Les journalistes de la presse écrite et des médias algériens ont vécu l'enfer durant la décennie noire. Assassinats, intimidations et menaces étaient le lot des intégristes islamistes pour faire taire des voix qui s'élevaient contre ceux qui voulaient imposer leur diktat pour instaurer un système d'un archaïsme révolu. Alors, pour tenter de faire cesser l'encre de couler, ils ont fait saigner du sang. Cent journalistes ont été assassinés entre 1993 et 1997. Malgré leurs conditions de vie désastreuses, ils ont été de véritables résistants. Comme disait mon ami et confrère Lazhari Labter : «Comment reconnaître un journaliste algérien ? C'est le seul type qui a un stylo dans la main... deux dinars dans la poche... et trois balles dans la tête.» «Dis et meurs», a dit Djaout Cette phrase illustre bien le caractère et l'esprit de ce noble métier que beaucoup de nos confrères ont choisi par amour. Tahar Djaout, écrivain et journaliste de talent, avait dit : «Si tu parles, tu meurs. Si tu te tais, tu meurs. Alors, dis et meurs.» Il a été le premier journaliste à être assassiné, puis la liste s'allongeait chaque jour pour atteindre la centaine. La liberté d'expression est payée très cher en Algérie, contrairement à ce que pensent à tort ceux qui sous-estiment l'intégrité, l'engagement et le courage de la presse algérienne. Dans son ouvrage Journalistes algériens, 1988-1998. Chronique des années d'espoir et de terreur, paru chez Chihab Editions, Lazhari Labter, auteur, poète, journaliste et éditeur, est allé au-delà du recensement. Il ravive la mémoire en revenant sur cette période et en faisant parler les témoins. Il dédie ce livre à l'ensemble des journalistes et des travailleurs des médias assassinés, sans distinction de sexe, de race, de langue ou de support, comme il l'écrit dans l'avant-propos de l'ouvrage : «Parmi les journalistes et travailleurs des médias assassinés, il y a à peu près autant d'arabophones (46) que de francophones (42), un peu plus de journalistes de la presse publique (68) que de la presse privée (29). Si leur nombre est beaucoup plus important dans la presse audiovisuelle (39 dont 29 de la télévision et 10 de la radio), cela s'explique par le simple fait que les journalistes du premier secteur sont plus nombreux que ceux du second. La même raison peut être évoquée à propos du nombre de femmes (12) par rapport à celui des hommes (88).» Lazhari Labter explique aussi qu'il a effectué ce travail pour «perpétuer dans notre mémoire et notre histoire si sélective» les noms de ces travailleurs assassinés entre 1993 et 1998, pour leur rendre hommage. Parce qu'ils se sont battus «pour le triomphe de toutes les libertés» et qu'ils ont «donné au monde la plus belle leçon de dignité, de courage». Les maux dont soufrent les journalistes Une partie de journalistes ont quitté le pays, certains ont changé de profession, mais un grand nombre est resté dans la résistance «contre vents et marées». Si aujourd'hui un calme s'est instauré, la profession est encore sans protection, ni droits, le journaliste algérien est souvent la proie de ses employeurs, ainsi que des aléas de la vie sans cadre juridique lui permettant de faire face aux différents cas d'abus et d'atteinte. Parfois sans déclaration à la sécurité sociale, victime de licenciement abusif, absence de plan de carrière, ce sont là quelques maux dont souffre le journaliste algérien.