Petite de taille, cheveux ébouriffés, dont la couleur rappelle celle des châtaignes mûres, B. Mebarka, 36 ans, est le genre de femme sans forme, épuisée par les maternités et les travaux manuels. Grasse, drapée dans une vieille djellaba, elle glapit à la barre d'une voix qui grince comme une craie sur une ardoise « Où est Kadda ? Je veux voir Kadda ! » « Vous l'avez tué Madame », fait remarquer le président. Ses traits deviennent sinistrement durs et elle pousse un hurlement qui fait sursauter le plus imperturbable des présents à l'audience du tribunal criminel. « Je demande pourquoi Kadda n'est pas venu ! », martèle-t-elle. De la bave dégouline sur son menton et ses petits yeux mobiles de furet lancent des éclairs. Elle semble très agitée. Le président du tribunal perd de sa contenance et invite les policiers à l'aider à regagner sa place dans le box des accusés. B. Mebarka, mère de trois enfants, comparaissait en janvier dernier pour meurtre au premier degré. Selon l'acte d'accusation, dans l'après-midi du 4 décembre 2008, elle a poignardé à trois reprises son époux avec un couteau de cuisine dans le domicile conjugal sis dans la bourgade de Aïn El Beïda, dans la banlieue ouest de la ville. Elle l'aurait surpris dans son sommeil. A son retour de travail, il lui aurait annoncé son intention de la quitter pour se remarier. Cadette d'une famille nombreuse, de mère aliénée et de père alcoolique, l'accusée souffre de troubles psychiques (les résultats de l'expertise médicale confirment cet état de fait). Constatant sa mort, elle a couru jusqu'à la brigade de gendarmerie pour avouer son forfait. Elle était sous l'emprise d'une crise d'hystérie et une hospitalisation au CHU d'Oran lui a été plus que nécessaire pour qu'elle puisse retrouver sa lucidité chancelante. Elle ne sera auditionnée par le magistrat instructeur chargé de cette affaire que plusieurs jours plus tard. Le plus averti ne pourrait avancer la thèse d'un crime perpétré avec préméditation. Appelé à la barre pour donner sa version des faits, le beau-frère de l'accusée, un escogriffe enturbanné et vêtu d'un kamis, affirme sans ambages : « C'est une sorcière. Elle a tenté de jeter un mauvais sort sur mon frère en usant de magie noire. Cela s'est retourné contre elle et maintenant elle est possédée par Satan. » Son regard inquisiteur heurte celui de sa belle-sœur et il tressaille légèrement. Après un bref réquisitoire, le représentant du ministère public a requis la peine capitale. L'avocat de la défense a mis en évidence le fait que sa mandante ne jouit pas de toutes ses capacités mentales, avant de plaider le bénéfice de larges circonstances atténuantes. Invitée à donner son dernier mot, B. Mebarka balaye d'un regard inexpressif la salle d'audience. Un sourire cynique vacille sur ses lèvres, pareil à une lumière électrique quand le contact est mauvais. « Kadda va venir », chuchote-t-elle d'un ton sinistre. A l'issue des délibérations, le tribunal criminel a condamné l'accusée à une peine de 5 années de réclusion.