Ces derniers ont, semble-t-il, montré des réticences avant de se plier à l'inéluctable. Aboud Kheir Allah Aboud, membre de l'UEA, a exprimé son mécontentement. «Les organisateurs devraient respecter leurs engagements tels qu'énoncés», se plaint-il. Mais l'affaire semble avoir été oubliée après le déjeuner amical. Sur les 670 exposants au 10e Sila, une grande majorité des éditeurs et maisons d'édition apparentées viennent du monde arabe. La palette des textes couvre toutes les disciplines et touche à la littérature universelle. Mais c'est une catégorie bien spécifique d'écrits qui focalise la demande. Les noms d'Ibn Taymia, son élève Ibn Qaïm et Abdallah Ibn Kathir Ibn Amr Al Makki exercent une influence et une fascination remarquables. Ces jurisconsultes distingués qui ont marqué la pensée islamique concentrent toutes les tensions. Entre une demande débridée et une censure non déclarée, le libre marché s'organise. Belmehdi Youcef, directeur de l'orientation religieuse au ministère des Affaires religieuses et membre du comité de surveillance au Sila, n'ose pas citer de noms. «A la base, il y a des ouvrages corrects dans le contenu, mais dont le lecteur en tire une compréhension erronée», explique-t-il prudemment. Dans son bureau sont alignées des copies du Coran, mais le fonctionnaire retourne rapidement un livre en vue de cacher son intitulé. A la maison égyptienne Ibn Elhaïthem, le stand est transformé en dépôt de livres. L'éditeur égyptien estime qu'«il y a beaucoup de tassayoub (débauche) en Algérie». Premier cité dans le hit parade des indicateurs de cette déliquescence à ses yeux, le taux des femmes non voilées. L'éditeur exprime, en contrepartie, son admiration respectueuse pour les personnes pieuses (multazimat) qui fréquentent son stand. Arpenteur assidu des marchés internationaux de l'édition dans le monde arabe, foires et expositions, il estime que l'Algérie se place en bonne position dans la vente du livre religieux. «Moins que l'Egypte, le Yémen et l'Arabie Saoudite, mais c'est toujours mieux que le Soudan», classe-t-il. «Si on continue d'acheter autant que je l'observe en Algérie, je pense que le pays a un bon avenir et que le fassad (dépravation) diminuera avec la bénédiction de Dieu», conclut-il. A la maison du livre et de la cassette El I'tidal, sise à Kouba, Alger, le gérant, en compagnie de son frère, résume la ligne éditoriale de son commerce. «Nous commercialisons les livres qui répondent à nos principes (mabadi')». Pas de littérature ? Des manuels de grammaire, à la rigueur… Entre les rayons et dans les rapports, un jargon propre a cours. «Ma chaâ Allah !» remplace la fonctionnalité du délinquant «Intik !», vocable algérois, tout en retenue, exprimant une satisfaction convaincante. L'usage intempestif des cartons dans les stands de ces maisons amène les organisateurs à faire pression sur les exposants pour ôter le spectacle. Des dispositions qui ne passent pas sans fracas. Un exposant émirati, excédé, joue sur le registre de l'intimidation pour repousser les agents. «Est-il raisonnable que vous mettiez le nom d'Allah à terre», tonne-t-il à l'adresse d'un auditoire fait de badauds et de policiers en civil. La prise de pouvoir est instaurée dans la confrontation. On joue l'apaisement. Les agents de l'ordre négocient leur retraite sans perdre le contrôle… L'ambiguïté du livre, à la fois produit culturel et commercial, se pose dans toute sa nudité lors de ce 10e Sila. La pression exercée par ce que les organisateurs qualifient de «mouvement mondial» se montre importante lors de ce salon. En aménageant enfin l'espace de conférences dans le pavillon C, où se concentre la participation occidentale, les organisateurs du salon semblent avoir soigneusement évité l'option du «choc des civilisations».