Dans Journalistes algériens, 1988-1998. Chronique des années d'espoir et de terreur, paru dans Chihab Editions, Lazhari Labter, auteur, poète, journaliste et éditeur, va au-delà du recensement. Il ravive la mémoire en revenant sur cette période et en faisant parler les témoins. Lors d'une rencontre débat autour de cet ouvrage, mardi dernier dans l'après-midi, à la librairie Chihab Internationale (Bab El Oued), l'auteur débutera par une déclaration. D'abord pour dédier son livre à l'ensemble des journalistes et des travailleurs des médias assassinés, sans distinction de sexe, de race, de langue ou de support, comme il l'écrit dans l'avant-propos de l'ouvrage : «Parmi les journalistes et travailleurs des médias assassinés, il y a à peu près autant d'arabophones (46) que de francophones (42), un peu plus de journalistes de la presse publique (68) que de la presse privée (29). Si leur nombre est beaucoup plus important dans la presse audiovisuelle (39 dont 29 de la télévision et 10 de la radio), cela s'explique par le simple fait que les journalistes du premier secteur sont plus nombreux que ceux du second. La même raison peut être évoquée à propos du nombre de femmes (12) par rapport à celui des hommes (88).» Lazhari Labter explique aussi, qu'il a effectué ce travail pour «perpétuer dans notre mémoire et notre histoire si sélective» les noms de ces travailleurs assassinés entre 1993 et 1998, pour leur rendre hommage. Parce qu'ils se sont battus «pour le triomphe de toutes les libertés» et qu'ils ont «donné au monde la plus belle leçon de dignité, de courage». Dans sa déclaration, il déplore, cependant, l'autocensure qui a gagné la plupart des rédactions depuis l'emprisonnement de Mohamed Benchicou (directeur du quotidien Le Matin, interdit de parution depuis plus de deux ans). En rendant hommage à Benchicou, il précise qu'il se joint aux voix qui réclament sa libération et la levée d'interdit de son journal. C'est certainement pour mieux expliquer les espoirs de la presse algérienne et «l'aventure intellectuelle» que l'auteur est remonté jusqu'au «chahut de gamins» d'octobre 1988, avant d'en arriver au «Temps des assassins». Au début de cette partie, Lazhari Labter reprend deux phrases particulièrement parlantes. «Dans un domaine, les assassins n'eurent aucun précédent : celui de l'utilisation planifiée, systématique et à long terme de la terreur comme arme politique», de Bernard Lewis. Et «Comment reconnaître un journaliste algérien ? C'est le seul type qui a un stylo dans la main…deux dinars dans la poche…et trois balles dans la tête», de Dilem. C'est à ce niveau que commence le sinistre recensement, en «l'an mil neuf cent quatre-vingt-treize» avec l'assassinat de Tahar Djaout. Dans cet ouvrage, le lecteur trouvera des détails, des déclarations, des témoignages, des articles de presse, et retrouvera la mémoire… Parce qu'au-delà de tout, l'objectif de cet écrit, qu'on voudrait être le début d'une longue série, est de ne jamais oublier. Comme le dit si bien l'éditeur, «c'est une balise contre l'oubli à l'heure où l'amnésie se fait générale».