Le passage des délégués exécutifs communaux (DEC) à la tête des communes est à ce titre des plus remarquables. Désignés par les pouvoirs publics pour prendre les destinées des communes après la dissolution des APC de l'ex-FIS vers la fin de 1991, les DEC se sont distingués, tout au long de leur règne, par une gestion catastrophique du domaine public. La spéculation foncière a atteint son apogée durant leur mandat. Plusieurs scandales et affaires de gros sous liés directement au foncier éclateront au grand jour et ne cessent de défrayer la chronique. Aidés par un climat d'insécurité et l'absence de l'Etat, occupé par la lutte antiterroriste, les DEC ont transformé les communes en de véritables agences immobilières faisant profiter parents, proches et connaissances. Lots de terrains, locaux commerciaux, logements sociaux, etc., tout était à vendre, même les terres agricoles et les réserves foncières des communes n'ont pas été épargnées. La loi 90-25 portant orientation foncière promulguée du temps de Mouloud Hamrouche, retirant la gestion, la vente et la cession du foncier aux communes avait été transgressée ostentatoirement par les DEC. L'antidaté était l'un des procédés le plus utilisé par ces commis de l'Etat pour établir leurs décisions et contourner la loi. Les instruments d'urbanisme, à l'instar du plan d'occupation du sol (POS), étaient par ailleurs modifiés de façon à détourner des assiettes de terrains de leur vocation initiale et les proposer par la suite à la vente. C'est ainsi que les ceintures agricoles entourant les grands centres urbains, à l'image de la Mitidja, ont été dilapidées et détournées pour alimenter le circuit du trafic foncier qui a fait la fortune de nombre de DEC liés à ce que beaucoup appelaient la «mafia» du foncier. De par son statut de capitale, Alger a été la wilaya où la spéculation foncière était la plus intense du temps des DEC. Parmi les communes dont la simple évocation suffit à nous replonger dans les plus sombres dossiers liés au trafic du foncier et autres affaires de prédation, on peut citer Bab Ezzouar, Dar El Beïda, les Eucalyptus, Dély Ibrahim, Birkhadem, Baba Hassen, Chéraga, Bouzaréah, Rouiba, Gué de Constantine… pour ne parler que des communes connues pour avoir d'importantes réserves foncières en terrains et terres agricoles. l'arnaque Des rapports ont été faits par des différentes institutions de l'Etat à l'époque pour tirer la sonnette d'alarme à propos de la dilapidation du foncier industriel et agricole, mais qui sont restés lettre morte. C'est le cas notamment du rapport du ministère de l'Agriculture qui avait dénoncé la dilapidation de plusieurs hectares de terres agricoles dans des communes comme Bordj El Kiffan et Bab Ezzouar. C'est le cas également de la commission gouvernementale qui a été installée en 1997 par Ahmed Ouyahia chargée de mener des investigations sur le trafic du foncier, faire traduire les responsables devant la justice et stopper l'avancement du béton. Revenant sur la gestion de sa commune, un ancien élu de l'APC de Bab Ezzouar avait déclaré dans les colonnes d'un de nos confrères que «cette mairie a été et continue d'être le cœur du trafic du foncier». Parmi l'une des scabreuses affaires, il évoque le détournement de terres agricoles durant les années 1990 au profit des élus et de leurs proches. «L'ancien DEC de Bab Ezzouar s'est emparé, en 1995, de plusieurs assiettes foncières», dont celle du site dénommé «Douzi», qui figure parmi les terres agricoles détournées sans le désistement des fellahs, «et avec l'accord du chef de daïra et de l'ancien wali d'Alger». «Des doubles, triples, voire quadruples décisions ont été attribuées», ajoute-t-il. «Plusieurs années après, il aura fallu une décision de justice pour geler les constructions sur ce site et éviter un véritable massacre.» Aujourd'hui encore, cette situation risque de dégénérer. Les bénéficiaires se sont tout simplement fait «arnaquer», bien qu'en possession de décisions en bonne et due forme. En effet, il s'est trouvé que plusieurs personnes se sont vu attribuer le même lot de terrain. L'on pourrait citer de nombreux cas de DEC incarcérés, relevés de leurs fonctions ou mis sous contrôle judiciaire pour avoir été au centre de grandes affaires de détournement de deniers publics, d'abus de pouvoir et de malversations. Interpellé à l'époque par les membres du Conseil national de transition (CNT), M. Benmansour, qui était ministre de l'Intérieur dans le gouvernement d'Ouyahia en 1997, faisait état de 152 DEC démis de leur fonction pour une «erreur de gestion».