L'Algérien entretient un rapport affectif avec la télévision, presque intime. L'absence de loisirs additionnée à dix années de terrorisme ont fait qu'il ne peut rester insensible au flux d'images présentant une « way of life » occidentale. Quinze ans après l'apparition de la parabole en Algérie, les liens sont apparemment plus intenses. Face à une Algérie où le chômage est encore bien présent et où l'érosion du pouvoir d'achat n'incite pas à l'espoir, les chaînes satellitaires font office de catharsis. Les téléspectateurs oublient, pendant quelques heures, leurs soucis quotidiens pour plonger dans l'imaginaire et rêver d'un meilleur sort. Dans la mesure où la société algérienne semble préférer la voie orale à la littérature, la télévision est l'unique source de distraction. Et la médiocrité des programmes proposés par la chaîne nationale ne fait qu'ajouter à la popularité des canaux satellitaires. Une étude réalisée par Anissa Mekhaldi pour l'université de Grenoble met en évidence la frustration causée par les chaînes étrangères. « Les images qu'ils reçoivent des chaînes satellitaires ne cessent de creuser le fossé entre leur espoir d'un avenir radieux et la dure réalité du pays ; elles les renvoient à leur détresse morale et culturelle », peut-on lire dans l'étude en question. La multiplication, ces dernières années, des chaînes arabes a été suivie avec engouement par une partie de la population conservatrice, dubitative face aux chaînes « paradiaboliques ». Les plus réticents à l'entrée de la parabole dans les foyers ont finalement cédé aux chaînes arabes diffusant les prêches de nouveaux imams cathodiques. Selon l'étude de l'université grenobloise, les hommes sont plus attirés par la composition des programmes dont les thèmes sont axés sur l'action et l'émotion et l'origine occidentale des productions (73%) ; les femmes plébiscitent les programmes arabophones. Les deux types de chaînes (arabe/français) tendent à façonner deux modèles différents, alimentant ainsi une schizophrénie de la société algérienne. « Les choix des programmes télévisuels des jeunes générations font notamment preuve de l'ampleur de l'enjeu culturel. La prédominance de l'arabe oriental et du français véhiculés par ces outils conforte l'influence étrangère aux dépens du patrimoine national », souligne Anissa Mekhaldi. « Génération parabole » La génération qui a assisté à la naissance des chaînes paraboliques est celle-là même qui a vécu l'émergence du terrorisme. La télévision était le seul moyen d'échapper à la morosité ambiante. Aujourd'hui, les 20-30 ans ne peuvent plus s'en passer. « Dans les générations parabole se trouvent ceux qui imitent leurs idoles du monde occidental (…). Cependant, de pareilles attitudes suggérées par l'audience des télévisions étrangères ne peuvent faire oublier la dure réalité de tous ces jeunes chômeurs marqués par le désespoir. Ils sont condamnés à tenter le chemin de l'exil ou à vivre par procuration ce qu'ils voient quotidiennement à travers leurs télévisions », analyse Mme Mekhaldi. Les chaînes satellitaires semblent être devenues comme une drogue dont il est difficile de décrocher. Les Algériens ont cherché, par tous les moyens, à trouver le précieux sésame qui permettrait de déverrouiller les chaînes satellitaires. Les cartes pirates qui provenaient d'Espagne (via le Maroc) ou d'Italie ont connu un grand succès. Les démodulateurs fabriqués par une firme non conventionnée, avec les bouquets français, ont connu un véritable boom jusqu'au jour où le bouquet Canal+ a décidé de mettre fin à « l'anarchie ». Désormais, pour avoir leur dose quotidienne d'oxygène, les Algériens doivent mettre la main à la poche.