L'accord pour la mise en œuvre de la plateforme d'El Kseur passé samedi entre les représentants du mouvement citoyen des archs et le chef du gouvernement laisse entrevoir la perspective d'un règlement définitif de la crise de Kabylie. Le document de deux pages signé par les deux parties au terme de deux jours de discussions consigne la décision du chef du gouvernement et des représentants du mouvement citoyen des archs de « mettre en place un mécanisme conjoint qui sera chargé du suivi et de la mise en œuvre de la plateforme d'El Kseur par l'Etat (...) ». Ainsi formulé, ledit accord permet de supposer que l'Exécutif ne trouve plus d'objection à satisfaire l'ensemble des revendications des archs, y compris celle concernant l'officialisation de la langue amazighe sans le passage par la voie référendaire. Une telle hypothèse, même basse, pourrait expliquer, tout au moins, la décision des 25 membres - dont les « parents des martyrs » - composant la délégation du mouvement citoyen des archs de cautionner la démarche de sortie de crise inscrite dans l'accord conclu avec le gouvernement. En acceptant, en 2004, le principe de discuter avec le gouvernement des modalités de mise en œuvre de la plateforme d'El Kseur, les archs avaient, rappelle-t-on, signifié leur refus de signer un quelconque arrangement qui ne prendrait pas en compte l'intégralité des points inscrits dans la plateforme d'El Kseur. La position du mouvement s'est d'ailleurs vérifiée lors du dialogue gouvernement-archs, initié en 2004. Les compagnons de Belaïd Abrika avaient quitté la table des discussions et décidé de geler le dialogue avec l'Exécutif pour signifier leur « rejet catégorique » de la condition du référendum posée par le chef du gouvernement pour reconnaître à tamazight le caractère de langue officielle. Ainsi, l'éventualité que l'accord conclu samedi entre le gouvernement et les archs ne soit pas porteur de « nouvelles solutions » conduirait presque automatiquement à la réédition de l'échec sur lequel ont débouché les précédents rounds de discussions. Tamazight langue officielle ? Figurant parmi les 15 points de la plateforme d'El Kseur, adoptée en juin 2001, la question de la reconnaissance de tamazight comme langue nationale et officielle constitue, pour souvenir, un des principaux dossiers sur lesquels les archs ont exclu l'idée de faire des concessions. Lors d'une conférence de presse animée hier au siège du palais du gouvernement, le chef de la délégation du mouvement des archs, Belaïd Abrika, a d'ailleurs réitéré son opposition à avaliser l'option référendaire pour le règlement de la question linguistique, soulevée par la plateforme d'El Kseur. Ahmed Ouyahia s'est-il engagé, auprès des archs, à obtenir à tamazight le statut de langue officielle sans le passage par le référendum ? Non, a reconnu Belaïd Abrika. Il a toutefois fait remarquer que la délégation s'est contentée de l'engagement réitéré du chef du gouvernement, contenu dans l'accord, de mettre en œuvre la plateforme d'El Kseur. Ce détail sous-entend, pour Belaïd Abrika et ses camarades, qu'Ahmed Ouyahia a accepté implicitement l'ensemble des revendications contenues dans la plateforme d'El Kseur et qu'il est prêt à les mettre en œuvre dans la forme avec laquelle elles y sont transcrites. En outre, le chef de la délégation du mouvement citoyen des archs estime qu'il n'y a pas de raison, pour l'heure, de douter de la crédibilité de l'engagement du chef du gouvernement dans la mesure où l'Etat a déjà clairement reconnu sa « responsabilité unilatérale » dans la crise, « la légitimité des revendications du mouvement citoyen des archs » et a déjà entrepris de concrétiser le protocole d'accord « réactualisé », signé en janvier 2004, se rapportant aux incidences générées par la crise du Printemps noir. Une reconnaissance qui laisse, pour Belaïd Abrika, la porte grande ouverte à la mise en œuvre de la plateforme d'El Kseur. Il avertira, toutefois, que les archs « qui fondent de grands espoirs quant au succès de l'accord global conclu » sauront prendre leurs responsabilités dans le cas où leurs revendications ne seraient pas prises en charge. Truffé de subtilités, l'accord gouvernement-archs qui insiste sur la mise en œuvre de la plateforme d'El Kseur « dans le cadre de la Constitution et des lois de la République algérienne démocratique et populaire » ne donne aucune indication supplémentaire sur la manière dont les revendications des archs seront prises en charge. A part l'idée que les problèmes des wilayas touchées par la crise seront pris en charge par un « mécanisme conjoint qui sera chargé du suivi de la mise en œuvre de la plateforme d'El Kseur », le document ne précise pas, également, ce qui a pu décider le gouvernement, notamment, de changer d'approche concernant la problématique posée par les archs. Cela sachant qu'il s'est montré inflexible, lui aussi, sur la question du référendum. Si certains observateurs pensent qu'il convient d'attendre la reprise des discussions entre les deux parties pour mieux saisir les nuances et la qualité de l'accord conclu samedi, il y en a beaucoup qui se hasardent aussi à dire que l'avenir de la politique de réconciliation nationale est suspendu, en partie, aux résultats définitifs du dialogue relancé par Ahmed Ouyahia.