre délégué aux Collectivités locales, Dahou Ould Kablia, arrivé la veille, ne s'est pas rendu à Berriane, mais a quand même rencontré séparément les représentants des deux communautés au siège de la wilaya. Ces représentants campent sur leurs positions et réitèrent leurs appels au calme et au dialogue, mais le fond du conflit reste entièrement posé : une ville où 30 000 âmes ont du mal à cohabiter et où les tensions ethniques sont utilisées à chaque fois qu'un problème terre à terre se pose. Des jeunes des deux communautés nous ont abordés dans la rue et chaque partie jure que l'autre est responsable du déclenchement des affrontements. Les malékites affirment que deux notables, qui étaient sur le chemin de la mosquée vendredi dernier, auraient été ligotés et violemment tabassés, pour expliquer le déclenchement des affrontements. Les ibadites disent que la veille, jeudi, une femme ibadite aurait été attaquée. Les deux se gardent de préciser que ces affrontements à répétition durent, en fait, depuis onze mois déjà. Plus exactement depuis le 19 mars 2008, à raison de deux ou trois agressions par semaine. Les deux communautés ne mentionnent pas le fait que la ville connaît des affrontements récurrents depuis longtemps. Les plus sanglants furent ceux de 1990, lors de la gestion de l'ex-FIS de l'APC. L'actuel président d'APC, Hadjadj Bahmed, du FLN, ne partage pas l'analyse du wali de Ghardaïa selon laquelle “des mains étrangères” seraient derrière ces événements. Pour lui, “le problème est purement local”. Ibadite, il réitère les positions des notables de Berriane, notamment celles relatives à la nécessité de diligenter une commission d'enquête présidentielle, le désarmement des malékites, mais surtout le départ de l'actuel chef de daïra. Le P/APC estime que ce dernier est “partial dans la gestion des affaires de la commune”. Et là, il donne la véritable cause de la reprise des affrontements : “Il a distribué les chalets en mettant sur un pied d'égalité les deux communautés, alors que tout le monde sait que les sinistrés les plus touchés par les inondations se trouvent du côté ibadite.” Estimant cette distribution “disproportionnée”, le maire de Berriane dira que “c'est la goutte d'eau qui a fait déborder le vase”. Le chef de daïra est “indésirable pour la communauté ibadite”, lâchera-t-il. Mais ce n'est pas tout, les ibadites reprochent également aux policiers leur passivité devant les actes de sabotage subis, alors qu'ils ne tarissent pas d'éloges sur le travail accompli par les gendarmes. Simple constat ou volonté de solder des comptes avec les responsables locaux de la police ? Difficile d'y répondre tant la propagande, de part et d'autre, fait un tabac dans les cafés, sur les téléphones portables et via Internet où les deux communautés se livrent une bataille de l'intox sans merci. Le maire reconnaît que les affrontements récurrents se déclenchent dès qu'il s'agit de distribution de logements. Il estime que “les deux communautés sont condamnées à s'asseoir à la même table pour dialoguer et trouver un terrain d'entente”. Pour lui, il est plus qu'urgent de trouver de nouveaux lotissements à bâtir en dehors de la ville. Mais la plupart des lotissements urbanisables se trouvent du côté malékite. Le maire avoue qu'il est impossible de construire une structure (hôpital ou maison de la culture par exemple) sans provoquer l'ire de l'une des deux communautés. Même s'il reste persuadé que le conflit ne pourra jamais être réglé à 100%, Hadjadj Bahmed pense que la situation a atteint “un point de non-retour. Les cœurs ne sont pas nets. C'est au niveau des jeunes que cela se passe maintenant”. Avouant que même avec deux territoires distincts ethniquement, le problème ne sera pas résolu. “Je ne peux pas édifier un mur de Berlin. Ce n'est pas possible. C'est inadmissible”, lancera-t-il en guise de conclusion. La journée de lundi a été celle des palabres tous azimuts. La brigade de la gendarmerie de Berriane a abrité une rencontre entre les responsables locaux et les notables de la région en vue de coordonner les efforts pour consolider ce fragile retour au calme. Au siège de la wilaya, les associations et les personnes de Berriane continuaient d'affluer durant toute la journée pour exprimer leur volonté de contribuer au retour au calme. Les forces de sécurité restent stationnées dans les endroits sensibles de la ville, pour parer à toute reprise des affrontements et dissuader les chantres de la vengeance d'aller jusqu'au bout de leur logique. À 40 kilomètres seulement du chef-lieu de wilaya, le conflit qui secoue Berriane ne semble pas inquiéter les Ghardaouis, qui continuent à vaquer à leurs occupations, comme si de rien n'était. “Ghardaïa, c'est la ville des affaires. Personne n'a intérêt à ce que les affaires cessent de tourner”, commente un chauffeur de taxi bien au fait des méandres de la vallée du M'zab. A. B.