Ecrivain sérieux, il s'imposait par son style et l'originalité de ses écrits à toute la génération des écrivains français de l'époque et rivalisait talentueusement avec les plus grands de la première moitié du XXe siècle à l'instar de Romain Rolland, Marcel Proust, Roger Martin du Gard, André Gide, Maurice Genevois et Paul Claudel. S'il eut des influences certaines sur nombre d'écrivains métropolitains et même sur des Méditerranéens, peu se seront réclamés de lui ni même n'auront fait la moindre référence à ses écrits, si ce n'est un certain Albert Camus qui, aux dernières nouvelles paraît-il, aurait été très tôt inspiré par prémonition par un joueur d'échecs (!!!). Maurice Barres (1862-1923) était un écrivain d'origine lorraine (né à Charmes dans les Vosges), catholique fervent sans être intégriste, d'une sensibilité généreuse où la charité humaine inspirée par des valeurs spirituelles nobles ne se laissera pas piéger par les règles comportementales des valeurs idéologiques essentialistes, même s'il fut militariste et antidreyfusard. Ce fils spirituel de la martyre Lorraine, pays des «gueules noires» (les mineurs) et des «gueules cassées» (les victimes prolétaires des guerres et des tranchées, c'est ainsi que les poilus prolétaires se faisaient appeler incluant leurs compagnons d'infortune : les fantassins réquisitionnés comme chair à canon des colonies d'Afrique noire et d'Afrique du Nord) son origine rurale fera qu'il restera profondément attaché à sa culture ancestrale de terroir où la terre a des senteurs éternelles, le ciel des couleurs à nulles autres pareilles, où l'air est vivifiant et revigorant et l'eau enfin une mémoire toujours en mouvement et en pérennité. L'imagerie barrésienne est en quelques sortes inspirée d'une philosophie plotinienne sensualiste autant que spirituellement cosmogonique et syncrétique, celle-là même que découvrait précocement Albert Camus dans l'étude de l'ouvrage du philosophe Bréhier (1935), celle-là même qui avait inspiré et nourrit les imaginaires féconds de l'évêque Saint Augustin (IVesiècle) à l'épistémologue Gaston Bachelard (XXe siècle). Cette philosophie, sérieuse de la nature inspiratrice de forts sentiments et de valeurs d'identification permettant une adoption comportementale existentielle marquée par le sensualisme, qui l'attache au terroir, le patriotisme quelque peu cocardier il est vrai, est aussi nourrie par les idéaux de générosité du XIXe siècle qui posaient comme exigence le respect de la dignité humaine, la défense et l'illustration des droits fondamentaux, l'amour du travail et de l'effort, la recherche de l'harmonie familiale, etc., cette philosophie que Barres va adopter et faire sienne, philosophie sérieuse et pas du tout ludique, c'est celle qui tend à rendre compte des rapports complexes entre les lieux (souvenirs des sens) et l'esprit (mémoire intellectuelle et culturelle). Maurice Barres va se distinguer de tous ses contemporains écrivains du XXe siècle par ses références au XIXe siècle (un certain romantisme qui nourrit l'âme, renforce la spiritualité, aiguise la soif de vivre, exige une liberté intégrale, adopte un discours original). Barres va subrepticement glisser vers l'universalisme et l'humanisme qui marqueront ses dernières œuvres au point que l'on est en mesure de distinguer entre deux moments de la vie et de la référence intellectuelle chez cet auteur peu commun qui aboutit au terme d'une expérience d'écriture à ce désenchantement qui marqua profondément l'esthétique romantique et qu'on retrouvera quelque part dans certains textes camusiens, esthétique très fortement marquée par les référents philosophiques d'un essentialisme quasiment mythique, voire mythologique. L'évolution de l'éthique autant que de l'esthétique de Barres nous fait découvrir un homme qui à ses débuts règle sa vie sur des valeurs essentielles et finit par les révéler dans ce désenchantement qui montre que les vraies valeurs de la vie sont celles de l'existence et du réel. En ce sens, il retrace de manière concrète la trajectoire de l'usure des mythes pour l'avènement de l'histoire. Il restera longtemps incompris et décrié, voire renié. C'est Albert Camus, paradoxalement, qui remettra Barrès au pinacle des souvenirs sans toutefois réussir à extirper cet écrivain du ghetto de l'oubli et de la relégation. En 1939, au moment où il rédige l'enquête sur Misère de la Kabylie, A. Camus finit la rédaction et publie un texte Le vent à Djemila avec une référence explicite à Barres qui passa quasiment inaperçue. Sans doute le vertige militariste patriotique de l'époque n'a pas suffi à redorer le blason de l'écrivain qui chanta le patriotisme circonstanciel mais qui leva le voile sur les impostures que les idéologies cocardières nourrissaient, à savoir que ce sont toujours les mêmes qui paient le prix fort à la patrie et à la société et qui se font toujours avoir, à savoir les catégories sociales déshéritées qui resteront toujours les laissés-pour-compte. Ce sont là, les traces du boulangisme chez Barrès et celles de son penchant populiste. Dans son célèbre ouvrage, La colline inspirée (1913), Barrès écrit dès l'ouverture cette sentence qui passera à la littérature universelle et servira d'ouverture à l'essai de Camus : Le vent à Djemila : «Il est des lieux où souffle l'esprit… Il est des lieux qui tirent l'âme de sa léthargie, des lieux enveloppés, baignés de mystère, élus de toute éternité.» Peut-être est-ce là le secret qui explique que seul Albert Camus, inspiré par Barrès, avait osé se déplacer sur les lieux mêmes et faire une enquête sur les massacres de mai 1945 dans le Constantinois, tant ces lieux auront été marqués pour l'éternité. Si Barrès avait fini par être académicien, Camus sera consacré à son tour par un prix Nobel.