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L'administration est-elle au service du citoyen ?
Publié dans El Watan le 12 - 02 - 2006


Introduction
Le terme «administration» désigne dans le langage populaire un ensemble d'institutions relativement larges, aux contours mal définis. Il s'agit a priori d'un monde indistinct. L'unité du champ désigné se fait à partir et autour des supports les plus banals et stéréotypés : guichets, bureaux, couloirs, paperasse, petits fonctionnaires. Il aurait été employé pour la première fois selon Littré, en 1745, par Vincent de Gournay (1712). Mirabeau en fait usage un peu plus tard : «Nous connaissons, écrit-il, la tactique de ce département (des finances), toute réduite en bureaucratie.»
L'administration comme machine
Avant tout, on parle de l'administration comme d'une machine, qui a priori domine l'administré, qui déborde les personnalités individuelles des fonctionnaires dont la mission est d'appliquer des règlements qui ignorent les particularités des cas. Généralement, lorsqu'on raconte ses démêlés avec l'administration (attentes, retards, recherche de services compétents), on accusera la machine elle-même, qui commet inévitablement des erreurs, qui fonctionne à l'aveuglette. Cette machine est opaque, son langage mystérieux, ses règlements inconnus, ses modes de fonctionnement imprévisibles. Ainsi globalement, on met beaucoup moins en cause les fonctionnaires ou les règlements que l'administration en tant que machine d'application aveugle, automatique, plus préoccupée de son fonctionnement interne, de sa conformité avec elle-même, que du problème personnel de l'administré.
Comment dialoguer avec la machine ?
L'inégalité de traitement des affaires personnelles n'est pas attribuée à un manque d'équité de l'Etat, du gouvernement, des lois, des règlements ou des fonctionnaires. Elle est liée à la capacité de chacun de se faire entendre, de faire prendre en considération son cas personnel, bref, d'obliger la machine à n'être plus une machine. Les moyens de se faire entendre sont bien sûr, en premier lieu, les connaissances personnelles des gens influents, le passe-droit, le piston qui est perçu comme un moyen «normal» partie intégrante du système bureaucratique. Il n'est plus entaché de nuances d'illégalité, ne suscite plus de mauvaise conscience particulière chez les gens qui en disposent. A l'inverse, pour ceux qui en sont démunis, il entraîne plus de regret que d'acrimonie. En second lieu, la capacité purement personnelle de se faire entendre, on sait plus ou moins «hurler», frapper aux portes, avoir le courage d'affronter le bureaucrate inflexible. Enfin, certains s'en remettent de manière fataliste au hasard, placent leurs espoirs dans la rencontre d'un fonctionnaire «compréhensif». Tout se passe comme si, en caricaturant les choses, le citoyen en contact avec l'administration se sent réduit ou se réduit lui-même à la seule dimension d'administré. Très souvent, l'administré ne connaît pas ses droits, l'issue de sa demande lui est imprévisible. A la limite, il se voit comme demandant une «faveur» plutôt que comme citoyen exerçant ses droits. Les règlements qui lui sont obscurs sont autant de conditions auxquelles il doit satisfaire. L'issue de son cas dépend de ces conditions. Il ne sait pas s'il les remplit, il n'est jamais sûr d'être en règle. En définitive, il se voit avant tout comme demandeur. Il se désignera comme n'étant qu'un simple particulier devant le fonctionnaire représentant l'Etat et l'intérêt général. Face à cette situation commune à tous, quatre groupes d'attitude apparaissent plus ou moins confusément.
1) Les distants : ce groupe ne dramatise pas la situation. Les distants attendent que les nuages qui précèdent l'orage passent, que la machine bureaucratique impitoyable accomplisse son œuvre. L'attitude du groupe consiste à s'économiser, à ne pas s'énerver, à dépenser le moins d'énergie psychologique possible. Ce groupe de «philosophes» attentistes est probablement le plus nombreux parmi la population.
2) Les agressifs : ce groupe constitue la deuxième cohorte. Pour ce groupe, a priori, les choses se passent mal lorsqu'on a affaire à l'administration. Celle-ci est perçue comme lourde et de mauvaise volonté. A la différence des distants, le groupe des agressifs vit très mal et dramatise la situation, la juge intolérable et extériorise du moins en paroles son agressivité.
3) Les confiants : le groupe des confiants ne manifeste ni énervement ni agressivité. Dans son discours, il prend ses distances à l'égard des critiques généralement proférées contre l'administration. Il juge que dans l'ensemble, les choses ne se passent pas si mal. Pour ce groupe, la machine bureaucratique disparaît souvent derrière l'image du bon fonctionnaire compréhensif qui incarne l'image un tant soit peu paternelle de l'Etat.
4) Les défaitistes : pour ce groupe, la machine bureaucratique est si lourde, si peu compréhensive et eux-mêmes si faibles et démunis que le découragement supprime toute velléité de se faire entendre. Ils baissent les bras et se réfugient dans la résignation.
Ce que nous avons essayé de faire, c'était une sorte de point – fruste – sur la qualité de la relation administration/administré. Ce point n'a aucune valeur «scientifique», faut-il ajouter. Les concepts que nous avons utilisés sont pris au sens le plus naïf.
Nous avons jusqu'à présent parlé de l'administration au sens courant et banal du terme. Les types d'attitudes que nous avons repérés, relèvent du simple constat empirique.
A la lumière de ce constat, l'évolution de la situation tend progressivement vers une dégradation de la relation administration/administré par le développement de l'attitude de distance et d'attentisme, d'une part, et par le développement probablement plus rapide et intense de l'attitude agressive, caractéristique du rejet mutuel administration/administré, d'autre part.
Remarquons tout de même qu'au-dessus des zones mauvaises et visibles de l'administration subsistent heureusement des zones bonnes et invisibles qui plaident en faveur de la distinction entre la «philosophie» et son application, l'intention originelle et sa mise en œuvre, l'amont de la source et son aval. «Le fleuve ne se pollue pas à la source», dit-on. L'image de l'administration comme machine permet de concentrer le mal sur celle-ci et dégrade son principe originellement sain.
(A suivre)


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