Après Khemis El Khechna, à 30 km à l'est d'Alger, il y a Chebacheb. Et après Chebacheb, il y a Ouled Larbi. Ses vaches mangent dans les poubelles, ses routes sont défoncées, ses maisons isolées. C'est dans ce douar que survit Saïd Azzoug, 50 ans, dans son fauteuil roulant. Dès 9h – heure à laquelle il se réveille de ses nuits agitées – commence pour lui une interminable journée. Comme il en passe tant depuis ce 22 décembre 2003. « Je m'apprêtai à prendre la route de Bordj El Bahri dans ma Fiat Tipo quand une 307 qui roulait à grande vitesse m'a percuté, me faisant reculer de vingt mètres. J'ai eu le bassin et deux côtes fracturés, les os des pieds et de la main gauche brisés, les épaules déplacées, une luxation du fémur et des blessures à la tête. » « Le véritable cauchemar a commencé à l'hôpital. Ils m'ont coupé le nerf sciatique par erreur, ont placé des broches avec des vis n'importe comment et m'ont plâtré de la cuisse jusqu'au pied. A peine sorti, d'intenses douleurs m'ont empêché de bouger et mes jambes se sont progressivement paralysées », raconte-t-il, en nous montrant sa jambe droite décharnée. « Quand je retournais à l'hôpital, le chirurgien qui m'avait opéré disait que tout était bien fait et me prescrivait du paracétamol... » Pendant près de deux ans, Saïd est resté couché. En plus de son handicap, il se retrouve seul, sa femme étant partie avec leur plus jeune fils, Hamza (aujourd'hui âgé de 7 ans). Ses parents, qui vivaient avec le couple, se sont alors occupés de leur fils et de leur petit-fils Khaled, avant de tomber malades et de décéder. Comble de malchance, « les assurances ne m'ont jamais remboursé car celui qui a causé l'accident était un fils de colonel, témoigne-t-il. Et mon dossier n'a jamais abouti, même en justice. » Dans le salon où Saïd nous reçoit, il n'y a presque rien. Une télé qu'il regarde surtout le soir, une table basse en bois, deux chaises, un réfrigérateur et une petite résistance pour enlever l'humidité de la maison. « J'ai vendu tout ce que j'avais, poursuit l'ancien grossiste. J'étais très riche, aujourd'hui je n'ai plus rien. » Khaled, 14 ans, rentre de l'école, le CEM de Ouled Laarbi. C'est lui qui fait les courses, à Chebacheb ou à Khemis El Khechna, parcourant jusqu'à 9 kilomètres à pied. « Je sors très rarement, avoue Saïd. Juste pour aller chez le coiffeur ou pour emmener les enfants chez le docteur. Je ne peux pas prendre le bus car ma jambe ne se plie plus. Oui, il y a bien le taxi, encore faut-il qu'il accepte de venir jusqu'ici malgré la route pleine de nids-de-poule. Et ça me coûte 500 DA l'aller vers Rouiba. Je n'ai touché ma pension que trois ans et demi après mon accident. Qu'est-ce que je peux bien faire avec 4000 DA ? Cela suffit à peine à faire vivre un enfant. Heureusement que mes amis m'aident. » Quand il fait beau, Saïd écrit des histoires ou sort discuter avec les voisins en attendant que la nuit tombe. « A la fin de la journée, mes pieds enflent et me font mal au point où je ne peux rester assis. Je prends des médicaments pour la circulation du sang, en plus des comprimés contre la douleur. Je suis obligé de me coucher sur le dos sinon les vis me font tellement mal que je ne peux pas dormir. » Le suicide, Saïd y a souvent songé. « C'est vrai, j'aurais préféré mourir. Une vie de handicapé, ce n'est pas une vie. Mais je pense aux enfants. Et puis, j'ai envie de me remettre debout. Si je réussissais à trouver l'argent pour financer une opération à l'étranger et de nouvelles prothèses, je pourrai y arriver, dit-il d'une voix sereine. Sinon, je resterai comme ça… » Adlène Meddi, Mélanie Matarese