En fait, les héros décrits par Saïd Boutadjine courent d'aventure en aventure, sans presque se poser, comme des papillons au printemps, traversent les événements sans vouloir les connaître, se frottent les uns aux autres en prenant garde de ne pas froisser leurs fragiles ailes. L'auteur de Ce qui s'est passé demain(2) et Que la damnation soit sur vous(3) a entrepris non seulement de plaire mais de charmer. Il y parvient sans peine dans ses nouvelles dont les personnages se reprocheraient comme une faute de tact d'afficher le moindre sérieux. Parfois, l'auteur laisse voir un peu de son «drame» personnel dans cette Algérie tourmentée du début de XXIe siècle. On s'aperçoit alors que le charme et l'humour ne sont peut-être qu'un déguisement du «mal de vivre». Dans son recueil Que la damnation soit sur vous par exemple, l'auteur est plus intelligent que sensible, plus critique que livré aux démons de la création. Derrière les héros de ses nouvelles, on le sent tout entier : fragile, blessé, inquiet et cherchant à se défendre contre cette inquiétude par les jeux d'une dialectique qui repose sur le «peu d'être». Le souci littéraire, artistique, qu'on voit dans Que la damnation soit sur vous habitait déjà l'auteur de Ce qui s'est passé demain. Il serait singulier de reprocher à un écrivain de s'être voulu un artiste. La plupart des nouvelles de Saïd Boutadjine accentuent le parti pris d'art et de style qui font de chacune d'elles une œuvre accomplie. L'auteur de Ce qui s'est passé demain est aussi critique et essayiste. Dans ses essais, il tente souvent de démontrer que la littérature expérimente de nouveaux types de relations affectives, morales, mercantiles, etc. expression narrative d'une société à la recherche de sa réalité. En effet, le miracle perpétuel de la narration est de varier les divertissements de l'esprit qui doivent servir de calmant et d'antidote contre les duretés de l'existence. Entre tous les romans ou nouvelles que les hommes ont pu inventer, circule un récitatif de leur histoire publique ou privée, une prosodie temporelle de leur expérience et de leur imagination, une litanie de leur tendresse et des férocités de leurs passions, jusqu'aux petites vérités de l'intimité de chacun. Sur le plan esthétique, Saïd Boutadjine pense qu'une critique d'inspiration scientifique permet d'aller plus loin. En dégageant les rapports étroits qui relient la richesse concrète à la structure dramatique du texte narratif, elle peut nous expliquer sa réussite esthétique. – (1) Professeur de lettes arabes à l'université de Tizi Ouzou – (2) Publié à compte d'auteur (Alger 1999) – (3) Editions El Ikhtilef (Alger 2002)