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Latifa Al Souwayel (Artiste plasticienne) : « L'art est un vecteur de dialogue »
Publié dans El Watan le 16 - 03 - 2009

Latifa Al Souwayel, jeune Saoudienne atypique, avec LLLs, ou « les femmes saoudiennes pour la paix et le dialogue à travers l'art », une association qu'elle vient de créer, veut contribuer à une meilleure connaissance de la société saoudienne et donner une visibilité aux femmes de son pays.
Votre apparence et votre look ne reflètent pas l'image courante de la femme saoudienne telle qu'on se la représente et telle qu'elle nous est donnée à voir. Comment êtes-vous perçue en Arabie Saoudite ?
Mon physique (elle est blonde, avec des yeux verts, ndlr) vient d'un mélange. Ma mère est cubano-vénézuelienne avec du sang allemand et gitan. Pour ce qui est de mon style, les Saoudiennes de mon âge sont très à la mode, très branchées, mais dans notre pays, on porte la abaya et le tarh (le voile). Le voile est un vêtement traditionnel, il ne nous dérange pas, il peut être très élégant et très chic.
Comment expliquez-vous que l'image de la femme saoudienne soit celle d'une femme soumise, effacée, confinée à un statut social de mineure ?
Depuis que je vis à Paris, je vois des images à la télévision qui ne me transmettent pas la réalité que j'ai vécue. Tous les Saoudiens ne sont pas richissimes comme on le croit, ce n'est pas non plus une société complètement fermée. Et contribuer à une meilleure connaissance de la société saoudiennec'est est l'une des raisons qui m'ont amenée à créer l'association LLLs.
Qu'est-ce que cette association ?
L'association LLLs a pour intitulé « Les femmes saoudiennes pour la paix et le dialogue à travers l'art ». Ce sont les trois L de la paix (symbolisée par la colombe), de la tolérance et du dialogue. Et le s, c'est pour dire que c'est une jeune Saoudienne de 24 ans qui en a eu l'idée. L'association est née il y a trois semaines à Paris, où je vis actuellement une partie de l'année. Elle compte aussi des adhérents de confessions juive et chrétienne. Je veux montrer qu'une Saoudienne peut être soutenue par des personnes de toutes les religions et les mettre ensemble pour se comprendre, dialoguer pour la paix. Ce n'est pas une association à vocation politique. Le dialogue des cultures et des religions m'intéresse, parce que je suis Saoudienne, mais aussi Cubaine et Vénézuelienne, née aux Etats-Unis et je viens d'une famille de diplomates et de combattants (son grand-père paternel a été ministre des Affaires étrangères du Royaume saoudien et ambassadeur aux Etats-Unis pendant quatorze ans, et du côté maternel la famille se revendique d'une proximité directe avec Simon Bolivar. Son arrière-grand-père maternel était le général Ibarra, qui a combattu aux côtés de Simon Bolivar pour l'indépendance de l'Amérique latine. Un de ses aïeux maternels a rédigé la constitution du Vénézuela. Son grand-père a connu Lénine en Suisse, ndlr). Je crois sincèrement que chaque personne représente l'image de son pays et en est l'ambassadeur. Si je me sentais enfermée en Arabie Saoudite, je l'aurais quittée depuis longtemps puisque je ne suis qu'à moitié Saoudienne. Il y a des femmes qui travaillent en Arabie Saoudite, qui sont artistes, qui gèrent leurs entreprises, qui gèrent des banques et il y a des hommes qui travaillent pour des femmes. Ce sont ces femmes que je veux rendre visibles.
Pour ne citer que cet interdit, les femmes ne conduisent toujours pas en Arabie Saoudite. Cela vous semble normal ?
Je me suis peut-être habituée à cela, mais je pense que l'interdiction pour les femmes de conduire est à considérer plus comme une mesure de protection, parce que dans notre culture, il y a un profond respect et une grande considération pour les femmes. Les femmes sont comme un bijou précieux, une perle, que les hommes veulent protéger. L'excès n'est pas bon non plus. La société saoudienne est en train de s'ouvrir, les femmes pourront bientôt conduire leur propre voiture.
Et participer à la vie politique ?
Nous venons d'accomplir un grand pas avec la nomination d'une femme dans le gouvernement. Les choses doivent avancer doucement et progressivement. S'il y a beaucoup de gens qui veulent le changement, nombreux sont aussi ceux qui s'y opposent.
Que vous apporte votre métissage dans votre vie personnelle et d'artiste, dans votre perception des autres cultures ?
Cela m'a amenée où je suis. J'ai compris que mes mélanges sont une richesse. Parler cinq langues, c'est aussi une façon de pénétrer les cultures qui les accompagnent. C'est aussi un moyen de nouer un dialogue avec des gens de différentes origines. Cela me donne une vision plus ouverte du monde. Je suis héritière de deux univers, de deux cultures. Je suis musulmane, fille d'une chrétienne devenue musulmane pratiquante depuis son mariage avec mon père. Le véritable Islam, c'est le respect, l'amour et le pardon. Beaucoup de gens se trompent sur l'Islam. Respecter les autres religions pour qu'elles-mêmes nous respectent. C'est important parce que l'Arabie Saoudite, avec La Mecque et les autres lieux saints, représente le Vatican des musulmans. C'est une grande responsabilité, et c'est pourquoi l'Arabie Saoudite ne peut pas se permettre de s'ouvrir aussi vite que les autres pays arabes. Le monde entier nous surveille, nous devons faire attention à ce que nous faisons et bien évaluer les choses.
Quels rapports entretenez-vous avec votre père ?
Mon père est un homme merveilleux, encore plus ouvert que ma mère. Il a longtemps vécu à l'étranger, il est né en Egypte où il a fait une partie de ses études ainsi qu'au Liban et aux Etats-Unis. Il est rentré en Arabie Saoudite à ma naissance. C'est ma mère qui me demandait de me couvrir, parce que je devais respecter les traditions de la société dans laquelle je vis.
Comment êtes-vous devenue artiste plasticienne et designer ?
Je le dois beaucoup à mère, qui est elle-même poète et décoratrice d'intérieur. Nous recevions à la maison des artistes. On voyageait beaucoup, on visitait les musées, des peintres nous recevaient dans leurs ateliers.
Quel est votre style de peinture ?
Je peins de l'abstrait. J'aime beaucoup la mode, m'habiller, mélanger les accessoires. C'est ce que je mets dans ma peinture. J'essaie aussi de faire ressortir mon côté arabe et mon côté cubain. Mes tableaux reflètent ce que j'aime : le strass, le bling, le style. Je suis aussi designer. Je transforme des armes de guerre en bijoux, pour leur enlever leur côté terrifiant. Des meubles aussi. Je viens aussi de créer une ligne de vêtements et de parfums.
Depuis quand peignez-vous ?
Je peins depuis que je suis toute petite, mais je ne croyais pas que j'allais un jour exposer mes œuvres. Elles ont été exposées dans des palais privés en Arabie Saoudite. J'ai aussi exposé à Cannes, à Venise et à Paris. J'ai un projet d'expositions publiques en Arabie Saoudite. En Algérie aussi. J'ai beaucoup été aidée et encouragée par des Algériens. Je suis assistée par une Algérienne, Karima (sa directrice de communication), que j'ai connue à Cannes, il y a cinq ans. Ce que j'aime chez les Algériens, c'est qu'ils sont toujours prêts à offrir leur aide sans rien demander en contrepartie. J'ai constaté avec Karima, que je considère comme ma seconde mère, chaque fois qu'on va quelque part où il y a des Algériens, on est accueillies par des « bent bladi » et ça me plaît beaucoup.


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